De Rosny à Jean Auel : les écrivains de Préhistoire dans la seconde moitié du XXe
Pascal Semonsut
Docteur en histoire
« C’était un après-midi d’ennui, comme en a connu tout enfant, quand la pluie bat les vitres et que les jeux plus calmes qui conviennent à l’intérieur des maisons n’offrent pas assez d’attraits. J’avais environ onze ans et me trouvais en visite chez un ami. Nous ne savions que faire. Mon camarade monta dans sa chambre et revint avec une brassée de livres. Sans grand enthousiasme, j’en pris un et l’ouvris : c’était La Guerre du Feu [en gras dans le texte]. « Les Oulhamr fuyaient dans la nuit épouvantable… ». Doucement, le crépuscule tomba, sans que je m’en rendisse compte. J’étais loin, bien loin, dans l’espace et dans le temps, aux âges farouches, sur les rives du Grand Fleuve. Et quand, emportant le livre, je rentrai chez moi ce soir-là, ma vocation de géologue et de préhistorien était déjà décidée, sans que je le susse encore ».
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Ainsi s’ouvrait la préface à une nouvelle réédition de La guerre du feu 1 par l’un des plus grands préhistoriens français, François Bordes, professeur à la faculté des sciences de Bordeaux et directeur de son Institut du Quaternaire. Près de trente ans après, comme en écho, la préhistorienne Geneviève Guichard écrivait, toujours en préface, mais à un autre roman préhistorique : « Daâh [en gras dans le texte] est l’un des livres clés de ma vie. Vers mes douze ans [au même âge que F. Bordes], je l’avais lu dans cette édition rose à vingt-cinq centimes des années 1925 […] En 1980, un de mes amis m’offrait un exemplaire de l’édition de 1914, […] je m’apercevais que ce livre avait fécondé certains de mes comportements, façonné plusieurs de mes convictions, et que, pour une part, ma vocation de palethnologue y était contenue » 2.
À leur façon, ces deux savants, dans leur hommage à deux grands romans et deux grands auteurs, montrent, avec éclat, la puissance évocatrice de la littérature, maïeutique des vocations, et sa faculté à s’inscrire dans les mémoires. En effet, qui resterait insensible à des phrases comme : « Naoh, ayant abaissé sa main sur Gammla, la releva sans rudesse, et les temps sans nombre s’étendaient devant eux » 3 ? Il est évident que des générations entières ont connu et aimé la Préhistoire grâce à la fiction. Qui sont ces écrivains ? Quelles sont leurs œuvres ? Quelle place occupent-elles dans notre imaginaire collectif ?
Des années 1940 à 1960 : un genre littéraire dominé par Rosny
Si l’on s’en tient au quantitatif, c’est-à-dire au nombre de romans publiés pendant cette période, force est de constater sa faiblesse : même si le nombre de romans, premières éditions et rééditions comprises, augmente constamment des années 1940 aux années 1960, leur part dans la production totale reste très faible, puisqu’elle ne dépasse pas les 7%. La littérature de Préhistoire est encore un phénomène relativement restreint.
Pourtant, ces décennies sont les plus inventives, surtout les années 1960 qui connaissent, fait unique pour toute la seconde moitié du XXe siècle, un nombre de premières éditions très nettement supérieur aux rééditions : c’est l’époque où Norbert Casteret, Jean-Claude Froelich et Michel Peyramaure publient l’intégralité de leur œuvre consacrée à la Préhistoire 4. Norbert Casteret et Jean-Claude Froelich mettent leur expérience professionnelle au service de l’histoire, ce qui apporte aux aventures qu’ils narrent un surcroît d’authenticité. Dans l’œuvre de Casteret, l’un des spéléologues français les plus connus, inventeur des gravures de la grotte de Montespan en 1922, l’exploration des entrailles de la terre constitue l’un des ressorts dramatiques les plus utilisés, comme en témoigne l’extrait suivant :
« C’était une chatière classique, sorte de goulet fort impressionnant car très étroit, ménagé entre des blocs menaçants et coincés entre eux. Avec l’insouciance de la jeunesse et l’inconscience du danger, le garçon se faufila avec beaucoup de souplesse dans ce véritable piège où il dut ramper étroitement sur une dizaine de mètres. [Il découvrit] une galerie inconnue dans laquelle [il] s’engagea le cœur battant. La première chose qu’il remarqua fut que le sol argileux, boueux par endroits, montrait des empreintes d’ours et de hyènes. […] Rama fit appel à tout son courage pour se persuader que, malgré tout, la nouvelle caverne dans laquelle il se trouvait devait être déserte, abandonnée par les fauves » 5.
