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Jean-Jacques Annaud et Jacques Malaterre, deux réalisateurs en préhistoire - Pascal Semonsut

Annaud et Malaterre, deux réalisateurs en préhistoire
Pascal SEMONSUT


Annaud et Malaterre, deux réalisateurs de préhistoireDans une filmographie préhistorique très nettement dominée par les Etats-Unis, c’est néanmoins un film français qui s’illustre comme la plus belle réussite du cinéma de Préhistoire de la seconde moitié du XXe siècle. Il s’agit de l’adaptation cinématographique de La guerre du feu par Jean-Jacques Annaud, dans le film du même nom sorti en décembre 1981, qui, avec 4,95 millions d’entrées, un chiffre jamais égalé ni même approché, représente à lui seul le tiers des entrées réalisées par l’ensemble des films de Préhistoire pour toute la seconde moitié du XXe siècle
La guerre du feu est le grand succès du cinéma en 1981. Il est même, pour Emmanuel Roudier, l’auteur des BD Vo’Houna et Néanderthal, l’un des « deux films qui ont marqué très profondément [son] imaginaire et dont les fortes images et thématiques se sont amalgamées dans les replis de [son] subconscient [...]...alchimie sublime, mélange confus des époques et des ancêtres, la sauce prend avec une fraîcheur et une intensité qu’on ne peut que souhaiter [...]. Et cette sauce a laissé dans [sa] mémoire un souvenir indélébile ».
Près de 30 ans après, en septembre 2009, sort un film très attendu puisqu’il est l’œuvre de Jacques Malaterre, le réalisateur pour la télévision, entre autres œuvres, de la célèbre série de docu-fictions sur la Préhistoire (L’odyssée de l’espèce, Homo sapiens, Le sacre de l’Homme). Il s’agit, encore une fois, d’une adaptation, celle du roman de Marc Klapczynski, Aô l’homme ancien, paru en 2004, que Malaterre intitule : Ao le dernier Néandertal. La presse, sans être hostile à cette incursion dans la fiction de l’auteur de L’odyssée de l’espèce, est partagée. Le Monde n’est pas convaincu et pointe « les nombreux problèmes. La faiblesse de sa mise en scène [...] sa naïveté, qui table sur le spectacle de ces acteurs grimés en primitifs pour nous inciter à la tolérance », regrettant qu’Ao « décalque [...] le scénario de La Guerre du feu (1981) de Jean-Jacques Annaud ». Télérama est plus sévère ne voyant dans ce film qu’« une succession de vignettes poussives ». Le Figaro, dans une formule lapidaire, le trouve « bien, mais pas assez pédagogique ». Le Point est plus favorable, estimant que Malaterre « a le grand mérite de réhabiliter ce pauvre Néandertal » grâce à une « reconstitution et [une] direction des acteurs [...] très crédibles ». France Soir considère Ao comme « un témoignage pédagogique sur l’homme de Néandertal et un hommage sincère à la nature » dans un article intitulé « Néandertal, 100 % naturel ». Enfin, Aujourd’hui en France, qui lui consacre une double page, considère ce film comme un « western en peaux de bête » où, même si l’utilisation des voix off est regrettable, « on oublie les cours poussiéreux sur la préhistoire pour s’immerger dans un univers de western primitif » avec un acteur qui, dans le rôle titre, « possède un vrai charisme de star et dégage une réelle émotion ».
Le film, contrairement à celui d’Annaud, est, malgré ses indéniables qualités, un échec commercial puisqu’il attire moins de 300 000 spectateurs, et cela malgré une campagne marketing très active avec de nombreuses avant-premières à Paris comme en province et la participation de Marylène Patou-Mathis, conseillère scientifique du film, l’envoi dans les établissements scolaires d’un dossier d’accompagnement, etc. Quelles que soient les raisons de cet échec, il parachève l’effondrement de l’audience des films de Préhistoire depuis La guerre du feu d’Annaud. Les temps premiers sont-ils condamnés à disparaître du grand écran ?

Le lecteur trouvera ci-dessous les entretiens que ces deux réalisateurs m’accordèrent. On y découvrira des artistes intègres, sincères et passionnés par cette histoire des temps premiers, cette histoire où l’homme avait devant lui tout un avenir en gestation.

