1940-2010 : un double anniversaire
Lascaux et la guerre
Une galerie de portraits
par Brigitte et Gilles DELLUC
Référence Bull. de la Soc. hist. et arch. du Périgord, 2010, 2.
La grotte de Lascaux est découverte en septembre 1940. Les semaines qui suivent sont marquées par une intense activité : d’innombrables curieux, la venue de l’abbé Henri Breuil, les premiers travaux d’aménagement. Puis tout paraît s’endormir et ne se réveiller qu’après 1945 : la Paix revenue, la cavité est aménagée et les visiteurs affluent. Lascaux est le monument le plus célèbre de Dordogne.
En fait, il n’en fut rien : en ces temps troublés, la grotte a continué à vivre et de nombreux protagonistes continuent à aller et venir et souvent à fréquenter la caverne. Faire revivre un peu ces personnages oubliés est le but des pages qui suivent.
IV. Les premiers chercheurs
1. Maurice Thaon, le poulain de l’abbé Breuil
Ce jeune Parisien (1910-après 1965), alpiniste et spéléologue, est élève-officier en 1940 et participe aux combats de l’Yonne. Prisonnier évadé, il souhaite rejoindre les Forces Français Libres via l’Espagne. Le drame de Mers El-Kébir (3 juillet 1940) le fait renoncer. Il part vers le sud, « à moteur d’eau de vie et de vin », selon l’abbé H. Breuil. Démobilisé, il prend contact à la mi-août avec ce grand préhistorien, ami et parent de sa famille, alors à Périgueux : l’abbé est traité à la suite d’une plaie oculaire contractée à la grotte de la Liveyre, aux Eyzies. Au tout début de septembre, H. Breuil lui fait visiter quelques grottes ornées de la Vézère.
Ce jeune sportif, à la recherche de son frère Robert en cantonnement à Montignac, réside au château, ancienne forteresse des comtes de Périgord et désormais fief de la famille Pautauberge, qui fit fortune en fabriquant de mirifiques médicaments . Puis il est hébergé chez Louis et Edmond Burg au réputé hôtel du Soleil d’Or de Montignac. Il apprend la découverte de Lascaux par les hôteliers, mis au courant par Léon Laval.
Par téléphone, il informe l’abbé le 17 septembre, au collège Bossuet, à Cublac, près de Brive. Il rencontre Léon Laval le 19 et, bon dessinateur, exécute des croquis précis des peintures qu’il apporte à vélo le 20 à l’abbé Breuil. Ils emportent la conviction de l’abbé qui gagne Lascaux le 21. Ces premiers dessins seront publiés par L’Écho du Centre du 28 septembre, puis par le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, à la fin de l’année. Thaon a utilisé pour aller à Cublac le vélo que H. Breuil lui avait permis d’acquérir peu auparavant. D’après les photographies, ce mince et élégant jeune homme, au nez busqué et à la calvitie déjà sévère, portait une veste de tweed à martingale et des culottes de golf (voir la figure 3, plus haut dans le texte).
Dès le début octobre 1940, les nombreuses visites de Lascaux furent interrompues (sauf le dimanche) pour lui permettre de dresser des plans. Il est surtout chargé par H. Breuil d’exécuter des copies et des photographies des peintures, grâce à une mission rémunérée par les Beaux-Arts. Il réalise une trentaine de relevés : ce sont des copies en noir et blanc et en couleurs, à la chambre claire, à l’échelle 1/5 et des calques. Il est aidé par un très jeune réfugié, Pierre-Dominique Gaisseau, futur réalisateur de poétiques courts métrages ethnologiques, tel le Ciel et la Boue (1961) sur la première traversée de la Nouvelle Guinée. En un an, il a consommé trente mètres de papier de 1,50 m de large, un projecteur, des accumulateurs et des instruments d’optique, pour une trentaine de relevés. Le tout a coûté, y compris la main-d’œuvre, 25 000 F (soit environ 7 500 euros actuels). Certains dessins de M. Thaon seront édités en cartes postales. Appelé à collaborer avec le préhistorien allemand Martin Richter, il ne poursuit pas ses travaux au printemps de 1942. L’Allemand est affecté ailleurs. Bientôt M. Thaon effectue une couverture photographique de la grotte, qui illustrera en 1949 un livre de A. Hougton Brodick. Thaon rédige deux mémoires sur la grotte, demeurés à l’état de manuscrits . Il date la majorité des œuvres du Périgordien supérieur (aujourd’hui Gravettien) au « Pré-magdalénien ».
