Les représentations masculines.
Les images masculines paléolithiques sont soit globales : le corps en totalité ou presque, soit partielles : le phallus.
Les représentations masculines globales sont relativement peu nombreuses, au paléolithique, selon JP. Duhard (1996) il n’en existerait que 73. Il s’agit toujours de figures assez sommaires, incomplètes et sans caractère artistique bien affirmé. Le beau comme le vrai ne faisaient pas, à l’évidence, partie des préoccupations des artistes préhistoriques quand ils cherchaient à représenter l’homme, si tant est qu’il soit fondé de parler d’artistes dans ces cas. Un point est également très frappant : la fréquence de l’érection. JP. Duhard en relève 28 cas soit 38%. A ces cas il faut maintenant ajouter les ithyphalliques de Saint-Cirq du Buge, de Pergousset et de Foz-Coa découverts plus récemment. Depuis la fin du paléolithique l'érection ne sera jamais plus représentée avec une telle fréquence. On ne saurait nier qu’il s’agit là d’une manière d’affirmer le caractère masculin d’une figure qui est en règle des plus sommaires, très souvent d’ailleurs il s’agit du seul indicateur de sexe retenu alors que les figures féminines sont en général surdéterminées. Mais ce choix exclusif n’est pas innocent, d’autres critères anatomiques auraient pu êtres |
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Lascaux - La scène du puit |
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employés, épaules larges hanches étroites ou thorax épais par exemple, ils étaient connus et ne posaient aucun problème technique. On note également le contraste frappant avec les représentations animales dont le sexe est en général éludé malgré leur extrême précision anatomique. Ces images trouvent leurs exacts correspondants du côté des images féminines sous la forme d’un intérêt soutenu pour la représentation de la vulve. |
A l’inverse de ce qui existe pour des représentations féminines les figurations partielles masculines, pariétales ou mobilières, n’appartiennent qu’à un seul type : le phallus et ne sont pas très nombreuses. Elles n’en constituent pas moins un ensemble qui est loin d’être négligeable. Un rapide décompte n’ayant pas d’autre ambition que d’épuiser les moyens d’une modeste bibliothèque d’amateur montre une quarantaine de représentations pariétales ou mobilières. Depuis l’Aurignacien elles couvrent tout le paléolithique supérieur sur la majeure partie de l’Europe : France, Espagne, Moravie, Autriche, Pologne. Ceci marque nettement l’intérêt exceptionnel porté au sexe masculin. Il faut surtout noter l’existence de quelques pièces soignées, réalistes quand elles ne font pas preuve de créativité ou d’une surprenante fantaisie : Pendeloque de Saint |
Le Roc de Marcamps
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Marcel, Double phallus de Gorge d’Enfer, Phallus à tête humaine du Roc de Marcamps, Vénus de Weinberg massif fessier surmonté d’un phallus. Point remarquable le sexe est ainsi au Paléolithique la seule partie du corps masculin à mériter un traitement artistique.
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Les représentations féminines.
Les représentations féminines sont comme leurs homologues masculines soit globales soit partielles. Les représentations globales présentent un certain nombre de caractères qui témoignent de l’intérêt soutenu porté à la femme tout au long du Paléolithique : leur nombre, leur qualité et leur structure. L’examen des représentations partielles fournit une confirmation.
A l'inverse des représentations masculines les images féminines sont extrêmement nombreuses, leur seul nombre est un indice parlant de l’évident attrait exercé par la femme. JP. Duhard dénombre pour la France seule plus de 200 figurations féminines auxquelles viennent s’ajouter les nombreuses statuettes des groupes Rhéno-Danubien, Russe et Sibérien, comme les multiples représentations partielles : vulves et profils fessiers type Lalinde ou claviformes.