Questionnaire à Jean-Jacques Annaud sur son film : La guerre du feu

Jean-jacques Annaud, réalisateur de préhistoireLA GENÈSE DU FILM

Pourquoi avoir choisi La Guerre du Feu et pas un autre roman ? Qu'est-ce qui peut intéresser un cinéaste dans la Préhistoire ?
Une des premières raisons est que j'avais lu La Guerre du Feu dans le Journal de Mickey quand j'avais 6 ou 7 ans (j'avais été passionné par cette histoire) ; plus tard, je rencontrai le scénariste Gérard Brach qui me suggéra de faire un film se passant dans la Préhistoire, me demandant si j'avais lu La Guerre du Feu. À l'époque je ne l'avais lue que dans la version BD du Journal de Mickey : pardonnez cette "faiblesse" d'inspiration, mais ce sont souvent les souvenirs et les réactions d'enfance qui influent le plus sur la carrière ultérieure et sur la vie. Mon ami Brach m'ayant suggéré de relire ce roman, je l'ai relu ainsi que les autres romans de Rosny Aîné et quelques autres romans préhistoriques. Je dois dire que La Guerre du Feu avait un immense mérite : celui de proposer un thème simple et universel à un moment charnière de l'histoire de l'humanité ; cette histoire simple d'un héros à qui l'on confie le destin de sa tribu, en lui demandant de ramener le feu que l'on ne sait pas faire, est une mission clairement identifiable, un drame humain auquel on peut se référer et qui propose une structure dramatique tout à fait exemplaire. Un des objectifs qu'on recherche quand on écrit un film est de permettre l'identification à une difficulté : on aime partager le drame de quelqu'un, or là, la responsabilité du personnage de Naoh est qu'il se voit confier cette chose inouïe de devoir ramener impérativement le feu sinon ce groupe humain auquel il appartient risque de disparaître. C'est un thème fort et je n'ai absolument pas trouvé de thématique aussi puissante dans aucun autre roman consacré à la Préhistoire ; en plus, le feu représente, pour certains, une des grandes conquêtes de l'humanité et il y avait là un bel exemple que l'on pouvait rattacher au thème du voyage initiatique, l'un des thèmes que je préfère dans mes films où très souvent on voit un personnage voyager pour se transformer et pour apprendre.
La Préhistoire m'a intéressé un peu par hasard et dès ma jeunesse, au gré de mes rencontres. Notamment, par l'intermédiaire d'une amie à moi, j'eus l'occasion de manger plusieurs fois avec Varagnac, directeur du MAN, profitant ainsi de ses grandes connaissances. J'ai été immergé pendant deux ans dans ces discussions préhistoriques qui étaient assez fascinantes. Après quoi, j'ai été envoyé pendant mon service national au Cameroun pour faire des films d'éducation de base. A cette occasion, j'ai eu une aventure de vie qui m'a beaucoup transformé : connaissant des Camerounais, j'ai vécu avec eux des moments exceptionnels dans la forêt. Là, j'ai eu l'occasion de revérifier ce que j'entendais autour de la table de Varagnac et de me faire ma propre opinion de la Préhistoire. C'est véritablement de cette manière là que j'ai eu envie de faire un film sur cet univers de notre haute antiquité. C'est une démarche puisée dans des expériences tout à fait personnelles, comme il se doit pour la plupart des films que réalisent les gens de cinéma.

Aviez-vous visionné d'autres films de Préhistoire avant de réaliser le vôtre ? Le début de 2001, l'odyssée de l'espace a-t-il été pour vous une source d'inspiration ? Comment expliquez-vous que La Guerre du Feu soit le seul film français sur cette période alors que la France est le pays au patrimoine préhistorique le plus riche au monde ?
J'ai revu 2001, l'odyssée de l'espace [Kubrick, 1968] au cinéma et je me souviens avoir été assez déçu et être parti après le long post-générique (la partie sur la Préhistoire) : j'ai trouvé que c'était un film long, naïf, ennuyant où l'on voyait beaucoup les humains à l'intérieur des costumes de singes. J'ai vu aussi "d'autres épouvantes" : One million years BC [Chaffey, 1966] et Prehistoric Women [Carrera, 1968]. Cela m'a tant découragé que je me suis demandé si je devais persévérer dans mon projet de faire un film sur la Préhistoire. Ces films n'ont donc pas été une source d'inspiration mais de répulsion.
Le problème majeur par rapport à la Préhistoire est qu'il faut oser ne pas recourir au dialogue. Or le film français étant surtout un film de dialogues et non un film d'images, la réalisation d'un tel projet est, dans notre pays, très problématique : cela explique ce hiatus entre la richesse préhistorique de la France et sa production cinématographique dans ce domaine.

La guerre du feuPour préparer votre film, vous avez réuni une documentation abondante. Dans quels domaines ? Quels sont les titres qui vous ont le plus servi ? Les paysages tiennent une place importante dans votre film : vous êtes-vous plus particulièrement documenté en paléobotanique ?
J'ai passé un temps considérable à me documenter, fréquentant bien des bibliothèques, notamment celle du Musée de l'Homme, ainsi que les grands musées d'anthropologie du monde, ceux de Mexico, New York, Tokyo, Berlin ou Londres. Je suis retourné me replonger en Afrique de manière régulière, à l'occasion du tournage de mon premier film La Victoire en chantant. C'est assez compliqué de savoir exactement d'où vient l'inspiration : je suis abonné depuis longtemps à La Recherche dont la lecture m'a beaucoup influencé. J'ai lu maints ouvrages d'ethnologie et d'anthropologie africaines. Mes lectures sont très diversifiées et je ne me suis pas seulement attaché à la Préhistoire, mais à l'ensemble du comportement animal et des sociétés primitives.
Je ne me suis pas particulièrement documenté en paléobotanique. J'ai voulu créer un univers qui ne ressemble pas tout à fait à notre univers contemporain et, pour ce faire, je suis allé tourner des scènes sur trois continents (notamment en Afrique, au Canada et en Ecosse) afin de créer une impression de dépaysement. J'ai fait en sorte que la tribu de base se trouve dans un environnement froid, peuplé de marécages, alors que les héros traversent un milieu chaud de steppes et de savanes arborescentes.