À la fin de 1941, H. Breuil, replié à Lisbonne, souhaite le faire nommer inspecteur des grottes ornées de France, chargé des relevés non encore effectués par lui : il écrit en ce sens au secrétaire d’État aux Beaux-Arts. Hélas, les crédits manquent. Toutefois, à son retour en France, le « pape de la Préhistoire » se dit « frustré dans son attente », déçu des copies exécutées par M. Thaon - ce qui n’étonne pas . Il choisira de faire appel au photographe Fernand Windels.
Après la guerre, M. Thaon effectuera de nombreuses campagnes de prise de vues pour les Monuments historiques, jusqu’en 1965, année où un grave accident de voiture le laissera très diminué.
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2. Fernand Windels, le photographe
Ce réfugié Parisien d’origine belge, a quitté sa célèbre galerie de tapis modernes du 240 bis, boulevard Saint-Germain . Il avait publié un beau livre technique sur les tapis (Windels, 1935). Initié à la photographie par la réputée Laure Albin-Guillot, il gagne sa vie à Montignac (studio Clairval) en prenant des photos d’identité, de cérémonies et de monuments (Sarlat, Carsac) et se marie avec Marie-Louise.
Dès octobre 1940 et jusqu’en août 1941, à la demande de H.Breuil, aidé par Pierre-Dominique Gaisseau, jeune réfugié et futur ethnologue et cinéaste, il prend de nombreux clichés dans la grotte, y compris en infra-rouge, peut-être sur les conseils de l’Allemand M. Richter. Il utilise une grosse chambre à soufflet de format 18 x 24 et des clichés verre Étiquette bleue Lumière (fig. 7), mais ignore les pellicules couleurs. Les pauses sont longues et se comptent en minutes : la pellicule est peu sensible et les figures pariétales sont éclairées par trois ou quatre lampes à carbure. Ces clichés noir et blanc sont très contrastés. Il édite des cartes postales avec des clichés de Lascaux coloriés.
Il réside désormais à Montignac, tout près de la rue de Juillet (rue Pauline de Beaumont), au-dessus de l’imprimerie d’Emmanuel Leymarie. Ses clichés noir et blanc, très contrastés illustreront La caverne peinte de Lascaux, la plaquette de Léon Laval et, la même année, le premier livre publié par lui, avec un texte dû en grande partie à la jeune Annette Laming : Lascaux, chapelle Sixtine de la Préhistoire , qu’il édite. Les silex de Lascaux « font plutôt penser à une industrie magdalénienne », lit-on dans l’ouvrage. Il éditera les Quatre cents siècles d’art pariétal de Henri Breuil (1952) et mourra deux ans plus tard.
3. Annette Laming, la jeune préhistorienne
Juste après la guerre, les travaux à Lascaux de cette jeune attachée de recherches au CNRS (1917-1977) ne peuvent être séparés de l’activité de F. Windels. Ce sont les premières recherches scientifiques effectuées ici. Elle fournit au photographe le texte de son Lascaux, chapelle Sixtine de la Préhistoire (1948), comme il apparaît dans une discrète note de bas de page et dans la préface d’André Leroi-Gourhan. Après examen des lames et lamelles de Lascaux, elle sera la première à conclure plutôt à une datation magdalénienne et non périgordienne (gravettienne) comme le pensaient H. Breuil et D. Peyrony, en l’absence de tout outillage solutréen. Elle publiera plus tard une excellente monographie en anglais puis en français . Après avoir cherché, parallèlement à A. Leroi-Gourhan, la signification de l’art paléolithique, elle se tournera vers la Préhistoire de l’Amérique du Sud où elle mourra prématurément.
V. Les premiers visiteurs
1. Jean et Amédée Bouyssonie, chanoines et préhistoriens
Jean Bouyssonie (1877-1965) et son frère Amédée (1867-1958) furent tous deux prêtres, chanoines, professeurs au collège Bossuet de Cublac, près de Brive (Corrèze) et, en même temps, célèbres préhistoriens . On leur doit la découverte de la sépulture du Néandertalien de La Chapelle-aux-Saints en 1908. L’abbé H. Breuil, condisciple de J. Bouyssonie au séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux (Seine-et-Oise), s’est réfugié chez eux en septembre 1940, peu avant la découverte de Lascaux. Le 19 septembre, ils sont prévenus par téléphone par Maurice Thaon et, le 20, ce dernier, venu à bicyclette, leur apporte les premiers croquis. C’est ainsi que, le 21, ils accompagnent l’abbé Breuil pour sa première visite à Lascaux, d’abord par le train jusqu’à Terrasson (Dordogne), puis en voiture avec le Dr André Cheynier (1898-1968), préhistorien . L’entrée a été un peu élargie et des marches ont été taillées .
