L’ocre, premier pigment à la Préhistoire
Véritable colorant naturel, les preuves de l’utilisation de l’ocre par les hommes du Paléolithique sont nombreuses et variées depuis presque 300 000 ans.
L'ocre désigne un ensemble de roches consituées d'oxydes de fer et argiles, dont la couleur dérive géneralement de minéraux comme (...) la goethite (ocre jaune), l’hématite (ocre rouge) et plus rarement la limonite (ocre brune). Les hommes préhistoriques avaient déjà trouvé qu'en faisant chauffer de l'ocre jaune, la couleur se modifiait, passant par l'orange, puis le brun, pour finir par un bel effet de rouge !
A droite, blocs d'ocre taillés
- Grotte de Fontarnaud - Photo Neekoo
Musée d'Aquitaine Bordeaux
Il existe différent types d'ocre, certains plus riches en argiles ("terres argileuses" ou "argiles ferrugineuses") et d'autres plus riches en grains de quartz ("grès ferrugineux"). Il faut noter que, quelle que soit « la couleur, les propriétés chimiques de l’ocre n’en dépendent pas… ». Si c’est plutôt l’ocre rouge qui a été utilisé à la Préhistoire, on peut supposer que c’est plus spécifiquement le symbole qui en est la raison principale mais pas unique. Dans de nombreuses populations et cultures, la couleur rouge est chargée de sens et synonyme de sang, d’alerte, et plus récemment d’interdit ou de sexe.
Les premiers préhistoriens ont remarqué la présence de l'ocre dans de nombreux gisements paléotlithiques. Objets, outils, représentations artistiques, sépultures... tous ces éléments présentent des traces, de la poudre ou même des morceaux d'ocre...
"Dès le Paléolithique ancien, dans l' Acheuléen de la grotte du Castillo (Santander, Espagne), le Moustérien de cette même caverne et de la Cueva Morin (Espagne), de La Chapelle-aux-Saints (Corrèze), les découvertes de matières colorantes, ocre rouge ou jaune, hématite, apportées volontairement dans ces stations, celles de palettes en pierre portant des taches de couleurs à La Ferrassie (Dordogne) et de tubes d'os d'oiseaux ou de canons de Cervidés et d'Ëquidés, ayant contenu de poudres de couleur, impliquent l'usage de peintures corporelles, coutume qui pouvait n'être, aux origines, qu'une mesure d'hygiène, mais qui se poursuit et se développe pendant le Paléolithique supérieur et se manifeste également dans les rites funéraires." Les Hommes de la Pierre ancienne, Henri Breuil & Raymond Lantier, 1959.
Utilisations de l’ocre comme colorant à la Préhistoire
Colorant puissant et naturel, l’ocre a été utilisé de différentes manières à la Préhistoire. Par chance, les paléolithiques nous ont laissé un grand nombre d’éléments qui présentent, souvent sous forme de restes, des traces d’ocre. Il arrive également de trouver des morceaux d’ocre sous forme de crayons (pour tracer des lignes) ou de galets présentant des traces de frottements (probablement utilisés pour produire de la poudre d'ocre). Ces crayons sont une preuve tangible de l’utilisation de colorants par les mains humaines. Dans un premier temps les scientifiques attribuaient ce comportement uniquement aux Homo sapiens. Plus les découvertes se multiplient, plus il est assuré que Néandertal, et probablement d’autres lignées humaines, utilisaient l’ocre..
A droite - Bloc d'ocre présentant des stries formant des formes géométriques - Grotte de Blombos- © Christopher Henshilwood, Smithsonian Magazine.