Dans France Soir du 05/05/1982, vous affirmez votre « goût prononcé pour les hommes primitifs ». Comment les définissez-vous ? Vous êtes-vous inspiré de leur mode de vie ? Que pensez-vous plus largement du comparatisme ethnologique dans la recherche en Préhistoire ?
Les hommes primitifs, c'est nous. Visitant les tribus africaines, j'ai découvert, en faisant confiance au monde de l'émotion et de l'instinct, beaucoup plus qu'on ne me l'avait appris à l'université, que j'étais bien plus primitif que je ne le pensais. Nous faisons partie d'un monde très prétentieux, se croyant fort éloigné du monde animal. Dans la forêt africaine, je me suis découvert mammifère. Ce sont des leçons qui me guident toujours depuis.
J'ai vécu une saison avec les Aborigènes d'Australie, chassant et pêchant avec eux, et j'ai l'impression qu'ils vivaient de façon inchangée depuis la Préhistoire. Je me suis fait ainsi ma propre opinion sur cette période : le comparatisme est donc, pour moi, une démarche tout à fait fondée.

Vous aviez sollicité, pour la gestuelle, l'aide de Desmond Morris. Pourquoi ? Comment a-t-il travaillé avec vous ?
Desmond Morris est un personnage très charismatique qui a eu la gentillesse de bien vouloir travailler avec moi, inventant une gestuelle. Je ne me place pas en scientifique, mais sur le terrain de l'instinct, de l'imaginaire et de la poésie, et cette gestuelle n'a pas la prétention d'être la seule possible (contrairement aux scientifiques qui ont la certitude de détenir La Vérité).

« Avec Brach, nous avons refusé la facilité du dialogue » (Le Figaro du 07/12/1981). Pourquoi cela aurait-il été facile ? Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à ce choix ?
On ne peut pas faire parler les acteurs avec un langage contemporain car, d'une part, on appuie alors sur le dialogue qui, encore aujourd'hui dans nos campagnes, est un mode d'expression minoritaire, et, d'autre part, cela donne toutes les facilités au détriment du comportement, ce qui a le défaut majeur de véhiculer des pensées toutes contemporaines. En minorant le dialogue et donc en donnant la primauté au comportement et à l'action, on fait un film plus crédible que si l'on passait par l'usage de la langue. Cela m'a d'ailleurs été très violemment reproché.
Avec Anthony Burgess, nous avions réalisé un petit dictionnaire pour les acteurs à partir de quelques racines indo-européennes et de grec ancien. C'est dans cette "langue" que nous nous exprimions sur le plateau.

Votre collaboration avec des préhistoriens semble avoir été réduite au minimum. Est-ce involontaire ou délibéré ?
Pourquoi ?

J'ai été très mal reçu par la communauté scientifique lors de la préparation de mon film, et ce pour plusieurs raisons : elle jugeait ce projet irréalisable et inepte, la guerre du feu, selon elle, n'ayant jamais eu lieu puisque l'homme en avait toujours eu la maîtrise. D'une manière générale, les scientifiques, parce qu'ils sont jaloux de leur savoir et estiment que toute vulgarisation est vulgaire, refusèrent de m'aider en quoi que ce soit. Je décidai alors, dans ces conditions, de me passer de leur collaboration.

Alors que vous aviez fait des repérages en France, vous décidiez de ne pas y tourner votre film. Cette décision résulte-t-elle d'une impossibilité matérielle (« des pylônes et des buvettes dans tous les coins » défigurant le paysage, Le Point n° 482) ou existe-t-il d'autres raisons ?
La raison en est effectivement matérielle. L'accès aux grottes m'a été refusé et le paysage en France est inutilisable pour un film de cette sorte à cause des routes et des pylônes de l'EDF qui sont absolument partout. En plus, l'hostilité de la communauté scientifique et des producteurs français, qui refusèrent de financer mon film, me contraignant à recourir à des capitaux américains et canadiens, m'ont conduit à ne pas le réaliser en France.

L'ANACHRONISME DANS UNE OEUVRE DE FICTION

Malgré un accueil plutôt favorable de leur part, les scientifiques ont relevé plusieurs anachronismes dans votre film, dont la presse s'est faite l'écho. Qu'avez-vous à répondre à ces critiques ?
- l'aspect physique des Néandertaliens comme des hommes de Cro-Magnon n'est pas conforme à la réalité paléontologique (J. Carles dans La Croix du 30/01/1982).
Probablement oui, mais qu'est-ce qu'on en sait vraiment ? Je m'étais beaucoup inspiré des dessins de Burian et je n'ai pas l'impression que mes Néandertaliens soient plus étonnants que les Aborigènes d'Australie.

- la vie préhistorique n'était pas aussi violente ni dangereuse que celle montrée dans le film (Y. Coppens dans Les Nouvelles Littéraires du 17/12/1981 et H De Lumley dans Le Point n° 482).
C'est possible, mais quand on retrouvera des films des années 90 on pourra dire aussi que la vie n'y était pas aussi violente que celle montrée au cinéma. Un film, ce n'est pas une caméra de surveillance enregistrant qu'il ne se passe rien dans une banque mais qui s'attache au moment de l'attaque de la banque. Le public le sait, contrairement aux scientifiques qui persistent à croire qu'un film de cinéma est un documentaire exact de la vie dans sa continuité. Un film extrait de la réalité les moments signifiants, exemplaires, extraordinaires. Si 1h30 de vie d'un homme préhistorique n'est pas aussi dense que celle de mes personnages, cela tient ainsi à la nature même du cinéma.

- beaucoup de scènes relèvent plus des attitudes des chimpanzés que des hommes (M. Sakka dans L'Humanité du 17/12/1981)
C'est voulu. Je me suis attaché à décrire un comportement simien parce que je pense que beaucoup de nos attitudes sont issues de notre passé de primates. J'avais envie de montrer la primalité de l'Homme plutôt que d'en faire un contemporain habillé de peaux de bêtes.