Le 1er octobre, Jean Bouyssonie annonce la découverte dans La Croix. Pendant l’été 1942, en accord avec M. Thaon qui a reçu de H. Breuil la charge de l’étude des parois de Lascaux, J. Bouyssonie prévoit d’y diriger la première fouille programmée, assisté de Marthe et de Saint-Just Péquart. Ce projet ne pourra malheureusement pas se réaliser . En 1947, avant les travaux d’aménagement pour l’ouverture au public, J. Bouyssonie fut à nouveau sollicité, pour superviser les fouilles que devait y mener l’abbé A. Glory, sur l’initiative de D. Peyrony. Ce nouveau projet n’aboutit pas plus que le premier : H. Breuil, alors très défavorable à A. Glory, aurait préféré que J. Bouyssonie soit lui-même chargé de la fouille. Les Beaux-Arts donnèrent une réponse dilatoire et Lascaux ne sera jamais fouillée.
2. Le comte Henri Bégouën, le maître du Volp
Célèbre préhistorien français (1863-1956), il est, depuis 1922, le successeur d’Émile Cartailhac au Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse. Il y crée, dès 1935, une salle consacrée à l’art préhistorique . Il est célèbre par la découverte et l’étude des cavernes du Volp (Ariège) avec ses trois fils.
Il se rend parmi les premiers à Lascaux, le 29 octobre (voir la figure 4, plus haut dans le texte), par le train, avec ses étudiants dont le futur géologue Paul Fitte , l’abbé Jean Sainsaulieu, le journaliste René Barotte de Paris-Soir, envoyé spécial en zone libre , et un certain Coty. Son autre élève, l’abbé A. Glory, était venu dès le 24 septembre. Les visiteurs sont reçus par l’abbé Breuil, ami du comte, et par M. Thaon, M. Ravidat et J. Marsal. Un émouvant cliché du photographe Larivière de Brive rappelle ce jour : tout le monde est groupé autour de l’abbé Breuil, en vareuse claire, et du comte Henri Bégouën en long imperméable gris. P. Fitte est vêtu d’une capote militaire kaki, avec la croix d’Agadès épinglée au revers .
Ce jour-là, malgré son âge (77 ans), le comte Bégouën, chapeau sur la tête, descend dans le Puits sur « une échelle de corde ballottante »… Il se montre réservé sur l’ouverture de Lascaux au public. Bientôt, ce juriste va prononcer la courageuse leçon inaugurale de son cours de la faculté des Lettres de Toulouse, le 13 novembre 1940, où il prend parti contre le racisme . Il contribuera ensuite à faire passer des gens en Espagne.
Son petit-fils Robert Bégouën a bien voulu nous préciser : « C’est Paul Fitte qui m’a dit avoir été aidé par lui lors de son passage des Pyrénées vers l’Espagne. Henri Bégouën lui a donné de l’argent, l’a caché quelques jours aux Espas, et lui a trouvé un passeur pour franchir les montagnes. Mon grand-père était membre (fondateur ?) des Résistants de 1940, et c’était même l’insigne qu’il portait le plus, lui qui avait tant de décorations ! Après ses prises de positions, et à cause de son âge sans doute, il ne fut pas interné au camp de Noé [Haute-Garonne] en 1941, mais il fut prié par Vichy de rester tranquille en Ariège. La Gestapo connaissait sa qualité de « résistant », mais son dossier fut volontairement détruit par un officier allemand de la Wehrmacht. Cet Allemand lui a écrit en 1950 pour le lui raconter (!) car, lors d’une conférence en Allemagne, le comte se demandait pourquoi la Gestapo ne l’avait pas inquiété... Il est des lettres bien émouvantes...