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Incisions en V sur un morceau d'ocre découvert
à Pinnacle Point (Afrique du Sud). Photo de Watts |
Morceaux d'ocre - Grotte de Pair-non-Pair
Photo Neekoo - Musée d'Aquitaine - Préhistoire |
Des outils ou récipients
De nombreux outils ou récipients présentent des traces d’ocre, soit parce qu’ils ont servi de contenant au colorant, soit parce qu’un outil a été utilisé pour réduire l’ocre en poudre. En terme d’outils, la meule d’Altamira ou encore les coquillages-récipients d’ocre à Blomblos, sont des artéfacts qui déclinent le processus de transformation de la matière première. Les paléolithiques devaient préparer l’ocre pour l’utiliser, en le broyant et/ou en le chauffant, mais ils devaient également le transporter pour faciliter son utilisation. Dans ce cas les coquilles étaient utilisées comme godets naturels. Anton et los Aviones.
Ci-dessus, coquillage ayant servi de récipient pour de l'ocre découvert dans la grotte de Blombos, recouvert à l'origine d'un galet comme comme "couvercle".
A droite : colorants et objets ayant servi à les racler, Combe Grenal, Comme, Dordogne (Fouilles F. Bordes) - Photo Kroko Musée National de préhistoire des Eyzies-de-Tayac |
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Meule ayant permis de réduite de l'ocre en poudre
Grotte de Sibudu
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Outil ayant servi à broyer de l'ocre - Grotte du Porc-Epic - Daniela Eugenia Rosso Africa Pitarch Martí Francesco d'Errico |
Des objets recouverts d’ocre en partie ou totalement
Les objets d’art mobilier présentent parfois des traces rougeâtres qui, une fois analysées, indiquent l’utilisation d’ocre : statuette ou objet rougis. On peut citer la vénus de Willendorf ou celle de Laussel. L’ensemble de la représentation était en fait recouverte d’ocre, mais la matière colorante ne s’est conservée que dans les renfoncements et les rainures. Sur un élément entièrement recouvert d’ocre on peut imaginer que l’impact visuel était très fort. Pour l’anthropologue Lawrence Guy Straus « cette couleur devait être extraordinaire, probablement parce que la teinte rappelle celle du sang qui peut aussi bien symboliser la vie que la mort ».
Plusieurs objets interprétés comme éléments de parure présentent des traces d'ocre qui devaient participer
au rendu final.
On ne peut pas oublier les célèbres galets du Mas d’Azil qui ont été colorés de plusieurs façons : par points, par aplats, par bandes…
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Galets peints trouvés au Mas d'Azil -
Parc de Préhistoire de Tarascon -Photo Kroko |
Sépultures recouvertes de pigment
Un grand nombre de sépultures ocrées ont été découvertes en Eurasie, de l’extrémité ouest en Espagne jusqu’à la Russie à Sungir. Même si la plupart sont datées du Gravettien, leur diversité géographique et chronologique montre une pratique culturelle récurrente. On peut supposer que l’ocre dans les sépultures préhistoriques était utilisé à des fins de décoration ou de rituel, mais cela pouvait être également un moyen de préserver les défunts avec une matière désinfectante. Le préhistorien Paul G. Bahn propose même que l'ocre pouvait être utilisé "pour neutraliser les odeurs et pour contribuer à la conservation du corps".
Parmis les sépultures ocrées les plus remarquables, on peut citer le squelette de la Dame rouge d’El Miron, le squelette de Laghar Velho, la Dame de Menton, la femme de Saint-Germain-la-rivière.
Des sépultures similaires, avec coquilles et/ou dents percées, recouvertes d'ocre sont caractéristiques du Gravettien européen, en particulier de Grande Bretagne (Paviland), d'Italie (Arene Candide, Barma Grande, Caviglione, Ostuni) et de République Tchèque (Brno, Dolni Vestonice).
