Les recherches actuelles
Aujourd'hui l'évolution des progrès techniques a entraûné une diversification des méthodes de relevé. Les procédés sont nombreux et mieux adaptés au contexte souterrain. Le préhistorien dispose alors d'un choix non négligeable de méthodes lui permettant de répondre au mieux aux contraintes diverses imposées par la grotte.
a) Progrès techniques des premiers relevés à distance
En 1964, L. Chabredier se vu confier la campagne de relevé dans la grotte d'Ebbou. Pour cette étude, il adapta la méthode de l'abbé Lemozi en introduisant une projection orthogonale afin de supprimer définitivement toute parallaxe. Ce procédé consistait à placer des « feuilles de polychlorure de vinyle tendues sur des châssis inclinables, fixés sur trépieds » (Martin, 1993, p. 344). Ce système bénéficiait de différents réglages possibles, ainsi que d'un système de visée.
C'est en 1981 que fut lancée, par Jean Clottes et Denis Vialou, la campagne de relevé du salon noir de la grotte de Niaux. Pour faire face aux problèmes de régularité de la paroi, ils optèrent pour une méthodologie déjà pratiquée dans la grotte de l'Aldènes: le calque indirect. Cette dernière fut améliorée grâce aux progrès techniques de la photographie mais aussi afin de palier aux problèmes de déformations liés aux reliefs des parois. Ce procédé de calque indirect consistait à fixer un film de polyéthylène sur un support métallique articulé « épousant approximativement les variations du relief » (Aujoulat, 1987, p.35). Ce procédé fut également utilisé par Georges Sauvet dans la grotte de Bédeilhac.
Dans la grotte des Combarelles, Monique et Claude Archambeau inventèrent une nouvelle méthode de projection orthogonale. Ce procédé consistait à insérer une vitre dans un cadre lui-même maintenu par un pied d'appareil photo, à quelques centimètres de la paroi. Un feutre associé à un faisceau lumineux « traçait sur la vitre les contours observés». (Martin, 1993, p.344)
b) Les méthodes actuelles : exemple de la grotte Margot
- Le calque sur photographie
Les procédés étant nombreux et complexes nous prendrons, ici, l'exemple du travail de relevé dans la grotte Margot (Mayenne, Saulges). Afin de préserver les parois nous évitons tout contact avec celle-ci. Le préhistorien et directeur de la grotte Margot, Romain Pigeaud a donc opté pour un procédé de calque sur photographie. Utilisée pour la première fois par Michel Lorblanchet, lors de l'étude de la grotte du Gabillou, cette méthode s'inscrit dans une optique de préservation et conservation des parois. En effet, les parois de cette grotte étant fragiles et tendres, elles nécessitent l'emploi d'un procédé de relevé à distance annulant de ce fait tout risque de dégradations engendrées par des relevés par contact.
Nous commençons tout d'abord par réaliser un croquis sur lequel figurera les accidents de la roche, les tracés paléolithiques et modernes, ainsi que les mesures et dimensions de la représentation. Cette première étape dans l'étude des tracés nous permet de nous familiariser avec la gravure, tout en nous permettant d'établir une première distinction entre tracés naturels et anthropiques.
La prise de photos est la deuxième étape importante de ce travail. Outil utilisé dès le 19e siècle, cette technique d'enregistrement, comme le relevé, n'a cessé d'évoluer et de se perfectionner au fil du temps. Egalement soumise à l'évolution des méthodes scientifiques, son rôle dans l'étude des représentations graphiques paléolithiques a évolué. Sa fonction première était de diffuser, d'authentifier et d'illustrer les figurations préhistoriques. Aujourd'hui, elle est vue comme un document technique et scientifique permettant d'optimiser la lecture graphique en apportant un complément d'information.
Pour l'étude de la grotte Margot, le photographe Hervé Paitier réalise des clichés en projection orthogonale afin de supprimer toute erreur de parallaxe. Plusieurs clichés de la même représentation sont pris sous des éclairages différents. Les faisceaux lumineux doivent être rasants et mobiles afin de faire varier les ombres portées, de telle sorte que deux traits d'orientations différentes apparaissent en même temps (Servelle, 1987). Certaines représentations se caractérisant par des tracés ténus et résiduels, il est nécessaire de prendre des photos en mosaïque sous différents angles de vue et avec différentes directions d'éclairage. Les photos, une fois assemblées et retravaillées grâce à des logiciels informatiques, sont agrandies en format A3 et placées sur un support rigide. L'épreuve offrant la plus grande lisibilité sera utilisée pour le relevé, les autres serviront par comparaison à compléter les zones plus difficilement lisibles.
Une fois placée sur une planche à dessin en plastique la photo est recouverte d'un film transparent à base de polyuréthane. Nous reprenons ainsi les gravures sur notre calque au feutre indélébile en respectant un code de couleurs nous permettant de différencier tracés modernes, paléolithiques, fissures et reliefs naturels. Nous déchiffrons la paroi en nous aidant de la photographie sélectionnée tout en se servant des autres clichés à titre comparatif. Ce procédé non destructif nous permet d'étudier les représentations sans dégradation ni risque pour celles-ci.