« Bien-sûr, il était en relation avec le cardinal Saliège, mon père [Louis Bégouën] m’en a souvent parlé. Bruno de Solages venait aux Espas du temps de Max Bégouën avec lequel il était très lié . Je pense qu’il avait été aussi en relation avec Henri Bégouën, avec lequel il était en communion de pensée.
« Je n’ai rien sur l’abbé Sainsaulieu. Mais j’en ai entendu parler par mon père car il venait passer des séjours aux Espas. C’était, je crois, un bibliophile passionné . Coty ne me dit absolument rien ». Ce « Coty » n’est sans doute que le pseudonyme de Maurice Thaon, nous souffle François Laval : un article du Figaro serait signé d’un certain « Coty-Thaon » qui se dit l’« authentificateur » de Lascaux....
3. La famille de La Rochefoucauld, propriétaire
Depuis l’Ancien Régime, les La Rochefoucauld ont des terres (Estissac, Chavagnac, Montignac) et des liens familiaux en Périgord . En 1940, les propriétaires de la grotte de Lascaux sont le comte (1883-1974) et, en titre, la comtesse Charles-Emmanuel de La Rochefoucauld-Montbel (née Simone Darblay) (1889-1963). Ils résident habituellement à Paris, au 56 de l’avenue d’Iéna, ou en leur château de Dinard (Ille-et-Vilaine) . En 1940, pour venir en Dordogne, ils n’ont pas eu besoin d’un exceptionnel Ausweis pour franchir la ligne de démarcation, car ils s’étaient refugiés dans leur château de Montbel à Pelvoisin (Indre). Ils visitent donc leur grotte pour la première fois le 17 octobre, un bon mois après sa découverte, avec Marcel Ravidat et Jacques Marsal, Léon Laval, Baptiste Parvau et Paul Fitte. En 1942, le comte semble avoir eu une action à Vichy, peut-être en liaison avec le film La Nuit des temps, si l’on en croit une lettre adressée à Léon Laval.
Après la guerre, pour l’exploitation touristique de la caverne, il monte la Société civile de la grotte préhistorique de Lascaux : elle fonctionne de 1948 à 1963. Son régisseur Baptiste Parvau est gérant . L’exploitation intensive entraîne la pollution de la caverne par le CO2 et la vapeur d’eau, apportés par les visiteurs. De là, en 1957-1958, l’installation, toujours sous la direction de Yves-Marie Froidevaux, architecte en chef des Monuments historiques , d’une machinerie, qui entraînera le saccage du sol des galeries et l’ensemencement de la grotte par des micro-organismes. Lascaux est fermée en avril 1963.
Le 3 janvier 1972, la Société civile de Lascaux cède son bien contre une « indemnité » de 1 million de francs (soit l’équivalent d’un peu plus de 1 million d’euros actuels), mais conserve un droit exclusif de reproduction durant trente ans. On lui doit le commencement des travaux de Lascaux II, abandonnés faute de moyens en 1975 et menés à bien en 1980 par la Régie départementale de tourisme de la Dordogne, dirigée par Daniel Debaye.
Un La Rochefoucauld est cité parmi les membres de la Milice française en 1943-1944, qui compte des cadres au nom prestigieux (Turenne, Vaugelas, Bernonville, Bourmont...) et dont on connaît les crimes et méfaits . Un autre, Robert, est un héroïque résistant, jeune agent du Special Operations Executive à Bordeaux.
4. Denis Peyrony, l’homme des Eyzies
Denis Peyrony (1869-1954), préhistorien, instituteur public aux Eyzies au début du XXe siècle, fut ensuite représentant des Beaux-Arts . Fondateur du musée des Eyzies, ce fouilleur méthodique précisa la stratigraphie du Paléolithique moyen et supérieur, grâce à ses fouilles de la Ferrassie, du Moustier, de la Madeleine et de Laugerie-Haute.
« Convoqué » par H. Breuil comme représentant des Beaux-Arts, il visite Lascaux, avec son fils Élie, le 22 septembre 1940 (voir la figure 5, plus haut dans le texte), mais il n’y travaillera guère . Après une rapide étude des silex glanés dans la grotte (collection Laval), il est convaincu de la datation « périgordienne » des œuvres de Lascaux, au point d’en faire le pari : « Périgordien, topez là ! ». L’abbé A. Glory viendra le 24, le préfet Marcel Jacquier le 28 . En octobre viennent des centaines de visiteurs, dont le comte H. Bégouën et ses étudiants, le 29.
