Visite à Lascaux
Pedro Lima pour Hominides.com
Visite à l’intérieur de la célèbre grotte ornée
Lascaux retrouve son équilibre
Une équipe de quatre journalistes, accompagnés de la Conservatrice du site Muriel Mauriac et du préhistorien Jean Clottes, a visité récemment la grotte de Lascaux pour se rendre compte de l’état de conservation de ses célèbres peintures. Hominides.com livre le témoignage de l’un d’entre eux.
Par Pedro Lima, journaliste scientifique – septembre 2011
Dès sa découverte en septembre 1940 par quatre adolescents du village de Montignac, en Dordogne, la grotte de Lascaux, ornée par nos ancêtres solutréens il y a 19 000 ans environ, apparaît comme une découverte extraordinaire. Elle est en effet ornée de 1963 figures peintes et gravées, ce qui en fait le sanctuaire paléolithique le plus riche connu à ce jour. Malheureusement, la découverte de la cavité a entraîné un bouleversement des conditions climatiques qui prévalaient, même si la grotte avait déjà connu auparavant de tels épisodes, comme en atteste l’effacement presque total des peintures du Passage, antérieur à 1940.
Depuis l’immédiat après-guerre, plusieurs crises se sont ainsi succédées, dont la dernière date de 2007. Les travaux d’aménagement importants, engagés dès 1947 pour rendre la cavité accessible à un large public, puis les millions de visiteurs qui se succèdent jusqu’à sa fermeture en 1963 par le ministre de la Culture André Malraux, provoquent un premier bouleversement des conditions de température, d’hygrométrie et de circulation de l’air. Particulièrement incriminée, une machine de régénération et de climatisation aérienne, mise en service en 1958, qui aurait favorisé la dispersion de colonies d’algues responsables de tâches vertes apparues en 1960 sur les parois ornées, accompagnées d’un voile de calcite (maladies verte et blanche). Cette machine est remplacée en 1967 par un système dit à batterie froide, formant à l’entrée de la grotte un point froid, sans ventilation. Il permet de stabiliser la température et de condenser l’humidité sur ce point, et non sur les parois ornées, exploitant la convection naturelle dans la grotte qui fait revenir le long de la voûte, vers l’entrée, l’air qui s’est réchauffé dans les galeries. En 2001, du fait de l’obsolescence de l’ancienne machine, un nouveau système d’assistance climatique est mis en place à l’entrée de la cavité, également basé sur le système de batteries froides, alimentées par une eau refroidie à 50m de là, près du poste de contrôle. Ces travaux sont rendus indispensables par l’obsolescence de l’ancienne machine. Mais dans les mois qui suivent, un champignon blanc, le « Fusarium solani », associé à une bactérie, Pseudomonas, apparaît dans la Salle des Taureaux, la plus proche de l’entrée (voir plan). Le champignon envahit les banquettes rocheuses situées au pied des parois ornées, et leur partie inférieure. L’attaque est traitée avec succès, en apposant un fongicide et une couverture de chaux. En mars 2006, nouvelle alerte. Cette fois, c’est un nouveau champignon, Ochroconis, qui est en cause, sécrétant des pigments de mélanine noirâtre, agglutinés sous forme de taches… Certaines de ces taches se développent à proximité des peintures, ou même dessus, surtout dans le Passage, l’Abside et la Nef (voir plan).