La mise au net des relevés se fait en laboratoire. Nous utilisons du papier calque et de l'encre de chine. Les gravures paléolithiques, les tracés modernes ainsi que les accidents de paroi sont tous figurés en noir avec un code de conventions stylistiques propre à chacun. Nous n'oublions pas de faire figurer sur les relevés définitifs l'horizontalité ainsi que l'échelle. Ces derniers sont ensuite scannés et traités sur les logiciels informatiques tels que Adobe Photoshop® et Adobe Illustrator® afin de corriger les dernières erreurs, de rendre le relief de la paroi, ou de rassembler les figurations dans le cas de panneau orné. Le rendu définitif rendra compte d'un relevé analytique et d'un relevé sélectif.
La dernière étape de l'étude concerne l'enregistrement des données et l'archivage. Chaque figure de la grotte comporte sa fiche de renseignements. Cette dernière nous donne la position topographique de la figure dans la grotte, son type de support, sa technique de réalisation stylistique (gravure, peinture, raclage, peinture surgravée), son état de conservation, ses dimensions et l'auteur du relevé. Les relevés sont ensuite imprimés, rangés par secteur et associés à leur fiche et leur photo. Les calques originaux, quant à eux, sont archivés par secteur.
- Le relevé numérique en 3D
L'évolution constante des progrès techniques appliqués à l'art paléolithique s'intensifiant, les nouvelles méthodes prennent une place de plus en plus importante dans l'étude et l'enregistrement des données. Le procédé de relevé en 3D apporte de nouveaux atouts à la connaissance de l'art préhistorique, non seulement, dans sa diffusion scientifique mais également au niveau de sa médiation auprès du public. D'un point de vue touristique, l'imagerie numérique permettra au grand public d'accéder à des visites virtuelles de grottes fermées. L'objectif étant de reconstituer au plus près le monde souterrain et ses œuvres graphiques. Au niveau scientifique, cette méthode permet de s'affranchir du relevé graphique en 2D en rendant leur dynamique aux figures. Par ce procédé, l'environnement naturel et l'utilisation de l'espace graphique sont mis en valeur. Enfin, dans une optique de conservation des œuvres, cette méthode offre une avancée non négligeable.
c) L'importance du rendu graphique
Le relevé rend un état de la paroi et de la figuration à un moment donné. Il se doit d'être exhaustif et interprétatif mais sans tomber dans les excès graphiques. Le travail du préhistorien est de rendre l'iconographie en isolant les tracés afin d'obtenir une lecture et une visualisation de l'œuvre plus facile. Son rendu doit être épuré afin d'établir une étude stylistique et thématique qui permettra une comparaison avec les œuvres graphiques d'autres sites (Tosello, 2003, p. 27).
Lors de la réalisation d'un relevé, plusieurs pièges sont à éviter. L'excès graphique tendant à une extrapolation de la vérité artistique est courant lors du travail de relevé. Le surcroût d'imagination est un piège à éviter. Certains tracés peuvent rester ambigus par leurs caractères anthropiques et naturels ou par leur emplacement - caractéristique de l'anatomie d'un animal - mais aussi en raison d'une fatigue occulaire.
La volonté de tout figurer, tracés préhistoriques, état de la paroi, fissures, cupules, grain de la roche, donnent une cartographie de la paroi où la représentation graphique se perd et devient illisible par son aspect chargé. En cela réside toute la difficulté du relevé: rendre la beauté de l'œuvre, retrouver le geste du graveur tout en gardant une rigueur scientifique. Il faut trouver l'équilibre entre la beauté des œuvres de Breuil et la technicité scientifique imposée pour rendre au mieux l'œuvre de l'artiste préhistorique.
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Prise de vue |
Photographie |
Relevé |
Conclusion : La finalité du relevé, quelle place lui attribuer ?
Le relevé s'est peu à peu imposé dans le domaine de l'art comme une étape nécessaire à l'étude des représentations graphiques préhistoriques. Né de l'intention d'authentifier et de diffuser les figurations présentes sur les objets ou les parois préhistoriques, il s'est diversifié et complexifié dans ses procédés de réalisation et ses techniques de rendu.
Depuis 1982, les relevés sont soumis « aux mêmes autorisations préalables du propriétaire du site et du ministère de la culture » (Lorblanchet, 1984, p. 44). La fouille et le relevé relèvent du domaine de la découverte. Certains auteurs, comme Michel Lorblanchet, lui donnent avec raison la même légitimité qu'un acte de fouille: « la similitude des deux opérations est si grande qu'il est possible de dire qu'une figuration non relevée est un vestige non exhumé» (Lorblanchet, 1995, p.114). La découverte et la fouille d'une structure, ainsi que le traitement de l'information en laboratoire, est comparable à la découverte d'une représentation préhistorique dont la lecture de la paroi et le relevé sont des étapes nécessaires à l'étude en laboratoire. Le relevé ne se cantonne plus au rôle de dessin, il comprend une étude préalable et une analyse postérieure. Il est une des étapes nécessaires dans le protocole d'étude d'une gravure mais il ne saurait être unique. Il se doit d'être indispensable et exhaustif, c'est un moyen et non une finalité.
Poursuivez la lecture
Les méthodes de relevé avant 1966 (page 1)
Les méthodes de relevé actuelles (page 2)
Bibliographie (page 3)
Auteur : Clélia Dufayet, préhistorienne
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