- le film pratique un télescopage chronologique en plaçant à une même époque des hommes et des faits qui n'ont pas cohabité (Y. Coppens et D. Vialou dans Le Matin du 16/12/1981).
C'est tout à fait exact. C'est une volonté poétique de ma part : j'ai comprimé un certain nombre d'éléments pour leur donner un sens visible. Ce n'est pas une réalité historique, ce qui me permet, en ne suivant pas la chronologie, de donner un sentiment de l'évolution qui n'aurait pas été possible si je ne l'avais pas fait. J'ai exprimé une réalité en dehors de celle des scientifiques : c'est une des grandes libertés de l'artiste par rapport à eux.

Peut-on faire oeuvre de fiction en respectant "à la lettre" les connaissances scientifiques ? L'anachronisme ne représente-t-il pas un danger pour la connaissance du public qui risque de "prendre pour argent comptant" tout ce qui lui est présenté ?
Il est difficile de respecter scrupuleusement les connaissances dans un film car il faut savoir se dégager de la pesanteur de l'information vérifiée pour inventer, sinon on n'est plus un cinéaste mais un journaliste. Le journaliste sérieux ne peut pas inventer alors que l'on demande au cinéaste de le faire, afin de dire une vérité plus profonde que celle des documents et qui est celle du cœur.
Certes, il y a un danger dans toute vulgarisation, toute simplification, mais elle est nécessaire car elle permet d'apporter des connaissances au public qui, sans cela, serait bien moins instruit. De toutes façons, le public est beaucoup plus clairvoyant que les scientifiques. Il n'ignore pas qu'en allant voir un film de fiction, il ne se rend pas à une conférence pour spécialistes au Musée de l'Homme. Il sait qu'il s'agit là d'une fantaisie et distingue fort bien une fantaisie totale, comme The clan of the cave bear [M. Chapman, 1985] ou Caveman [C. Gotlieb, 1981], d'un travail intermédiaire entre la science et l'invention pure, comme La Guerre du Feu qui, tout en donnant à réfléchir, prend des libertés par rapport au diktat de la science. D'ailleurs, je n'ai pas la prétention de faire oeuvre de science, mais réaliser un spectacle qui va divertir sur un thème que j'aborde avec liberté et en assumant ma propre responsabilité. Dans mon film, je ne dis pas, contrairement aux scientifiques, que c'est La Vérité, pas plus que Flaubert ne prétend refaire l'histoire de Carthage avec Salammbô.

Entretien avec Jacques Malaterre

Jacques Malaterre réalisateur de préhistoireLES INFLUENCES

Que savez-vous du traitement scolaire de la Préhistoire ? avez-vous des souvenirs d'élève ?

Pour ce qui me concerne, je n'ai pas de souvenirs en tant qu'élève. Je sais que cela s'enseigne à l'école primaire puisque je rencontre beaucoup d'élèves et d'enseignants. Cette période très complexe est difficile à visualiser pour un élève, notamment la profondeur chronologique. Mes documentaires aident à faire ce travail, en racontant la grande histoire par le biais de la petite histoire comme les enfants font avec leurs jouets. Ce monde les fait rêver par son rapport avec la nature (les doigts dans la terre, les animaux). C'est quelque chose qui ne leur est pas étranger.

Avez-vous vu des films de Préhistoire ? lesquels ? vous ont-ils influencé, inspiré ou, à l'inverse, montré ce qu'il ne fallait pas faire ?
J'ai volontairement revu des films quand j'ai commencé à travailler sur Ao afin de faire un « état des lieux » : La guerre du feu (dépassé par l'image qu'il donne de la Préhistoire, notamment en faisant des hommes préhistoriques des brutes épaisses, et par le décalage existant avec les connaissances actuelles), Le chaînon manquant, Un million d'années av JC, 10 000 (trop d'anachronismes). Voir des films, ce n'est pas pour les piller mais pour s'en inspirer, ne pas refaire ce qui a été fait. Il faut « charger la mule », s'imprégner de connaissances, de points de vue différents, de sensibilités différentes, pour renforcer l'inspiration.

Etes-vous un lecteur de romans préhistoriques ? de BD préhistoriques ? Connaissez-vous des peintres de Préhistoire ?
Je connais bien sûr jean Auel et d'autres romanciers, des BD comme Rahan, découvert plus jeune quand je lisais Pif, l'œuvre de Roudier, etc. Tout est intéressant quand on part de la page blanche, pour enrichir sa propre réflexion qu'elle soit en opposition ou en prolongement. L'imitation n'est pas à craindre. Il est même souhaitable de connaître ce qui s'est fait afin, justement, de ne pas imiter par ignorance.

Des scientifiques vous ont-ils, par leurs écrits, poussé vers la Préhistoire ?

Pas par leurs écrits, mais par leur rencontre : Coppens (il sait raconter la Préhistoire en pensant aux gens qui l'écoutent et non pas à ses collègues scientifiques à la différence de beaucoup d'autres qui gardent le pied sur le frein craignant de se faire critiquer par leurs pairs. Si je n'avais pas eu sa caution pour L'odyssée, je n'aurais pas pu faire le film, ou beaucoup plus difficilement), Patou-Mathis, etc. Ce sont des passionnés, des voyageurs dans l'espace et le temps, des rêveurs qui ne peuvent pas l'avouer, des humanistes, des gens très intéressants qui se présentent comme des blocs, mais avec beaucoup de portes d'entrée. À partir du moment où ils comprennent que vous allez respecter leur travail, ils acceptent de vous offrir leur monde intérieur, celui qu'ils ne dévoilent pas dans leurs livres mais qu'ils espèrent que vous en soyez le passeur. Je les respecte et aime beaucoup. Ce sont des artistes dans leurs disciplines, des gens sans âge qui mourront en fouilles.

