Les grottes préhistoriques de Tourrette-Levens (Alpes-Maritimes, France)
La grotte du Merle et La Baume Périgaud
Patricia Valensi et Gérard Onoratini
Ces grottes ne se visitent pas
Vers la fin des années 30, deux préhistoriens amateurs Henri Stecchi (1903-1977) et Bernard Bottet (1900-1971), cousin germain de l’abbé Breuil, prospectent la vallée du Riou dans les Alpes-Maritimes. Là ils découvrent plusieurs petites grottes dont la Baume Périgaud et la grotte du Merle, situées sur la commune de Tourrette-Levens. Les fouilles vont débuter en 1940 et durer une dizaine d’années. Les résultats de leur recherche feront l’objet d’une publication en 1950 (Stecchi et Bottet, 1950).
A droite, figure 1 : Les fouilles de H. Stecchi et B. Bottet à la Baume Périgaud, années 40 (Document Musée de Terra Amata, Nice).
En 1977, la famille d’Henri Stecchi, fait don des collections et des documents de terrain, au musée de paléontologie humaine de Terra Amata, à Nice.
L’année suivante, le préhistorien Gérard Onoratini effectue un nettoyage des coupes de terrain à la Baume Périgaud et récolte en surface quelques pièces provenant du foyer supérieur, rapporté au Gravettien. L’auteur propose par la suite une synthèse sur les cultures paléolithiques des deux grottes (Onoratini, 2004a, b, Onoratini et Raux, 1992).
En 2004, l’équipe du laboratoire de préhistoire du Lazaret, effectue un nettoyage de la grotte du Merle et un petit sondage au fond de la grotte. Puis de 2006 à 2009, des fouilles sont organisées un mois par an et s’étendent sur une surface totale de 8 m². Elles permettent notamment de retrouver les différents niveaux d’occupation décrits par les inventeurs et de mieux définir la stratigraphie du site (Desclaux et Valensi, 2009).
En 2010, les collections issues des travaux de terrain de la Baume Périgaud et de la grotte du Merle sont déposées au musée de préhistoire de Tourrette-Levens nouvellement créé.
La baume Périgaud
La grotte se situe sur le mont Revel, dans une zone archéologique inscrite au titre des Monuments Historiques depuis mars 2018. Elle s’ouvre sur le flanc nord d’un éperon rocheux de calcaire dolomitique, à 280 m d’altitude. Cette cavité modeste comporte une salle d’entrée de 6 mètres de long, au fond de laquelle une ouverture étroite permet de pénétrer dans deux galeries profondes. C’est sous le porche de la cavité, à la lumière du jour, que sont situés les dépôts archéologiques. Stecchi et Bottet (1950) soulignent sous un niveau du Néolithique final, trois niveaux paléolithiques dont deux avec industrie. |
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Figure 2 : La Baume Périgaud, à Tourrette-Levens. |
Figure 3. Stratigraphie de la Baume Périgaud (in Onoratini, 2004b Document Musée de Préhistoire de Tourrette-Levens) |
A la base du remplissage, ont été découverts quelques pièces microlithiques, grattoir, burin dièdre, lame retouchée et une lamelle Dufour, typique du Protoaurignacien, période de l’arrivée des premiers Homo sapiens dans la région (Onoratini, 2004a). L’outillage osseux très abondant est composé de quelques sagaies à base fendue. La faune est composée d’animaux rupicoles tels le bouquetin (Capra ibex) et le chamois (Rupicapra rupicapra) mais aussi de quelques espèces tempérées : cerfs (Cervus elaphus) et chevreuil (Capreolus capreolus) qui soulignent l’amélioration climatique du stade isotopique 3.
Figure 4 : Le Protoaurignacien de la Baume Périgaud : de gauche à droite, sagaie à base fendue, grattoir, burin dièdre et lamelle Dufour.
La Baume Périgaud a livré plusieurs sagaies aplaties caractérisant l’Aurignacien typique (Stecchi et Bottet, 1950). Puis la grotte est abandonnée (foyer II) mais le territoire est toujours occupé puisque des sapiens porteurs de cette culture font de courtes haltes à la grotte du Merle. Le climat est nettement plus froid. Dans ces deux gisements, la marmotte (Marmota marmota) est présente et les bouquetins constituent l’essentiel de la faune.
Le niveau sus-jacent ou foyer III est rapporté au Gravettien ancien (Onoratini et Raux, 1992 ; Onoratini, 2004b). On note un changement radical dans l’armement des chasseurs qui fréquentent la cavité. Ce sont des pointes de la gravette, des microgravettes et des sagaies cylindriques en os qui constituent l’essentiel de l’outillage. Parmi les burins, ceux sur troncature retouchée sur grande lame évoquent déjà des prototypes du burin de Noailles. L’aire d’approvisionnement en matières premières paraît considérablement agrandie par rapport aux occupants précédents, et notamment vers l’ouest dans le Haut-Var. Trois coquilles marines, un dentale, une patelle et une colombelle ont servi à confectionner des parures. Les gravettiens chassent le bouquetin, cerf, chevreuil et chamois dans ce contrefort montagneux. Les occupations de la grotte sont de courte durée.
Figure 5 : Préparation des pointes de sagaie par les gravettiens de la Baume Périgaud (Illustration Alain Raux - Document Musée de Préhistoire de Tourrette-Levens).