La qualité est également parlante. Les représentations masculines sont toutes sommaires, réalisées sans le moindre souci du réel et sans la moindre préoccupation artistique. Les figurations féminines au contraire se répartissent en deux groupes. Le premier de loin le moins nombreux se compose de figures sommaires tout à fait comparables à ce qui s’observe du côté masculin. L’exemple type pourrait être constitué par les figures de La grotte de la Marche. Le second groupe est constitué par des sculptures et des gravures réalisées avec un souci assez évident de reproduire la réalité de façon à la fois satisfaisante et artistique. Cette tendance s’exprime de deux manières différentes, d’une part la recherche de formes gracieuses, harmonieuses, équilibrées (La Magdeleine des Albis) ou stylisées (la Vénus de Lespugne) voire normalisées (Le Losange de Grimaldi). La femme s'inscrit ainsi avec les grands mammifères parmi les thèmes artistiques majeurs de l'art paléolithique.
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La Magdelaine des Albis - gravure
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La Magdelaine des Albis -relevé |
Les statuettes féminines gravettiennes, qu’elles soient françaises, rhéno-danubiennes, russes ou sibériennes présentent presque toutes un corps plus ou moins complet. Les régions ou organes représentés répondent à un schéma unique et de ce fait significatif.Ce qui n’est pas montré, ce sont les mains, les pieds, les traits du visage quand ce n’est pas la tête entière. Ce qui est représenté ce sont : les seins, les fesses, le sexe, l’abdomen et les tissus adipeux de la ceinture pelvienne, toutes régions ou organes dont le caractère sexuel ne fait aucun doute. Lorblanchet (1995) a sur ce point justement noté : « La réduction du corps humain aux parties médianes conduit finalement à résumer l’individu à un sexe ». Vialou (1998) fait la même remarque. Duhard (1993) parle de privilège abdominal.
Le volume des seins, des fesses, de l’adiposité pelvienne sont en outre souvent exagérés. Le sexe qui ne se prête pas à un tel traitement (la vénus de Monpazier fait cependant exception) est souligné par une fente anatomiquement fausse et d’autant plus significative qu’elle est dans ce contexte inutile, ce point sera examiné en détail plus loin. Dans la plupart des cas la fente vulvaire n’est rendue visible que par une distorsion majeure montrant bien tout l’intérêt qui lui est attaché. La Femme au Renne de la Laugerie-Basse est à cet égard tout à fait significative. Cette pièce célèbre montre une femme, en décubitus dorsal, cuisses demi fléchies. Dans cette position, à l’évidence, la vulve n’est pas visible. Le graveur a cependant tenu à la faire figurer et à en montrer la fente, privilégiant la réalité fonctionnelle sur la vérité anatomique.
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Vénus de Lespugne |
Le losange de Grimaldi |
Vénus de Monpazier |
Les représentations féminines partielles comprennent les vulves et les profils fessiers. Les premières constituent un thème tout à fait particulier de l’art paléolithique. Jamais plus cette partie du corps féminin ne sera représentée aussi souvent et avec un tel soin. Dans les grottes ornées la vulve est une figure banale et fréquente à tel point que le premier étonnement passé cette image est tout juste signalée. Un discret voile de silence recouvre ce thème d’autant plus facilement qu’il est assez incongru par rapport aux interprétations les plus courantes de l’art paléolithique, magico-religieuses, totémiques ou structuralistes.
Le nombre des vulves est considérable mais, de façon un peu curieuse, à une époque ou la statistique occupe en préhistoire une place de choix, personne ne semble s’être avisé de les dénombrer. L’extension dans le temps est également très importante : D. Vialou (1991) « les vulves traversent sans variations notables les temps et les cultures préhistoriques. ».
Les vulves s’observent en effet, de façon courante, depuis l’Aurignacien, (La Ferrassie, Abri Cellier) jusqu’au Magdalénien (Tito Bustillo). L’extension dans l’espace est également considérable puisque des images vulvaires s’observent jusqu’à Maszycka (Pologne) et Kostenki (Russie). Avant d’aborder les questions de forme, signalons une petite curiosité : les vulves ont gardé leur dénomination première pourtant inexacte. Ce qui est représenté est en fait le triangle pubien. Depuis Breuil la nature sexuelle féminine des ces figures n’est contestée par personne sauf par P. Bahn (1988). Pourtant le simple rapprochement avec les vulves en place, celle de la Femme au Renne par exemple, devrait suffire à lever le doute.