Quant à Jean-Claude Froelich, ethnologue spécialiste de l’Afrique et de l’Asie, il s’invente un double de papier en la personne de Pierre Briant qui « après avoir obtenu une licence de sciences naturelles, […] avait suivi les cours De l’Institut de paléontologie humaine et les cours du Musée de l’Homme. […] Enfin, il était parti comme chef de mission, avec deux jeunes étudiants, dans le Nord-Cameroun. Une année entière passée chez les farouches Kirdis […] avait fait de lui l’un des meilleursspécialistes des tribus primitives » 6. Il n’hésite d’ailleurs aucunement, dans les nombreuses digressions pédagogiques où le vulgarisateur l’emporte sur le romancier, à faire appel au comparatisme ethnologique. Ainsi, à une des questions d’un des héros de La horde de Gor sur la rareté de la présence humaine, il fait répondre à Briant : « […] cela ne mesurprend guère : les chasseurs ont besoin poursubsister d’un très vaste territoire de chasse et l’étude des peuples chasseurs du XXe siècle, […], démontre qu’une tribu d’une centaine d’individus a besoin d’un territoire de chasse grand comme un département » 7. Jean-Claude Froelich est un cas relativement à part dans l’histoire de la littérature de Préhistoire, celui du scientifique mettant son savoir au service de la fiction. Il n’en existe, à notre connaissance, que deux autres. Le précurseur en la matière est Adrien Arcelin, l’un des inventeurs de Solutré, auteur en 1872 de Chasseurs de rennes à Solutré. L’autre est très récent : il s’agit de Jean Courtin, préhistorien spécialiste du Néolithique méditerranéen, qui, dans Le Chamane du bout du monde publié en 1998, met en scène une grotte qu’il connaît bien pour l’avoir explorée et étudiée, la grotte Cosquer. Le savant ne s’est donc que très rarement résolu à quitter le confort de la science pour s’aventurer sur les terres nappées de brouillard de la fiction romanesque. Faut-il le regretter ? Là est une tout autre question.
Les années 1960 sont également les dernières où la Préhistoire fait partie de la littérature jeunesse : en effet, jusqu’en 1970, le roman préhistorique est, dans sa très grande majorité (plus de 60%), destiné aux jeunes. Des jeunes qui, à cette époque, comme le relève Antoine Prost au sujet de la presse pour adolescents, « constituent un marché spécifique, une clientèle qui a ses déterminations propres » 8. L’inventivité du roman préhistorique découle de l’apparition de ce nouveau marché : dans la mesure où se met en place une « subculture adolescente [permettant] aux jeunes de marquer un goût différent de celui des adultes » 9 il va falloir la nourrir de nouvelles aventures, y compris préhistoriques. Conséquence du passage « de l’enfant, quantité négligeable, qui suivait la famille, réduit autant que possible au silence et à l’immobilité, à l’enfant roi, centre d’intérêt, convergence d’affections, accepté comme une personne autonome, avec ses richesses et ses droits » 10 c’est, effectivement, le développement d’une demande juvénile autonome et son encouragement par la société qui, à cette époque, stimulent la production.