|
Tête du grand Taureau - 06/01/2011 © Ministère de la Culture et de la Communication (France) |
Qu’en est-il aujourd’hui, trois ans après les derniers traitements biocides contre ces nouvelles taches, réalisés en janvier 2008 ? La possibilité m’a été offerte de témoigner, visuellement, de l’état de conservation des peintures. Pour se rendre à Lascaux, il faut s’élever sur une petite colline recouverte de fougères et de pins sylvestres, surplombant la Vézère. On longe tout d’abord le parking du site de Lascaux II, qui reproduit les deux premiers espaces de la cavité originale (Salle des Taureaux et Diverticule axial). Inauguré en 1983, il permet chaque année à des centaines de milliers de visiteurs de découvrir cet art unique. Générant, au passage, certaines nuisances essentiellement liées à la circulation automobile, destinées à être résolues à l’avenir par une sanctuarisation du site et la construction d’un nouveau fac-similé, plus éloigné. Passé un portail discret, situé à 200 mètres à peine de la copie, on est accueilli dans une construction sobre, où travaillent trois agents de l’état chargés de la surveillance du site. Depuis leur bureau, ils observent les images captées par les caméras de sécurité, et suivent en temps réel les paramètres enregistrés dans la cavité par soixante capteurs de température et d’humidité. Jouxtant cet espace de contrôle, on pénètre dans une salle qui permet de piloter et de surveilles à distance la machine de climatisation, installée à l’entrée de la cavité, à 50m de là.
|
A gauche : 26 août 2008 ; à droite : 2 mars 2011
Des taches noires en régression - Passage - © Ministère de la Culture et de la Communication (France)
|
Une fois enfilés les tenues réglementaires de protection, combinaison, charlotte et chaussons destinés à éviter l’irruption dans la cavité de microorganismes, c’est sous l’œil attentif de la caméra que la conservatrice, Muriel Mauriac, demande au poste de sécurité l’autorisation d’ouvrir la lourde porte en bronze qui ferme l’accès au sanctuaire. Une fois passés plusieurs sas, et cinq portes, isolant la cavité de l’extérieur, on pénètre dans la Salle des Taureaux, d’une vingtaine de mètres de long sur sept de large. L’air est frais, 12,3°C, et l’humidité proche des 100%. Quant à l'éclairage électrique, parcimonieux, il est à peine renforcé par les lampes froides, de type LED, distribuées à chaque visiteur. Premier détail qui attire l’attention, même si l’impact visuel reste limité : les câbles qui pendent ça et là des plafonds et des parois, reliés aux capteurs de température et d’humidité. Quant aux peintures, leur état de conservation est visiblement satisfaisant, sans altération concernant l’éclat et la fraîcheur des pigments depuis une visite que j’ai réalisée ici en 1999. Une fois que l’œil s’habitue à l’obscurité, la beauté, la perfection et la vie que dégagent aurochs, cerfs, chevaux et bisons polychromes peints sur la voûte, provoque une émotion intacte, certainement voulue par les auteurs de cette œuvre de mémoire. Néanmoins, Jean Clottes, qui a déjà visité Lascaux une dizaine de fois, pointe du doigt la licorne, l’un des premiers animaux figurés sur la paroi gauche de la salle. Sa ligne de dos est touchée par des vermiculations, petites impuretés minérales ou organiques peut-être produites par l'eau d'infiltration, ou par la condensation, point qui pourrait être éclairci par les programmes de recherche à venir. Ce phénomène de vermiculations se renouvelle en d’autres points de la grotte, et fait l’objet, comme l’ensemble des zones ornées, d’une surveillance visuelle hebdomadaire de la part des agents en charge de la grotte. Epaulés, une fois par mois, par une équipe de conservateurs. Au total, la présence annuelle dans la cavité a été limitée à 800 heures, ce qui explique que nous ne resterons pas plus de 45 minutes en son sein.
|
Panneau de la Grande Vache noire de la Nef, paroi gauche - 06/01/11 - © Ministère de la Culture et de la Communication (France) |
Direction à présent le Passage, étroit couloir qui s'ouvre sur la droite de la Salle des Taureaux. Le plafond de ce corridor a été entièrement décoré par les artistes solutréens, comme en attestent des restes de pigment d'ocre et de manganèse... avant qu'un ou plusieurs phénomènes géoclimatiques inconnus n’effacent entièrement les fresques, bien avant la découverte de 1940. C’est dans cette zone, où ne subsistent que des gravures, que sont apparues en 2006 les premières taches de mélanine noire. Certaines sont encore visibles sur les parois, mais très atténuées par rapport aux photos publiées à l’époque. Elles ne forment plus qu’un halo grisâtre, qui se détache à peine de la paroi blanche. La nette régression des taches, en nombre et en densité, observée depuis deux ans, n’a pas vraiment d’explication, alors qu'aucun traitement biocide n'a été réalisé depuis janvier 2008. Une rémission « naturelle », donc, qui plaide en faveur de la politique de non-intervention prônée par le conseil scientifique de Lascaux, associée à un programme de recherches récemment achevé, portant sur deux thèmes : "Ecologie microbienne de la cavité" et « Microbiologie et microclimats ». Les résultats de ces travaux, encore confidentiels, ont été communiqués au conseil scientifique, et ils confirmeraient dans l’ensemble la stabilité retrouvée de la cavité solutréenne.