La forme des images vulvaires est dans l’ensemble assez simple : un triangle dont la pointe est marquée par une bissectrice plus ou moins étendue. Les variantes sont constituées par des formes incomplètes, dépourvues de base et par des formes aux angles plus ou moins arrondis allant jusqu’à former des images piriformes. A coté de ces figurations du triangle pubien, il existe des images vulvaires arrondies ou ovalaires volontiers marquées d’une large fente. Il s’agirait soit de triangles arrondis à l’extrême soit de représentations de vulves en vue périnéale montrant les grandes lèvres de part et d’autre du vestibule. Cette dernière lecture est possible sans être tout à fait satisfaisante. Le périnée est en effet une région dont la forme, assez mal définie, il peut s’inscrire dans un ovale très allongé mais plus difficilement dans un cercle. Quoiqu’il en soit, il s’agit de figures vulvaires.
A de rares exceptions près, les figures vulvaires isolées présentent une fente. Rien ne parait à priori plus normal. En fait la fente vulvaire n’est pas visible sur la femme adulte debout. Elle ne devient visible sur les représentations que grâce à une distorsion relevant du réalisme intellectuel de GH. Lucquet ou mieux, de la perspective tordue, procédé récurrent dans l’art paléolithique. Il s’agit ici en effet de rendre visible dans le plan frontal une fente qui ne l’est que dans le plan périnéal ou horizontal. Cette particularité est signalée par quelques auteurs de E. Piette (1902) à JP. Duhard mais peu commentée. La taille de la fente est un autre détail à noter. Une fente modeste serait à l’évidence suffisante pour marquer le caractère sexuel d’une figure qui autrement ne serait qu’un triangle plus ou moins arrondi. Bien au contraire la fente vulvaire paléolithique est toujours très marquée voire disproportionnée. Les images vulvaires rondes ou ovalaires présentent une déformation du même genre.
L’équivalent de la fente est ici souvent un sillon largement béant alors que, bien entendu, le vestibule ne l’est jamais. Fentes de taille marquée : Tito-Bustillo, Les Combarelles (panneau 67). Béances : La Ferrassie, Abri du Poisson et dans l’ordre des vulves extraordinaires le relief aménagé à l’ocre de Font de Gaume et les vulves gigantesques de Pergousset N° 38 25x27 cm. N° 82 23x20 cm. N° 138 50x36cm. Fente ou béance, cette déformation constante qui rend visible ce qui ne l’est pas normalement n’est pas le fruit du hasard. La fréquence de ces images témoigne de l’attention portée au sexe de la femme dans ce qu’il a de plus secret, et peut-être, de plus passionnant. Cette outrance représentative est le juste pendant de l’ithyphallisme. |
Tito Bustillo |
Pour en terminer avec les représentations du sexe féminin il faut évoquer une pièce unique, la très curieuse pendeloque de St Marcel conservée au M.A.N. Il s’agit d’une minuscule pendeloque mesurant 5,7x1,6 cm. dont la face gravée représente de façon schématique, mais tout à fait claire, d’après A. Leroi-Gourhan et D. Vialou, un périnée. Cette œuvre est le symétrique exact du petit phallus pendeloque conservé au musée de St Marcel. SM. Nelson puis RD. Guthrie ont soutenu que l’art paléolithique avait été fait par et pour des hommes, on s’interroge pour savoir qui à La Garenne portait ces deux bijoux. Malheureusement on s’interroge aussi sur l’authenticité de cette pièce. A noter cependant quelques éléments favorables. Son inventeur (Benoist) ne l’a pas décrite comme représentant un périnée, elle parait trop originale par rapport aux figurations féminines du Paléolithique pour avoir été inventée de toute pièce, surtout par son thème comme par sa taille elle correspond tout à fait à la petite pendeloque phallique de St Marcel dont l’authenticité n’est pas discutée.
Dans le même ordre d’idées il y a lieu de signaler une petite pièce connue sous le nom de « coccinelle » de la Laugerie-Basse mais qui selon Leroi-Gourhan (1965) est « généralement considérée comme figurant une vulve » ainsi que la pendeloque vulvaire d'Enlène.