Dans cette période pauvre en rééditions, il est un roman qui fait figure d’exception : La guerre du feu. Son auteur, Joseph-Henri Rosny Aîné (de son vrai nom Boex), « n’est pas seulement un précurseur de la science-fiction moderne, il est aussi celui du roman préhistorique, quoique le terme de précurseur, en l’espèce, ne soit pas tout à fait approprié puisque, avec ce type de livres, [il] fait davantage figure de cas unique dans l’histoire des lettres : on ne voit pas qui en aurait écrit avant lui et, autour de lui et après lui, on ne rencontre que des imitations plus ou moins réussies- et encore ne forment-elles qu’un petit corpus romanesque » 11. Cette affirmation de Jean-Baptiste Baronian, éditeur pour la collection Bouquins de chez Laffont d’une intégrale de ses romans préhistoriques, est quelque peu exagérée : l’œuvre du maître a été suivie d’autres, qui, sans en avoir son envergure, que ce soit par le nombre de titres ou par la célébrité, sont néanmoins importantes. Il n’est que de citer des auteurs comme Jean-Claude Froelich, Michel Peyramaure, Louis Mirman, Jean-Luc Déjean, plus récemment Pierre Pelot, et, venue des Etats-Unis, Jean M. Auel. Il est plus juste, en fait, d’affirmer avec Pierre Versins que « Rosny reste le maître incontesté d’un thème dont on peut dire que, s’il ne le créa pas, il y apposa sa marque indélébile, [racontant] dans une langue admirablement bien adaptée à ce qu’il disait, rocailleuse et sauvage, inimitable, une épopée qui n’est pas près de disparaître de l’esprit » 12.
S’il peut y avoir discussion sur la singularité de Rosny et de son œuvre, il est tout à fait légitime, en revanche, d’accorder à La guerre du feu qui n’est pas son premier roman préhistorique puisqu’il a été précédé de Vamireh, en 1892, suivi d’ Eyrimah, un an après, le qualificatif de chef-d’œuvre. Initialement paru dans la revue Je sais tout, en 1909, il sort en librairie en 1911, chez Eugène Fasquelle. Réédité constamment depuis, il est l’un des plus grands succès de la librairie française : près de deux millions de lecteurs francophones ont déjà suivi les aventures de Naoh 13. Ce roman qui décida de la vocation de François Bordes connaît des rééditions constantes, avec, jusque vers 1975, une très forte domination sur les rééditions de romans préhistoriques, puisqu’il en représente alors au moins la moitié, sinon la totalité. Il est bien le grand roman préhistorique de ces années.
Le roman préhistorique de fin de siècle (1970-2000) : l’âge d’or d’un genre très marginal
Les trois dernières décennies du siècle sont marquées par des changements considérables dans les pratiques culturelles des Français. En effet, « l’espace clos du chez-soi est […] devenu le meilleur lieu du temps libre et, surtout, le terrain d’aventure d’un audiovisuel omniprésent. Inversement, les formes anciennes de la lecture du journal ou du livre ont stagné ou régressé » 14. Le roman de Préhistoire résisterait-il à cette érosion généralisée du lectorat ? Plusieurs indices semblent le prouver. On constate effectivement que ces années représentent plus de 80% de toute la production de la seconde moitié du XXe siècle, une production par ailleurs en augmentation forte et régulière. Point d’orgue de cette évolution, les années 1990, si elles ne sont pas les plus inventives, sont les plus productives, puisqu’à elles seules, elles représentent près de la moitié des titres publiés. La raison d’une telle résistance est à chercher au sein d’un mouvement plus général. Pascal Goetschel et Emmanuelle Loyer notent qu’avec l’entrée dans la crise économique, au milieu des années 1970, la France s’installe dans « une crise mythologique qui dévoile progressivement toutes ses implications », en particulier « l’épuisement de la notion d’avant-garde » et le « retour à une certaine tradition ». Bénéficiant conjointement de cet « épuisement » et de ce « retour », le roman de facture plus traditionnelle et, notamment, le roman historique débutent une seconde jeunesse. Accompagnant et renforçant cette évolution littéraire, la vulgarisation historique connaît alors un véritable engouement. L’histoire, la grande comme la petite, la vraie comme la fantasmée, revient sur le devant de la scène : ces années sont tout autant celles de Montaillou, village occitan de l’historien Le Roy Ladurie que de La gloire de l’Empire de Jean d’Ormesson. Le roman préhistorique profite ainsi de l’embellie romanesque et historienne de ces années de crise et réussit assez efficacement à se prémunir contre la morosité ambiante.