|
Vue sur la voûte du Diverticule Axia l- 06/01/11 - © Ministère de la Culture et de la Communication (France) |
Cette impression se confirme dans l'Abside, avec ses 900 gravures visibles en lumière rasante, puis dans la Nef, où les somptueux panneaux de la Vache noire, des Bisons adossés ou des cinq Cerfs nageant la tête hors de l'eau, apparaissent toujours aussi vifs, comme animés sur la paroi. C'est dans cette partie droite de la grotte que se sont justement concentrées les attaques de mélanine. Les taches ont heureusement épargné en grande partie les chefs-d'œuvre et sont toutes en régression, à l'exception de quelques rares nouvelles apparitions sur la voûte de la Nef. Une fois revenus sur nos pas, par la Salle des Taureaux, la visite se termine dans le Diverticule axial. Dans ce conduit long d'une trentaine de mètres, les figures se répartissent sur les deux parois et la voûte. À droite, trois panneaux : celui des Chevaux chinois, celui de la Vache qui tombe, puis le panneau rouge, avec deux chevaux et un bison. A gauche, le panneau des Vaches rouges, le panneau du grand Taureau noir, le panneau de l'Hémione et, au fond, le Locus du cheval renversé. Comme Jean Clottes, qui connaît pourtant bien les lieux, on est saisi une nouvelle fois par l’émotion, tant l’ensemble du décor, sans traces de pollution ou de dégradation apparentes et regroupant 161 figures (animaux et signes), dégage de force et d’intelligence créatrices. Formes et couleurs des vaches, taureaux et chevaux polychromes sont d'autant plus éclatants qu’après 30 minutes dans le milieu souterrain, l’œil s'est entièrement adapté à l'obscurité.
C’est à regret que l’on quitte le sanctuaire, après 45 min d’une visite trop rapide. Dans l’attente des résultats définitifs des programmes de recherche menés à Lascaux, et de la suite qui leur sera éventuellement donnée, le constat visuel du profane retient la bonne santé générale des peintures, indéniable. La grotte est aujourd’hui revenue à un état d’équilibre. Un constat rassurant, à peine terni par l’effet, encore palpable, des agressions subies par ce haut-lieu du patrimoine de l’Humanité. Ainsi, ces pieux fichés dans la roche du Diverticule axial, qui soutenaient du temps des visites une plaque en verre protégeant le panneau de l’Hémione. Les Autorités veillent d’ailleurs à réparer, autant que possible, ces cicatrices. Ainsi, les glissières métalliques du mur entre le dernier sas et la Salle des Taureaux ont été déposées au cours de l’été 2011. Face aux efforts déployés pour réparer les erreurs passées, les mesures de protection drastiques mises en place lors de chaque nouvelle découverte d’art pariétal (Cosquer, Chauvet, Cussac) n’apparaissent que plus justifiées. Elles visent en effet à garder intacts, pour les générations futures, ces trésors inestimables légués par nos ancêtres.
Pedro Lima
A lire :
Lascaux, Le geste, l’espace, et le temps, Norbert Aujoulat, éditions du Seuil, 2004.
Lascaux, une œuvre de mémoire, Jean-Michel Geneste, Fanlac, 2003
Lascaux, Patrimoine de l’Humanité, Dossiers d’archéologie, HS n°15, éditions Faton, juin 2008.
A écouter :
Un autre article de Pedro Lima sur Hominides.com : De Lascaux II à Lascaux III
Site Pedro Lima
|
|