Les fesses paraissent un autre point à prendre en considération dans la mesure où, comme la fente vulvaire, il a retenu l’attention des Paléolithiques au delà de toute mesure. Dès la découverte des premières statuettes, les préhistoriens ont été frappés par l’importance donnée au massif fessier et ont évoqué la stéatopygie des femmes Boschiman. Cette comparaison n’est plus maintenant retenue au profit des notions de stéatomérie et de stéatocoxie plus exactes du point de vue de l’anatomie. Quoiqu’il en soit le massif fessier vu par les premiers sapiens est plus que généreux quand il n’est pas franchement disproportionné. La quasi totalité des statuettes gravettiennes de toutes origines en témoigne. Quelques pièces sont de surcroît particulièrement significatives. Par exemple la Vénus de Weinberg, massif fessier surmonté d’un phallus, qui de façon très manifeste, a été conçue pour être vue de profil ou de dos. De face cette pièce ne représente rien.
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Vue de face |
Vue de dos |
Vue de profil |
Vue supérieure |
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Vénus de Weinberg |
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Les profils fessiers sont de deux sortes presque aussi répandues l’une que l’autre : les profils fessiers type Lalinde-Gönnersdorf et les claviformes. Le caractère féminin des premiers est confirmé par la présence inconstante de seins. Les images de ce type sont innombrables tant en France qu’en Allemagne. Après Leroi-Gourhan les claviformes sont assez volontiers reconnus comme des profils féminins, bien que certains auteurs continuent à les regarder comme des signes abstraits non décodés D. Vialou (1991, 1998). A l’inverse Y. TABORIN (2004) admet le caractère féminin des claviformes dans le cadre de ce qu’elle nomme les formes convexo-concaves. Seule la découverte d’un claviforme avec un sein pourrait permettre de trancher définitivement cette question, à moins de considérer qu’une des statuettes de Nebra, découverte dans un niveau Magdalénien, représente ce chaînon manquant.
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Le Roche Lalinde
Gravures (à gauche) et Relevé (à droite)
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Quoiqu’il en soit, les claviformes peuvent être considérés comme des symboles féminins, au moins avec quelque réserve. Les profils fessiers type Lalinde et les claviformes sont la résurgence, au Magdalénien, de l’attrait pour les fesses qu’exprimaient déjà au Gravettien les statuettes. JP Duhard (1996) note à ce sujet « Au Magdalénien final les fesses tendent à devenir le caractère sexuel féminin essentiel sinon unique ». En d’autres termes les fesses constituaient au Paléolithique une zone érogène très privilégiée. |
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Gönnersdorf |
Les Trois Frères
Claviforme peint |
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La nudité.
Un caractère commun aux images des deux sexes est la nudité. Les représentations de vêtements sont rares au Paléolithique et bien souvent discutables. Seule la femme à l’anorak du Gabillou (sujet 110) paraît vêtue de façon convaincante. La quasi totalité des figurations féminines est nue, exception faite de quelques éléments de parure (voir le Venus de Kostenki). Les figurations masculines ne sont pas plus vêtues. Cette nudité est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas adaptée au climat de l’époque. Cette situation paradoxale a fait couler pas mal d’encre, cinq types d’hypothèses ont étés envisagées :
1 Pour Z. ABRAMOVA la nudité pourrait avoir une signification magique « particulière ». Ce point de vue, qui ne semble pas avoir été commenté, s’appuie sur un unique précédent ethnographique chez les Aléoutes.