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Au dessus Figure 6 : Le Gravettien de la Baume Périgaud : série de pointes de sagaie cylindriques.
A gauche
Figure 7 : Le Gravettien de la Baume Périgaud : pointes de la gravette.
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La grotte du Merle
Située au pied d’un éperon rocheux détaché des pentes du mont Chauve de Tourrette, au niveau du lieu-dit La clue, la grotte du Merle surplombe les gorges du Riou à 240 m d’altitude. Elle se présente sous la forme d’une petite cavité de 3 mètres de profondeur, 7 mètres de largeur, et avec une hauteur maximale sous plafond de 2,5 mètres en son centre.
Ses parois sont recouvertes de gravures d’époque médiévale (Bottet, 1967-68).
Figure 8: Entrée de la grotte du Merle à Tourrette-Levens.
La grotte a livré, dans les niveaux de base (niveau D), quelques lames et éclats de culture moustérienne, façonnés dans des roches locales de la région de Nice et de Vintimille. La faune est essentiellement représentée par le bouquetin ce qui souligne pour la région, l’installation d’un climat relativement frais. La faible quantité de matériel lithique et faunique et l’absence d’aménagement de l’espace, indiquent que la grotte a servi de simple halte de chasse aux néandertaliens.
Figure 9 : Lames moustériennes de la Grotte du Merle.
Après le départ des Hommes, la grotte du Merle a été utilisée de façon récurrente comme lieu d’hivernation pour les ours des cavernes (Ursus spelaeus). La configuration de la grotte était plutôt recherchée par les femelles qui mettaient bas pendant l’hiver. Certains oursons ne passent pas leur premier hiver et meurent dans la grotte. Plusieurs dizaines d’os et de dents d’ours d’adultes et de jeunes ont ainsi été retrouvés au cours des fouilles. |
Figure 11 : L’Aurignacien de la Grotte du Merle : fragment de pointe de sagaie aplatie en bois de cerf. |
Figure 10 : Grotte du Merle : dents de lait d’ours des cavernes.
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Dans le niveau stratigraphique sus-jacent (niveau C), comme dans le foyer II de la Baume Périgaud, l’abondance du bouquetin et la présence de la marmotte soulignent un net refroidissement du climat. Les pièces lithiques et un fragment de sagaie aplatie en bois de cervidé permettent d’attribuer cet habitat à l’Aurignacien typique. |
Le niveau stratigraphique supérieur (niveau B) est rapporté à l’épigravettien ancien (ou arénien). Parmi les pièces découvertes, il faut noter la présence de petits grattoirs, plusieurs lamelles à dos et surtout de deux pointes à dos et cran adjacent et un élément à dos tronqué (Onoratini, 2004b). Ce niveau a livré également un élément de parure (Cyclope neritea). Le bestiaire est composé de bouquetin (Capra ibex) et de rhinocéros de prairie (Stephanorhinus hemitoechus). Comme pour les périodes précédentes, les épigravettiens utilisaient ce modeste habitat comme une simple halte de chasse.
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Figure 12 – L’Arénien de la grotte du Merle |
Figure 13 : Grotte du Merle. P3 et P4 supérieures de rhinocéros de prairie (Stephanorhinus hemitoechus) |
Des occupations néolithiques
A tourrette-Levens, de nombreuses cavités ont été fréquentées au Néolithique, comme les deux abris du Rio Secco, ou sur le mont Revel : la grotte de la Bergerie et la Baume Périgaud (Brétaudeau et al., 2002).
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Figure 14 : Baume Périgaud. Poterie du Néolithique final. |
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Figure 15 : Tableau synthétique sur la préhistoire de Tourrette-Levens (Onoratini, 2004b - (Document Musée de Préhistoire de Tourrette-Levens). |
Et aujourd’hui
Les grottes préhistoriques de Tourrette-Levens ne sont pas ouvertes au public. Mais depuis 2010, un musée de préhistoire, installé dans le village historique, expose les pièces les plus significatives retrouvées au cours des fouilles.
Quelques références bibliographiques
Bottet B., 1967-1968. Gravures pariétales de la Grotte du Merle (Tourrette-Levens, A.-M.)., Bulletin de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes-Maritimes, XI, 79.
Brétaudeau G., Salicis C., Biette D., 2002. Révision de l’inventaire archéologique de la commune de Tourrette-Levens (06). Institut de Préhistoire et d’Archéologie Alpes Méditerranée. Mémoires, XLIV, 117-146.
Desclaux E., Valensi P., 2009. Tourrette-Levens. Grotte du Merle. Bulletin du Service Régional de l’Archéologie, DRAC, PACA, Bulletin scientifique 2008, 83-84.
Onoratini G., Raux A., 1992. Les cultures du Paléolithique supérieur ancien de Provence orientale. Bulletin du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, 35, 65-114.
Onoratini G., 2004a. Le Protoaurignacien : première culture de l’homme moderne de Provence et Ligurie. L’anthropologie, 108, 239-249.
Onoratini G., 2004b. Aux origines de l’outil. Les premiers chasseurs préhistoriques de Tourrette-Levens. Editions Artcom’, 120 p.
Stecchi H. et Bottet B., 1950. La Baume Périgaud, commune de Tourrette-Levens (A.-M.). Bulletin de la Société Préhistorique Française, XLVII (1-2), 89-93.