Vous êtes le réalisateur français le plus marquant dans la représentation de la Préhistoire. Pourquoi cet attachement ? en quoi la Préhistoire peut-elle, sur le strict plan artistique et scénaristique, intéresser un cinéaste ?
Pour un metteur en scène de fiction, la Préhistoire est un exercice de style fabuleux puisque c'est se dépouiller de tout artifice pour raconter une histoire de cœur et d'émotions pures. On ne parasite pas le personnage avec le tissu social. Il est directement ancré dans la vie, pour la vie. C'est l'essence même de la fiction. On est au cœur, à la genèse de l'émotion, à la genèse de la construction de l'âme humaine. On retrouve en nous des formations d'esprit d'il y a 30 000 ans et il faut les garder. On les retrouve d'ailleurs chez les enfants et dans certaines de nos réactions d'adultes. Pourquoi nous émerveillons-nous tous devant le feu, devant un coucher de soleil si ce n'est parce qu'ils réveillent en nous les sentiments, les angoisses de nos ancêtres préhistoriques ? De plus, ne sommes-nous pas fondamentalement nomades ? Nous nous acharnons à acheter des maisons, à nous sédentariser, au prix de beaucoup de sacrifices, et quand nous sommes enfin en congés, alors que nous pourrions enfin profiter de ces biens si durement acquis, nous partons en vacances.

LE TRAVAIL DE REALISATEUR

La guerre du feuQuel genre de réalisateur êtes-vous ?

Je suis très intuitif. Les idées tournent beaucoup dans ma tête, puis elles en sortent comme un vomissement. Je suis très sincère avec mes émotions. Quand on veut raconter des histoires, il faut avoir une vie intense. Je ne peux pas décrire ce que je n'ai pas vécu, je ne sais pas raconter la vie si je ne sais pas ce qu'est la vie. Les intensités de vie, les arches de vie, j'estime que tout artiste doit s'y investir totalement. Je ne crois pas au passage de l'histoire si on n'a pas vécu l'histoire. Je regrette la tendance de beaucoup de réalisateurs d'aujourd'hui qui est d'intellectualiser autour de leur œuvre au lieu de la donner. S'il faut intellectualiser, c'est a posteriori, non a priori.
Il ne faut pas avoir peur de vivre une palette très large d'émotions dans sa vie propre. Cela va servir au travail de réalisateur, notamment dans la direction d'acteur. Donner une indication de jeu à un acteur, c'est lui rappeler une saveur, une odeur, or vous ne le pourrez pas si vous n'avez pas, vous-même, rencontré cette saveur ou cette odeur. Cette recherche de proximité avec les acteurs se marque également dans mon refus de travailler avec retour vidéo.
Je suis un des rares réalisateurs dans ce cas. Je ne l'utilise pas car il isole le réalisateur de l'acteur. Or, je veux être proche de mes acteurs. Ce qui fait la force d'un film, à savoir que tous, des acteurs au réalisateur en passant par les techniciens, y travaillent, le retour vidéo l'annihile.

Annaud n'a pas voulu travailler avec des préhistoriens, ce qui n'est pas votre cas. Cela paraît logique pour vos docufictions, mais pourquoi sur Ao ? comment s'est passée la collaboration avec Patou-Mathis ? pourquoi cette préhistorienne ? Son livre sur Néandertal n'aurait pas été un tel plaidoyer en faveur de sa réhabilitation, l'auriez-vous choisie ?
J'étais totalement en phase avec le point de vue de Patou-Mathis tel qu'elle l'expose dans Néanderthal, une autre humanité. De plus, j'avais trouvé un personnage de roman qui correspondait parfaitement à ma vision de Néandertal dans le livre de Klapczynski, Aô l'homme ancien. Le roman a été l'élément déclencheur, l'appui de mon film. J'ai donc fait une sorte de mixage entre le Néandertal de la préhistorienne et celui du romancier pour partir en quête d'une histoire originale
Pourquoi prendre une scientifique ? Patou-Mathis est conseillère scientifique, pas directrice scientifique. Dans une fiction, rien n'est interdit. Oui, Néandertal n'est jamais monté aussi loin au Nord, ni les ours blancs descendus autant dans le Sud. Or Ao combat un ours blanc. Et alors ? J'ai inventé Ao, j'ai inventé cet ours blanc. Ce qui leur est arrivé est rarissime, mais pas impossible. Combien de fois avons-nous connaissance d'événements incroyables ? Combien de fois constatons-nous que ce que nous tenions pour impossible est possible ? La vie est assez riche pour imaginer l'impossible. Si l'on traite de l'individualité et pas de la généralité, alors tout est quasiment possible à l'artiste. Le scientifique est là pour donner un avis au réalisateur, libre à lui, et à lui seul, de le suivre ou de l'ignorer. Ceci étant, je reste dans les limites du vraisemblable. Pourquoi aller chercher la Préhistoire si l'on ne se confronte pas à la réalité de l'époque en question ? C'est toujours le réel qui m'inspire et fait travailler mon imaginaire. Le scénario est dans le réel. Je trouve qu'il va souvent plus loin que l'imaginaire. C'est une aberration de le contraindre. Henri IV, par exemple, est un personnage dont la vie est hors du commun et dépasse bien des vies imaginaires. Il faut considérer AO comme un film d'aventure, racontant des hypothèses comme des vérités.
Il est étonnant de constater que, face à n'importe quelle fiction se déroulant à notre époque, le public est prêt à tout accepter, comme s'il se moquait de la vérité tant qu'elle lui est contemporaine. En revanche, dans le cadre d'un film historique, il serait beaucoup plus attaché à la crédibilité, la véracité, de ce qui lui est montré.