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C'est dans la grotte du Cavillon qu'on a exhumé le squelette de l'Homme ou plutôt de la Femme de Menton... Photo kroko
Musée régional de Menton |
La sépulture Mungo 3 était recouverte d'ocre
Région des Lacs Willandra
Australie - 40 000 ans |
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La tombe de Sungir (- 25000 ans) contenait le corps d’un homme avec de nombreuses parures (perles cousues, bracelets, pendentif). Là aussi l’ensemble du corps était couvert de plusieurs couches d’ocre. |
St Germain-la-Rivière : une jeune femme (20 ans) corps en position fœtale, parure de dents. La sépulture était intégralement recouverte d’ocre. Musée de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac - Photo Kroko |
Parois peintes : utilisation de l’ocre dans la palette de couleurs de l’art pariétal.
Avec le charbon ou le manganèse, l’ocre est la couleur la plus utilisée sur les parois des grottes, soit comme unique couleur du dessin comme à Arcy-sur-Cure, Cougnac ou Pech-Merle par exemple, soit en projection pour des mains négatives ou positives, soit en aplat pour colorer un animal (Lascaux, Font-de-Gaume). Afin que la couleur "tienne" sur la paroi l'ocre broyé en poudre pouvait être mélangé avec un liant (graisse animale, eau, salive...). Il pouvait être appliqué avec un "pinceau", projeté en crachant la matière ou tamponné avec une peau.
L’ocre pouvait également colorer une partie de la paroi pour la mettre en valeur ou souligner un élément. Il y a bien sûr le cas des mains négatives qui apparaissaient dans un halo d’ocre (Chauvet, Del Castillo). Il existe également des cas où l’auteur a voulu transformer une simple anfractuosité de la paroi en sexe féminin par l’ajout de matière colorante (Font-de-Gaume). L'ajout d'ocre sur des gravures a également été observé "comme à Pair-non-Pair où il y a de nombreuses traces d'ocre dans les incisions aussi bien que sur les zones en relief" (Paul G. Bahn).
Les représentations sculptées sur une paroi étaient parfois entièrement recouvertes d’ocre, même si par la suite le bloc s’est détaché comme c’est le cas pour la Vénus de Laussel.
Autres utilisations de l’ocre ?
Bâtons ou galets d’ocre, coquilles récipients du colorant, ces éléments montrent que l’ocre était utilisé dans la vie quotidienne des paléolithiques. Les chercheurs ont donc essayé d’imaginer les autres usages possibles de l’ocre à la Préhistoire… Ces utilisations ne laissant pas de traces fossiles, elles ne sont pas certaines… juste imaginables.
Utilisation corporelle
Les hommes et les femmes du Paléolithique pouvaient, à la manière des populations Himba en Namibie, s’enduire le corps d’ocre de manière totale ou partielle. Voici quelques pistes, imaginées par les scientifiques, pour expliquer la coloration du corps :
- pour des raisons esthétiques, afin d’orner le corps en le distinguant, ou au contraire, en l’assimilant au reste du groupe
- pour afficher l’appartenance à une communauté (un clan…)
- pour profiter des vertus désinfectantes de cette terre
- pour se protéger du soleil, de la sècheresse ou même des insectes…
En attendant de retrouver un épiderme paléolithique, nous ne sommes que dans le registre des possibles et des probables ! Il faut toutefois noter que certaines représentations féminines présentent des « décors » sur le corps. Ces éléments peuvent être de l’habillement, des tatouages, des scarifications ou tout simplement des colorants… On peut citer notamment la Vénus à la poire de Brassempouy, qui présente des traits parallèles sur le corps.
Utilisations pratiques
On peut supposer que pour traiter des peaux animales, les paléolithiques utilisaient l’ocre comme moyen de tannage du cuir.
Pour emmancher des outils par exemple, il fallait faire chauffer un mélange de résine, de cire et de l’ocre comme liant pour réaliser une sorte de « colle forte » dont on a retrouvé des restes sur des outils ou des armes.