2. La nudité pourrait être une image de la réalité. En effet certaines peuplades, les Yaghans et les Alakalufs en particulier, sont connues pour vivre nues à des températures très basses souvent inférieures à zéro. Ce fait, bien que surprenant pour notre époque, est certain . Mais, au Paléolithique, si le vêtement n’est pratiquement jamais représenté, il n’en existe pas moins comme en attestent les aiguilles à chas, les boutons et certaines sépultures, Grimaldi et Sunghir entre autres. Dans ces sépultures une multitude de coquillages percés accompagnent plusieurs squelettes et dessinent la forme des vêtements sur lesquels ils étaient cousus. Cette hypothèse peut donc être écartée. Les vêtements, comme les mains, les pieds, les traits du visage etc. ont été volontairement éludés. |
La femme à l’anorak du Gabillou
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3. La motivation esthétique. Le corps nu, surtout féminin, est un des sujets les plus exploités par les arts des époques historiques mais, cette motivation si elle est bien réelle voire prédominante dans de nombreux chefs d’œuvre contemporains, n’est pas pour autant nécessairement exclusive. Par ailleurs le vêtement n’est pas en lui même inesthétique, l’art des époques historiques en donne d’innombrables exemples. Au Paléolithique tout le monde est représenté nu malgré le climat. En outre l’évocation d’un vêtement, à l’évidence, n’aurait pas nui à l’esthétique de bien des silhouettes masculines particulièrement disgracieuses .
4. La nudité des humains constitue un élément d’identification par rapport aux animaux. Cette idée avancée par E. Schmid (1979) est intéressante. L’opposition entre les grands herbivores, puissants et couverts de fourrure, et les humains chétifs et nus, est en effet constante au Paléolithique. Mais même si la nudité était aux yeux des premiers sapiens une caractéristique essentielle de l’humanité, cette étonnante anticipation du concept de singe nu n’exclut pas forcément d'autres motivations. Dans certains cas cependant une nudité de ce type peut se trouver en situation dominante. Ce pourrait bien être le cas pour la célèbre scène du puits de Lascaux. Comment en effet comprendre autrement la nudité et l’érection de l’homme aussi incongrues l’une que l’autre dans une scène de chasse ou le chasseur, même s’il a porté un coup heureux et particulièrement puissant, est en fâcheuse posture.
5 L’hypothèse de l’érotisme. Cette motivation a été évoquée par différents auteurs, S M.Nelson et RD. Guthrie en particulier. Il ne paraît pas utile d’ouvrir une discussion sur le point de savoir si la nudité est érotique en elle même. Le caractère plus ou moins érotique d’une figure nue peut-être en grande partie déterminé par le contexte et tel était le cas semble t-il au Paléolithique, en particulier pour les statuettes Gravettiennes. En outre une figuration féminine nue peut fort bien être érotique tout en étant belle et avoir pour les paléolithiques une résonance franche dans le de l’opposition humain-animal.
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Conclusion.
Au total les figurations humaines paléolithiques montrent des humains nus, des hommes peu nombreux, maladroitement dessinés, chétifs mais souvent en érection, des phallus assez nombreux parfois décorés, des femmes en grand nombre, souvent élaborées ou schématisées, dont seule la partie centrale du corps est retenue : vulve, seins, fesses, abdomen, cuisses. A côté de ce schéma existent des figurations féminines partielles elles aussi sexuelles : vulves fendues à l’extrême, (à la limite il serait presque plus juste de parler de fentes vulvaires entourées d’un triangle), multiples profils fessiers type Lalinde-Gönnersdorf ou claviformes soulignant la persistance à travers tout le Paléolithique d’un attrait majeur pour le massif fessier. Les préhistoriques éludaient hardiment tout ce qui était banal à leurs yeux : les mains, les pieds, les traits du visage, la ligne d’horizon ou la vie quotidienne etc. s’ils ont figuré des érections, des femmes réduites à la partie centrale de leur corps, des fentes vulvaires et des massifs fessiers, c’est bien parce que la sphère sexuelle était pour eux un centre majeur d’intérêt. Comment s’exprimait cette sexualité, quel était son sens, telles sont les questions qui restent à examiner
Les images de coït.
Les représentations de coït sont rares au Paléolithique. Une seule est indiscutable, sauf pour P. Bahn (1988), celle figurée sur la grande plaquette d’Enlène (ci-contre). Deux autres restent assez hypothétiques : Los Casares et La Marche N°39. Cette rareté ne témoigne pas d’un manque d’intérêt pour l’acte sexuel. On sait en effet que les scènes vraies sont rares dans l’art pariétal. Les Paléolithiques n’ont tracé des scènes de chasse que de façon très exceptionnelle. Néanmoins la chasse aux grands mammifères, même si elle ne constituait pas la principale ressource alimentaire, ne parait pas avoir été pour eux une préoccupation secondaire. La grande plaquette d’Enlène est unique en son genre. Elle représente une position des mammifères tout à fait cohérente avec le rôle de zone érogène privilégiée que nous avons vu se dessiner pour le massif fessier. La théorie de D. Morris (1968) suivant laquelle le développement de la bipédie aurait entraîné un transfert de zones érogènes sur la face antérieure du corps et un passage précoce à la position face à face, n’est donc pas attestée tout au moins jusqu’à présent. |
Enlène - La Grande plaquette |
Fécondité plaisir.