Pourquoi avoir réalisé L'Odyssée de l'espèce ? La trilogie était-elle prévue dès le début ou s'est-elle imposée du fait du succès ? Ce succès vous a-t-il surpris ?
C'était une demande de France Télévisions qui voulait faire un docufiction sur la Préhistoire, mais réalisé par un Français. En effet, depuis quelques temps, cette chaîne diffusait ce genre de films, mais uniquement comme coproducteur de la BBC. Ils voulaient en devenir les initiateurs et ont donc fait appel à moi, car j'avais déjà dans la fiction et le documentaire. C'était un pari très risqué. Ma principale crainte était que les gens n'y croient pas. Crainte infondée puisque ce fut un succès et cela pour plusieurs raisons. C'était une autre manière de raconter la Préhistoire, plus vivante, plus proche des gens. Le film est également sorti à une époque où les Français, un peu perdus, manquant de repères, se sont rappelés le vieux proverbe africain : « quand tu ne sais plus où tu vas, arrête-toi et regarde d'où tu viens ». Cependant, je ne m'attendais pas à un tel succès, d'autant qu'il fut mondial.
La trilogie n'était pas prévue au départ. Elle n'a pu se faire que grâce au succès de L'Odyssée. Les autres films ont également connu le succès, alors que la concurrence des autres chaînes a été très dure (notamment avec TF 1). Le sacre de l'Homme a été le meilleur score documentaire de France 2 de l'année 2007. J'aurais bien aimé continuer avec un docufiction sur la naissance de la démocratie en Grèce antique, mais cela n'a pu se concrétiser.

Pourquoi être passé du docufiction à la fiction ? Qu'apporte l'un de plus que l'autre ? l'un est-il supérieur à l'autre ?
La fiction permet d'aller plus loin que le docufiction. Elle montre bien plus clairement que la Préhistoire est une véritable terre d'aventure pour y rêver, une terre humaine où on découvre les sentiments premiers. De beaux sentiments puisqu'ils étaient ancrés dans une seule volonté : passer la vie, protéger, donner. De plus, dans mes docufictions je racontais plusieurs petites histoires, abandonnant mes personnages au bout d'un moment, ce qui est frustrant pour un réalisateur. J'avais envie de les suivre plus longuement, de les faire vivre pleinement. Dans le docufiction, on survole la dramaturgie. La fiction seule permet véritablement d'avoir du temps pour le récit inventé.
Le cinéma se prête mieux à l'exercice de la fiction préhistorique. Qu'aurait fait Ao à la télévision, un monde de flics, de profilers et d'« experts » ? De plus, la nature devant être un acteur du film, seul le cinémascope permettait de lui donner toute sa place. Sans dépeindre un monde hostile, je voulais montrer le côté minuscule de l'Homme face à cette planète qui a un gros cœur qui bat et qui vous respecte si vous la respectez. C'est l'objectif du premier plan du film où l'on voit Ao seul dans une immensité de neige, mélange de fragilité, de force, de détermination et de courage.

AO, LE DERNIER NEANDERTAL

Ao le dernier néandertalPourquoi un film sur Néandertal ?

Quand j'ai réalisé L'odyssée de l'espèce je ne pensais pas faire une fiction. Ce n'est qu'à la sortie du film en voyant l'impact émotionnel sur les gens et à quel point touche Néandertal que j'ai commencé à y songer, d'autant qu'on me proposa de faire la suite de La guerre du feu. Je ne désirai pas faire une telle suite (c'est le monde d'Annaud), en revanche quelque chose sur Néandertal oui car il est symbolique de la disparition de l'Homme et un vrai héros de cinéma (« sale gueule », physique terrible, une fin tragique).

La proximité avec le film d'Annaud, La guerre du feu, est-elle une coïncidence ou une volonté de votre part (les corps peints, la dernière image sur le ventre rond d'une femme) ?
Est-ce l'effet du hasard ? Vraisemblablement pas. Finir sur le ventre rond d'une femme enceinte s'explique par la nature même d'un film sur la Préhistoire : quand on fait un tel film, on montre que l'Homme passe du stade de survivant à vivant ; on parle de transmettre la vie, c'est la genèse. Quelle meilleure métaphore alors que l'image de la maternité ? Pour les corps peints, il n'y a aucune preuve directe, mais des indices : l'utilisation avérée de l'ocre dans le traitement des morts autorise à penser que les hommes préhistoriques devaient s'en servir pour se parer. On peut également partir de la comparaison avec les tribus existant aujourd'hui, qui sont comme l'écho de notre passé, et imaginer, à partir de leurs tatouages et peintures corporelles, ceux et celles de nos lointains ancêtres.