Au sein de cette abondante production, cinq auteurs se détachent. Avant Les Ritals (1978) et Les Russkofs (Prix Interallié en 1979), François Cavanna est l’auteur d’une mini-série de deux titres, L’aurore de l’humanité, racontant en plusieurs leçons agrémentées de nombreux dessins l’histoire de l’Homme, de son apparition jusqu’au Néolithique 15. Si le style est fleuri et les clichés nombreux, notamment en ce qui concerne les femmes (« L’Homme attrapa la Femme par les cheveux et la foutit par terre » 16), il n’est pas moins vrai que Cavanna base cette irrespectueuse narration sur une documentation solide. Comme il s’en explique lui-même : « je respecte strictement les données historiques avérées […]. Je faufile mon intrigue entre ces piliers immuables […]. En ce sens, le roman raconte l’Histoire sans la trahir ». Après une interruption de vingt-deux ans, il renoue avec la Préhistoire en signant La déesse mère 17 dont le sujet est de mettre en évidence « la fabuleuse époque charnière entre le paléolithique et le néo[lithique] ». Si le fondateur d’Hara-Kiri, s’adresse avant tout à un lectorat adulte, il n’en va pas de même de Jean-Luc Déjean et Louis Mirman, les auteurs pour la jeunesse les plus prolixes de ces trente dernières années. Déjean (1921-2006) situe ses aventures aux différentes époques de la Préhistoire, des temps les plus reculés jusqu’aux débuts de l’écriture. Mirman, quant à lui, se plaît davantage dans la compagnie quasi exclusive du Néolithique.
Cependant les deux auteurs les plus marquants, non seulement de ces trente dernières années, mais aussi depuis Rosny, sont Pierre Pelot et Jean M. Auel. À l’extrême fin du XXe siècle, entre 1996 et 2000, face au saut dans le troisième millénaire, Pierre Pelot, né en 1945 dans les Vosges, l’un des grands auteurs de science-fiction des années 1970-1980, publie un cycle de quatre titres intitulé Sous le vent du monde : il s’agit de retracer les différentes étapes de l’évolution humaine, des premiers Homo habilis aux hommes de Néandertal, en tenant compte des découvertes les plus récentes. Cette œuvre est conçue avec la « collaboration scientifique » d’Yves Coppens, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de paléoanthropologie et de préhistoire, comme il est inscrit sur la page de garde de chacun des quatre ouvrages. Une symbiose étroite et affichée unit les deux hommes : c’est le savant qui apporte la base scientifique, l’argile des connaissances ; libre ensuite au romancier de s’en emparer pour la pétrir et en faire une aventure de chair, d’os et de sentiments. C’est ce qu’exprime Yves Coppens lui-même en préface au premier tome : « C’est une de ces histoires que Pierre Pelot, avec son extraordinaire capacité de savoir plonger dans les autres mondes d’ailleurs ou d’avant, raconte ; ceux de la bande de Nî-éi sont des Homo rudolfensis, et la bande de Moh’hr des Homo habilis. C’est sans peine que je la lui ai confiée, en lui parcourant à grands traits de science –la Science ne peut guère faire mieux- la vie au temps des derniers des Australopithèques que l’on appelle graciles […] et des tout premiers Hommes. Il en a rapporté un récit que je vous offre en garantissant presque toute l’atmosphère. Je n’aurais pas su m’y rendre moi-même si complètement » 18.
Jean M. Auel tient une place très à part dans l’histoire de la littérature de Préhistoire, et ce pour deux raisons. En effet, elle est l’un des rares auteurs étrangers à être traduits en France : avec une part qui ne dépasse que de très peu les 5%, la production étrangère est pratiquement inexistante au pays de Rosny et de Boucher de Perthes. La Préhistoire de roman est une affaire franco-française. De plus, elle est l’une des rares femmes, la deuxième après Marcelle Manceau auteur en 1961 du Talisman du soleil 19, à s’être aventurée dans ce genre. Un genre guère apprécié des auteurs féminins puisque nous n’en avons recensé que dix pour toute la seconde moitié du XXe siècle, la quasi totalité datant des années 1990. Ce désintérêt peut être mis en parallèle avec le fait que si les femmes sont plus grosses lectrices que les hommes, elles le sont à l’exception des romans de science-fiction et des romans historiques 20. La Préhistoire, qu’elle soit à lire ou à écrire, semble une affaire d’hommes. Sauf pour cette fille de peintre, née en 1936 à Chicago, qui évoque dans Les enfants de la Terre les aventures d’une jeune Cro-Magnon, de sa séparation d’avec sa tribu et sa vie chez des Néandertaliens (Ayla, l’enfant de la Terre 21), jusqu’à son retour sur la terre natale de son compagnon Jondalar, après un voyage de plusieurs années, dans Les refuges de pierre 22 .