Une question se pose à laquelle seule une réponse prudente et nuancée est possible. Il s’agit de tenter de faire la part entre le désir de reproduction et la recherche du plaisir sexuel, les images de maternité et les images de féminité (P. Rice 1981) Au départ, seule la première fonction a été envisagée par les préhistoriens, d’où l’hypothèse des déesses-mères et la recherche obstinée d’indices en faveur d’une éventuelle magie de la fécondité. Du plaisir sexuel on ne parle pas, comme si ce raffinement n’était envisageable que pour des formes humaines beaucoup plus évoluées. En même temps, de manière assez curieuse, personne n’hésite plus à créditer les Paléolithiques d’une vie religieuse intense les conduisant à orner les parois d’innombrables grottes d’une profusion de représentations animales soigneusement choisies.
En faveur de la reproduction un argument fort : le nombre de grossesses représentées. Selon JP. Duhard le chiffre est important : 2/3 au Gravettien, 1/3 au Magdalénien. Les avis sur ce point sont cependant partagés. D. Vialou (1998) écrit «Rares sont les Vénus que l’on pourrait soupçonner d’être enceintes : on ne peut donc parler de la fécondité ni de déesses-mères à propos des statuettes Gravettiennes. » ; P. Bahn (1988) les grossesses sont très peu nombreuses ; PC. Rice (1981)après une étude méthodique faisant appel à des gynécologues ne trouve que 17% de grossesses et note l’absence de représentation de l’accouchement. L’écart d’appréciation est important. Il pourrait paraître normal de faire bénéficier JP. Duhard, en sa qualité de médecin gynécologue, d’une prime de confiance, encore que dans l’affaire des mains mutilées il semble maintenant clair que s’en remettre à l’autorité des médecins n’ait pas été le meilleur choix. Cependant, quel que soit le résultat précis de cette querelle de chiffres, le nombre de grossesses représentées au Paléolithique est loin d’être négligeable.
Un argument contre important est constitué par la rareté des représentations d’enfants et par l’absence de toute scène associant mère et enfant, de figuration d’allaitement par exemple. La même situation se retrouve d'ailleurs pour les figurations animales. On sait le peu de goût des Paléolithiques pour les représentations scéniques mais il n’existe pas une seule image de maternité humaine. La seule cofiguration mère enfant est constituée par la plaquette de Gönnersdorf montrant une file de silhouettes féminines, l’une d’entre elles portant sur son dos une figure du même type, de petite taille, qui pourrait être un enfant. Les enfants isolés sont eux-mêmes très rarement représentés, ce point est d’autant plus remarquable que l’étude des empreintes de pas montre la présence d’enfants aux côtés des adultes dès l’aube de l’humanité à Laetoli puis à Niaux, Pech-Merle, Montespan, Fontanet (doigts) Aldène, au Tuc d’Audoubert, à la grotte Chauvet, à Arcy sur Cure etc. Pourtant la pénétration en grotte profonde ne devait pas être une opération de tout repos et sans danger pour un adulte et encore moins pour un enfant. Dans cette perspective il faut également citer les mains d'enfants négatives de Gargas et les nombreuses sépultures d'enfants. Si les enfants que l’on sait par ailleurs très présents aux côtés des adultes sont éludés ce n’est pas sans raison : ils étaient hors sujet. |
Gönnersdorf - Plaquette |
Dernier argument enfin, tout au long du Paléolithique les fesses paraissent avoir eu une grande importance mais il s’agit parmi les zones érogènes majeures de celle qui est la moins concernée par la reproduction. Si la sexualité avait été centrée principalement sur cette fonction les seins auraient du occuper la première place. A cet égard une évolution semble se dessiner, au Gravettien l’importance donnée aux seins et aux fesses est à peu près égale, au Magdalénien les fesses prédominent. JP. Duhard (1996) partage ce point de vue « au Magdalénien final... les fesses tendent à devenir le caractère sexuel féminin essentiel sinon unique » et relève une diminution des grossesses représentées qui passent des 2/3 des figures au Gravettien à 1/3 au Magdalénien.(1993).