Pourquoi ce refus des images de synthèse ?
Sur L'odyssée de l'espèce, j'ai beaucoup utilisé les images de synthèse car c'était une nécessité technique. Cela avait d'ailleurs profondément ému Yves Coppens. C'était la première fois, par exemple, que Lucy était ainsi reconstituée. Pour les chercheurs, c'est l'aboutissement d'un rêve avec la concrétisation charnelle et en mouvement de ce qui n'avait été qu'un assemblage inerte d'os. Il faut cependant veiller à ne pas tomber dans le piège de l'image de synthèse : faire « trop propre ». Quand on maîtrise tous les éléments, on a tendance à enlever tout ce qui va faire la vie quand on filme quelqu'un : un cadre qui bouge, un clignement d'œil, etc. C'est donc pourquoi j'ai demandé à ce que Lucy cligne des yeux et volontairement inséré des accidents cinématographiques, quand la caméra rate le personnage et le rattrape. Tout cela pour amener une vraie vie, comme si on avait pu approcher Lucy. Pour Homo habilis, j'ai filmé comme dans un film animalier : de loin, acceptant au montage des regards caméra des acteurs comme je les garde de l'animal quand il lui arrive de fixer la caméra. Pour Néandertal, je suis plus dans le film ethnique et donc dans la recherche de réalité. Je me sens plus proche d'eux. J'ai imaginé que je m'étais intégré à eux.
Pour Homo Sapiens, j'ai utilisé les images de synthèse pour les mammouths et sur Le sacre de l'Homme pour reconstituer Sumer. Je ne suis pas contre l'image de synthèse, je trouve même cela fabuleux. Comme j'étais dans le documentaire, il fallait que j'illustre tout ce dont il était question.
Pour Ao, je voulais faire un film réaliste. Dans cette réalité là, je voulais qu'on s'identifie à cette vie, qu'on s'identifie au personnage. Je ne voulais pas prendre le risque de construire un écran entre le spectateur et ce qu'il regarde, de l'amener à se dire que ce que je lui montre n'existe plus. Si j'avais mis une scène de chasse au mammouth ou au rhinocéros laineux, il l'aurait regardée comme on regarde un monde disparu, qu'il n'a pas connu, un monde science-fiction et non de réalité. Au contraire, je voulais qu'il sente que 30 000 ans d'histoire ce n'est rien, c'est hier. Pour qu'il regarde ce film comme le sien, il fallait que je lui donne des repères qu'il connaît. Si je montre mon héros aux prises avec un mammouth, certes le spectateur a peur pour lui, mais sachant ainsi qu'il se situe dans le pur divertissement, ne peut s'identifier à lui. Je veux être dans le divertissement, mais pas en lui sacrifiant l'identification. En revanche, si je mets en scène des ours, des sangliers, des bisons, je renforce l'identification car ces animaux existent toujours. Les seuls mammouths que je montre sont dans un cimetière, métaphore de la disparition de Néandertal.

Pourquoi une voix-off ? Aujourd'hui en France le regrette estimant qu'elle « nous ramène sur le plancher des vaches » alors qu'« on était si bien avec les bisons ».
Depuis le début, je suis convaincu qu'il la faut. Elle n'est pas envahissante, d'ailleurs plus le film avance, plus elle se fait discrète. A la fin, elle disparaît quasiment, le spectateur étant tellement en osmose avec le personnage qu'elle en est devenue inutile. De plus, elle ne se veut pas pédagogique.
J'ai écrit et tourné le film en me disant qu'il y aurait une voix-off, mais sans penser à elle pour ne pas tomber dans la facilité qui consiste à lui faire expliquer une scène. Le spectateur comprend le film sans elle, mais sans elle peut-être ne peut-il aller aussi loin dans l'intimité du personnage, dans la compréhension de l'histoire et de ses ressorts les plus profonds. Elle est là pour lui tenir la main. Avec la voix-off, je voulais également qu'il comprenne que Néandertal avait une pensée élaborée, des sentiments, des émotions, une philosophie.

Ao le dernier néandertalPourquoi avoir voulu, pour vos docufictions comme pour Ao, un langage précis ? Comment s'est passée la collaboration avec Pelot ?
Parce qu'aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que nos ancêtres parlaient. J'ai écrit des dialogues en français adaptés au contexte préhistorique, avec des pensées simples et uniques. Je me suis inspiré du langage nomade, notamment mongol, qui, réduit au strict minimum, est un langage utile. Il existe d'ailleurs un proverbe Mongol qui dit : « Si tu laisses échapper un cheval, tu peux toujours le rattraper. Si tu laisses échapper un mot, tu ne peux jamais le rattraper ». Faire des dialogues en français permet aux acteurs de donner du sens aux scènes qu'ils vont devoir dire. Je voulais également qu'ils aient un véritable lexique pour qu'ils puissent improviser. Le langage libère le corps. Si on n'a pas de mot, on commence à faire du mime, ce que je ne voulais pas. Le mot permet d'accéder à l'émotion.
Pour créer ce langage « préhistorique », nous nous sommes appuyés sur les similitudes existant entre les différentes langues actuelles (maman se dit ainsi presque de la même façon dans le monde entier) et les correspondances ethniques. Au fur et à mesure des films, nous avons épaissi le lexique. Les mots que nous prêtons ainsi à nos personnages ont été inventé, mais avec une imagination rigoureuse au service de l'émotion, de la dramaturgie.