Twin Rivers |
Zambie |
Entre 260 000 et 400 000 ans |
176 Fragments de colorants dont certains avec des traces d’usure |
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Kapthurin |
Kenya |
300 000 ans |
70 morceaux d’ocre rouge |
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Tata |
Hongrie |
Entre 70 000 et 116 000 ans |
Dents frottée à l’ocre |
Restes de Néandertaliens |
Mastricht Beleveder |
Pays-Bas |
250 000 ans |
Gouttelettes issue d’un liquide contenant de l’ocre versé sur les sédiments |
Néandertal |
Saï Island |
Soudan |
180 000 ans |
Blocs rouge et jaune utilisés et des outils ocrés
Crayons d’ocre, godets, spatules, broyeurs |
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Sodmein |
Egypte |
115 000 ans |
Eclat Levallois présentant un trait d’ocre parcourant les 2 faces |
Homo sapiens |
Blombos |
Afrique du sud |
100 000 ans |
Coquillages (récipients) meule de pierre enduits d’ocre |
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Blombos |
Afrique du sud |
75 000 ans |
Morceaux d’ocre striés |
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Pinnacle Point 13B |
Afrique du sud |
40 000 ans |
Ocre broyé et raclé |
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Porc-Epic |
Ethiopie |
40 000 ans |
21 outils ayant servis pour la préparation de l'ocre et plus de 40 kg de fragments d'ocre |
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Kendrick's Cave - Great Orme |
Pays de galles |
30 000 ans |
Dents recouvertes d’ocre |
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Temnata |
Bulgarie |
Entre 40 000 et 50 000 ans |
Morceaux d'ocre |
Néandertal |
Grotte des pigerons |
Maroc |
82 500 ans |
Coquillages percés et ocrés |
Homo sapiens ? |
Pech de l’Azé I |
France |
43 500 ans |
500 blocs de dioxyde de manganèse et d’oxyde de fer |
Crâne enfant Néandertal |
Piekary |
Pologne |
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Crayons d’ocre |
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Le Moustier |
France |
Entre 42 000 et 50 000 ans |
Squelette saupoudré de poudre rouge |
Néandertal |
Arcy sur Cure |
France |
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23 kg d'ocre sous forme de galets, crayons, morceaux |
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Laugerie basse |
France |
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Vénus impudique avec des traces d’ocre sur le sexe et la poitrine |
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Mas d’Azil |
France |
10 000 |
Galets aziliens avec des aplats d’ocre rouge (-10 000 ans) |
Homo sapiens |
La Ferrassie |
France |
Chatelperron |
Plus de 18 kg de blocs d’ocre avec des traces de grattage, et dans un foyer |
Néandertal |
Sibudu Cave |
Afrique du Sud |
49 000 ans |
Petite meule de pierre avec une base d’ocre et de lait |
Homo sapiens |
Anton et Los aviones |
Espagne |
50 000 ans |
Coquillages utilisés comme récipients d’ocre |
Néandertal |
C.R.
Hominides.com remercie chaleureusement Daniela Rosso (CNRS) pour ses conseils et sa participation à la création de cette page.
Sources :
Aux origines de la Parure Maria Vanhaeren - Francesco d'Errico - Pour la Science, Juillet 2008.
Pigments, gravures, parures : les comportements symboliques controversés des néandertaliens - Marie Soressi - Francesco D'Errico.
A l'aube de la pensée symbolique - Kate Wong - Pour la Science Juillet 2005.
Les premiers objets de parure - Conférence d'Yvette Taborin Octobre 2009 - Musée d'Archéologie Nationale - St Germain-en-Laye.
Les parures au paléolithique. Enjeux cognitifs, démographies et identitaires. Steven L. Kuhn et Mary C. Stiner - Diogène 2006.
http://www.smithsonianmag.com/history-archaeology/fossil-dating.html.
L'Art de l'époque glaciaire - Paul G. Bahn Symbolic use of marine shells and mineral pigments by Iberian Neandertals Zilhao et al 2010
Middle Stone Age Ochre Processing and Behavioural Complexity in the Horn of Africa: Evidence from Porc-Epic Cave, Dire Dawa, Ethiopia
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