De cette saga qui occupa vingt ans de la vie de son auteur, Jean-Philippe Rigaud, directeur du Centre National de Préhistoire, explique que « traquant l’invraisemblance ou l’anachronisme [il en] entreprit la lecture. Ce fut vain ! Il n’y avait pas, dans tout le récit, la faute qui aurait donné au préhistorien l’argument d’une lettre à l’auteur, développant tel point de chronologie ou de paléontologie. A l’évidence Jean Auel était bien documentée » 23. Mais, plus que cette solide documentation, la grande originalité de Jean Auel réside dans le discours féministe qui sous-tend toute l’œuvre. Précédé de seize ans par Muta fille des cavernes de Norbert Casteret 24, il s’agit du seul exemple de roman préhistorique où le héros est en fait une héroïne, « not a heroine of romance, but, rather, a true hero […]. Ayla does not seek external validation by men but instead actively initiates the direction of the narrative without waiting for a man to take charge » 25.
Ce discours plaît indubitablement et la saga de Jean Auel rencontre auprès du public un accueil très favorable. Avec Le Monde perdu de Conan Doyle et La guerre du Feu, elle est la seule œuvre préhistorique à être adaptée pour le cinéma, sous le titre Le clan de la caverne des ours, réalisé en 1985 par Michael Chapman. Elle connaît également un nombre important de rééditions, plus de vingt-cinq en dix-huit ans. Venue d’outre-Atlantique, la vie d’Ayla est incontestablement le grand succès de la Préhistoire de papier des dernières décennies du siècle. Ne pourrait-on y voir la métaphore paléolithique des combats féministes et de leurs premières victoires du millénaire finissant ?
Les enfants de la Terre est également révélateur d’une autre caractéristique de ces années : elles sont les plus riches en rééditions, représentant près de 85% de toutes les rééditions de la seconde moitié du XXe siècle. Faut-il en conclure pour autant que la Préhistoire proposée aux lecteurs est une Préhistoire de recyclage ? Deux observations concourent à répondre par la négative. D’abord, la part des rééditions ne cesse de diminuer, ensuite, ces rééditions sont récentes. Si les Français sont demandeurs de rééditions, il s’agit de rééditions d’ouvrages récents : l’image de la Préhistoire véhiculée par les romans de la première moitié du siècle ne les intéresse plus. Même La guerre du feu n’échappe pas à ce phénomène puisque, mis à part en 1982 et 1989 où elle a représenté entre les trois quarts et la totalité des rééditions suite au film d’Annaud (1981), elle n’est alors qu’une réédition parmi d’autres. Les lecteurs ne veulent pas d’une Préhistoire couleur sépia, mais d’une Préhistoire aux couleurs de leur téléviseur.
Si les goûts des lecteurs se transforment, eux-mêmes changent également. Dans les années 1940-1960, ils se recrutent surtout parmi les jeunes ; à partir des années 1970 on observe un changement assez radical : la part des titres consacrés aux adultes, nettement inférieure à 40% jusqu’alors, passe effectivement la barre des 50% pour atteindre un maximum de 62,3% dans les années 1980. Dans les librairies, la Préhistoire quitte les rayonnages pour enfants pour ceux dédiés aux adultes, signe que « les jeunes ne sont plus aussi prémonitoires en matière culturelle [et que] depuis 1975, la ‘‘planète jeunes’’ a pris […] les couleurs culturelles d’une ‘‘bof’’ génération » 26.