Pourquoi avoir autant soigné l'ambiance sonore avec ces bruits, ces cris d'animaux, etc ?
A chaque fois, je la soigne énormément. Je veux donner à entendre la nature puisqu'elle est l'un des protagonistes du film. Les acteurs jouent avec elle. C'est un véritable partenaire. Comme les acteurs ont des dialogues, elle-aussi doit « parler ». Mon travail est de reconstruire cet univers sonore, d'autant qu'il est bien malmené par le monde actuel. Les bruits de la nature représentent sa respiration, et cette respiration est une très belle musique. Souvent le son est délaissé alors que nous vivons dans un environnement sonore d'une richesse absolue. Le silence n'est jamais silencieux.
Cette ambiance est le résultat d'un mixage de200 pistes sonores, des bruits de pas aux froissements d'herbes en passant par les cris d'animaux, le bruit du vent ou la pluie tombant sur le sol... Le montage son est donc tout aussi important que le montage image, car c'est lui qui va donner du relief au plan. La musique world d'Armand Amar que j'ai voulue pour Ao se marie avec cet univers naturel car jouée avec des instruments tribaux, des voix qui vivent encore en nous.

Si Néandertal est présenté, au travers d'Ao, comme un être pacifique, les Cro-Magnon, quant à eux, sont souvent hostiles, et même violents. Est-ce délibéré ? Pourquoi ?
C'est un parti-pris narratif. Dans toute bonne fiction, il y a des « bons » et des « méchants ». Néandertal a déjà un physique qui passe difficilement auprès du public, en faire un « méchant » n'aurait pas été crédible car trop évident. Suivant la thèse de Patou-Mathis sur le pacifisme néandertalien, j'ai un peu durci le trait d'un Cro-Magnon pas belliqueux mais conquérant. Néandertal n'avait pas cette envie de conquête. Quand on est conquérant, on est forcément plus agressif, on a davantage peur que l'autre nous arrête dans cette marche vers la possession.
Présenter Cro-Magnon ainsi est aussi une critique de l'homme d'aujourd'hui, celui qui rejette l'autre et qui veut tout avoir. Celui qui veut posséder est, au final, moins sympathique que celui qui veut partager. Cette façon de voir n'est pas très éloignée de Rousseau. On a souvent taxé mes films de rousseauisme. Cela ne me gêne absolument pas. Je le revendique même.
Ao est-il davantage un film sur aujourd'hui que sur Néandertal ? Ne pouvait-on déjà en dire autant de votre Henri IV ?
Notre Histoire permet de comprendre beaucoup mieux le chemin parcouru, de ce qu'on a été, de ce qu'on est aujourd'hui. Tout film historique doit être d'aujourd'hui, c'est cela qui m'intéresse. Un film historique qui ne parlerait que d'hier, cela reviendrait à placer l'Histoire dans un aquarium. Je veux trouver dans le passé des échos à ma vie, des échos à la société. Faire un film historique qui n'entrerait pas en résonance avec aujourd'hui, ce serait comme regarder un poisson dans un aquarium, alors qu'il faut nager avec lui. L'Histoire est inscrite dans les gênes de tout le monde. Se réapproprier l'Histoire c'est se réapproprier soi-même. Les gens exceptionnels que montre le cinéma ne sont que sont que les révélateurs exacerbés de ce qu'est une société.

Votre film est une œuvre militante. En faveur de quoi ? Vous considérez-vous comme un cinéaste militant/engagé ?
Mon film est avant tout un hymne à la vie.
C'est aussi fondamentalement un film de défense des nomades, des valeurs qu'ils portent comme l'acceptation de la différence ou l'attachement à la nature, seul trésor du nomade. J'ai aimé les nomades en premier et c'est en me plongeant dans la Préhistoire, en m'apercevant qu'on avait ce nomadisme inscrit dans notre histoire, dans nos cœurs et nos corps, que les hommes préhistoriques m'ont autant passionné car je me suis dit qu'ils avaient les valeurs du nomadisme. C'est en prenant conscience qu'on venait de centaines de milliers d'années de nomadisme que je suis tombé amoureux de la Préhistoire.
C'est également un film sur la maternité et la paternité, l'attachement à la vie. Il veut faire prendre conscience aux gens que tous les enfants du monde sont nos enfants, ce dont les hommes préhistoriques étaient convaincus.
Je refuse le terme de militant. Le militant manque d'ouverture. Je me situe à l'exact opposé puisque j'essaie de m'ouvrir au maximum pour donner et prendre les richesses de la vie. C'est cette attitude qui vous fait sentir vivant.
Si essayer d'être un homme de cœur est un engagement, alors oui je suis un cinéaste profondément engagé. Ce n'est pas du militantisme au sens politique. Je veux simplement faire partager aux spectateurs ce que nous avons partagé sur le tournage. Ce sont ces richesses de partage qui doivent être le tissu des relations humaines. J'adore rencontrer des gens différents, les faire parler de leur vie, de leur métier. Cette richesse humaine, je veux l'explorer dans toute sa diversité. La Préhistoire nous ramène ainsi à l'essentiel.

Pascal SEMONSUT
Docteur en histoire


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Du même auteur, Pascal Sémonsut  
Le passé du fantasme

Le passé du fantasme
La représentation de la préhistoire en France dans la seconde moitié du XXe siècle, éditions Errance, 2013.
Pascal Semonsut présente les représentations de la préhistoire depuis les années 50. On pourrait penser naturellement que cette science n'évolue pas beaucoup du fait qu'elle étudie des objets et des faits qui datent de plusieurs dizaines de milliers d'années... Pascal Semonsut nous démontre le contraire ! Le cinéma, les livres scolaires, les films, les bandes dessinées et bien sur la télévision présentent la préhistoire de manières différentes selon l'époque, le contexte politique.
Chacun a sa propre vision de la préhistoire. Avec cet ouvrage on découvre pourquoi et comment cette vision s'est construite !
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Mis en ligne le 01/06/13