Il paraît tout à fait possible que la reproduction n’ait pas été au Paléolithique une préoccupation de premier rang. Les enfants n’étaient pas, pour autant, négligés. Ils étaient de façon courante aux côtés des adultes. Mais banals à leurs yeux, ils n’étaient que peu ou pas représentés. Il est aussi possible que, comme dans les peuplades ou la mortalité infantile est très élevée, les enfants n’aient commencé à exister réellement aux yeux des adultes qu’après avoir franchi le cap dangereux des premiers mois voire des premières années.
La sexualité pourrait donc avoir été beaucoup plus largement tournée vers la recherche du plaisir qu’on ne l’a pensé. En témoignent les statuettes, dites Vénus, suivant la tradition, et chez qui les éléments sexuels seins, ventre, fesses, cuisses sont majorés alors que tout ce qui n’est pas sexuel est éludé sans pitié. En témoignent également les multiples représentations féminines partielles : vulves fendues, profils fessiers et claviformes, comme, sur le versant masculin, les ithyphalliques et les phallus sculptés ou gravés.
Conclusion.
Les représentations humaines paléolithiques, examinées dans leur ensemble, montrent ainsi clairement la place centrale qu’occupait la sexualité dans l’univers psychique des premiers sapiens. Si l’intérêt qu’ils portaient aux grands herbivores, bisons et chevaux, est toujours en grande partie mystérieux, leur traitement de l’image humaine est, sans grande équivoque, dirigé par la pulsion sexuelle. Dans ce cadre les fesses apparaissent, assez nettement, comme une zone érogène privilégiée. Plus que des célébrations de la maternité ces images expriment vraisemblablement une sorte de fascination pour le plaisir sexuel. Comment, en effet, comprendre autrement le contraste entre la rareté des représentations d’enfants et la fréquence des phallus et des vulves. Comment comprendre autrement l’insistance et l’outrance avec lesquelles sont représentées les vulves aussi bien que les phallus. Dans ce contexte l’ambigüité de la Vénus de Weinberg, soulignée par son découvreur LF Zostz, est assez incongrue. Cette difficulté disparaît cependant si cette pièce cesse d’être vue comme une image sexuelle ambigüe mais comme un condensé fort du point de vue des paléolithiques sur cette question, d’un côté le phallus de l’autre les fesses.
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D'autres documents photographiques illustrant cet article La Sexualité des Paléolithiques 2
Réalisme de l'image de la femme dans l'art paléolithique
Lexique :
MAN : Musée des Antiquités Nationales
Clavifrome : en forme de massue
PAO : Préhistoire de l'Art Occidental par André Leroi Gourhan
A lire
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Le Sexe au temps des Cro-magnons
Brigitte et Gilles Delluc.
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"Un livre passionnant et documenté. Avec un art consommé de l'écrit.
Gilles Delluc expose la sexualité d'hier...et
celle d'aujourd'hui.
Sa liberté de pensée rend encore plus profonde et sereine la lecture du texte. On se plait aussi dans l'impertinence aimable du nombre de ses observations."
Professeur Denis Viallou
Muséum national d'histoire naturelle, Paris |
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La grotte ornée du Gabillou
Jean GAussen
Longue d'une trentaine de mètres, la grotte de Gabillou a révélé quelques-uns des chefs-d'oeuvre de l'art pariétal, parmi près de 200 gravures, elles représentent des espèces animales, chevaux, bovidés, bisons, rennes, bouquetins, ainsi que les fameuses représentations humaines, le "sorcier de Gabillou" et la "femme à l'anorak".
Réédition enrichie |
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En savoir plus sur La grotte ornée du Gaillou |
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