Les trois dernières décennies du siècle constituent l’âge d’or du roman préhistorique tant par la quantité de titres produits (78 si l’on s’en tient aux seules premières éditions, 194 avec les rééditions), la solide base documentaire sur laquelle la plupart d’entre eux sont bâtis, leur diversité qui permet de passer des outrances pour adultes de Cavanna aux histoires juvéniles de Déjean, que par la présence d’œuvres soutenant aisément la comparaison avec celle de Rosny (il n’est que de citer les sagas de Pelot ou Auel). Il est cependant un point que l’on ne doit pas omettre sous peine de surestimer le phénomène : la littérature de Préhistoire, même si elle a considérablement progressé et vit une époque effectivement très faste, demeure un genre très marginal, puisqu’elle ne représente pas même 1% de la production totale de romans, tous genres confondus.
Pascal SEMONSUT
Docteur en histoire
1 J.H. Rosny Aîné, La guerre du feu, Gautier-Langereau, 1960, p. 7.
2 E Haraucourt, Daâh, le premier homme, Arléa, 1988, p. 7.
3 J.H. Rosny Aîné, Romans préhistoriques, La guerre du feu, Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1985 p. 337.
4 N. Casteret, Muta, fille des cavernes, Perrin, 1965, 254 p. et Dans la nuit des temps, Perrin, 1966, 249 p. ; J.-C. Froelich : Voyage au pays de la pierre ancienne, Magnard, 1962,187 p., Naufrage dans le temps, Magnard, 1965, 192 p. et La horde de Gor, Magnard, 1967, 161 p. ; M. Peyramaure, La fille des grandes plaines, Laffont, 1963, 381p. et La vallée des mammouths, Laffont, 1966, 255 p.
5 N. Casteret, Dans la nuit des temps, op. cit., pp. 58-59.
6 J.C. Froelich, Voyage au pays de la pierre ancienne, Magnard Jeunesse, 1996, p. 5.
7 J.C. Froelich, La horde de Gor, Magnard Jeunesse, 1996, pp. 20-21.
8 A. Prost, L’Ecole et la Famille dans une société en mutation, t. IV de L’Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, sous la dir. de Louis-Henri Parias, Nouvelle Librairie Française,1981 p. 507.
9 Ibid. p. 508.
1010 A. Prost, Éducation, société et politiques, Seuil, 1992, p. 25.
11 J.-B. Baronian, « Présentation » in J.H. Rosny Aîné, Romans préhistoriques, Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1985, p. 10. 12 P. Versins, Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la Science-Fiction, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1972, p. 694.
13 J.-B. Baronian, op.cit., p. 11.
13
J.-B. Baronian, op.cit., p. 11.
14 J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, op. cit., p. 315.
15 Et le singe devint con…, Editions du Square, 1972, 95p. et Et Le con se surpasse , Editions du Square, 1975, 112 p.
16 Cavanna, Et le singe devint con…, Livre de poche, 1986, p.40.
17 A. Michel, 1997, 261p.
18 P. Pelot, Sous le vent du monde. Qui regarde la montagne au loin, Denoël, 1996, p. 10.
19 Rageot, 156 p.
20 Département des Etudes et de la Prospective, Ministère de la Culture, p. 95.
21 21 Balland, 1981, 351p.22 Presses de la Cité, 2002, 647 p.
22
Presses de la Cité, 2002, 647 p.
23 « Préface » dans J.-M. Auel, Les Enfants de la Terre, Le Grand Livre du Mois, 1991, p. 10.
24 Perrin, 1965, 254 p.
25 25 D.S. Wood, « Female heroism in the Ice Age : Jean Auel’s Earth Chlidren », Extrapolation, 1986, Vol. 27, n° 1, pp. 33-34. « non une héroïne de roman à l’eau de rose, mais, au contraire, un vrai héros […]. Ayla ne cherche pas la reconnaissance des hommes mais au lieu de cela prend l’initiative dans le déroulement de l’histoire sans attendre de l’homme qu’il en prenne la responsabilité » (notre traduction)
26 J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, op. cit., p. 319.
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Mis en ligne le 01/01/10 |