La réglementation des fouilles en France entre réellement en vigueur, sous le nouvel État français, grâce à la loi du ministre Jérôme Carcopino du 27 septembre 1941 , marquant l’institutionnalisation et la professionnalisation de ces recherches. Denis Peyrony, bien que franc-maçon , est le premier titulaire du poste de directeur de la circonscription des Antiquités préhistoriques du Centre, créé par Vichy en mars 1942. Il le demeure jusqu’au 1er mai 1948. En 1946, à l’occasion d’une réorganisation, la Dordogne lui échappe et échoit à son adjoint Séverin Blanc. Furieux, il menace de démissionner et a gain de cause . Cet adjoint lui succédera en 1948 et fouillera hâtivement le fond du Puits en 1949. En 1947, D. Peyrony fait le projet d’une fouille à Lascaux au profit de J. Bouyssonie et A. Glory. Projet sans suites, en raison des travaux d’aménagement et de l’opposition catégorique de H. Breuil à l’intervention d’A. Glory. Après les travaux d’aménagement de 1948 , D. Peyrony, déjà âgé et mal voyant, se contente de déclarer : « Ce qui a été trouvé a été insignifiant ». Il est à l’origine de la découverte des grottes ornées des Eyzies et redoute que Lascaux vienne ternir la gloire de sa « capitale de la Préhistoire ».
Ce défaut de clairvoyance est du même ordre que la réaction de Séverin Blanc devant la frise des rhinocéros de Rouffignac, découverte par le Spéléo-Club de Périgueux en 1948 : il l’attribuera aux maquisards alors que la grotte ne semble pas avoir été fréquentée par eux.
5. Séverin Blanc, un autre préhistorien
Ce préhistorien périgordin (1893-1970) a été instituteur aux Eyzies dès 1925, comme autrefois D. Peyrony. Blessé et cité en 1914-1918, il devient résistant, avec son épouse, puis, arrêté avec son fils Michel, il est torturé et déporté à Buchenwald en janvier 1944. Là-bas, il participe au comité de résistance du camp. Il sera conseiller général de la Dordogne de 1945 à 1951 et ami de P. Mendès France qu’il recevra avec l’abbé Glory.
En 1948, peu d’années après son retour de déportation pour faits de résistance, il remplace D. Peyrony, dont il fut l’adjoint, comme directeur de la 7e circonscription des Antiquités préhistoriques. Il occupe donc ce poste créé en 1942 par le gouvernement de Vichy contre lequel il a lutté jusqu’à son arrestation. À ce titre, son nom apparaît à propos de Rouffignac , Saint-Cirq, l’abri du Facteur et l’abri Pataud-Vignaud. Il facilite l’acquisition de l’abri Pataud par le Muséum national d’Histoire naturelle. Toutefois, selon D. Peyrony, « abusant de la bienveillance que je lui témoignais, il entreprit des travaux de grattages un peu partout ».
Avec H. Breuil et M. Bourgon, du 2 au 7 septembre 1949, il fouille hâtivement le fond du Puits de Lascaux à la recherche d’une sépulture. Les objets recueillis sont aujourd’hui au musée des Eyzies (collection Blanc). Il se distingue de H. Breuil et D. Peyrony : comme A. Laming, il pense Lascaux plus récent que le Gravettien.
6. André Glory, le grand chercheur de Lascaux
Un abbé préhistorien
Ce prêtre préhistorien (1906-1966) a fait ses études de théologie en Alsace. Prêtre en 1933, il a exercé son ministère à Orbey (Haut-Rhin) jusqu’en 1939. Il a alors commencé à pratiquer la préhistoire en Alsace et la spéléologie dans le Midi, notamment à Orgnac avec Robert de Joly. La guerre dans le service de santé à Vesoul et la retraite de l’armée le conduisent à Toulouse en 1940 où il suit les cours du comte Bégouën. Là, il rencontre H. Breuil. Il effectue ses premiers relevés d’art paléolithique à la Baume Latrone (Gard), avec Paul Fitte, puis en Ariège et dans le Var, et enfin après la guerre, à Ebbou (Ardèche) avec, notamment, le jeune dessinateur strasbourgeois Tomi Ungerer, qui fera une si belle carrière (fig. 8).
Ayant appris la découverte de Lascaux le 18 septembre 1940 alors qu’il était aux Eyzies à Laugerie-Basse, chez son ami Jean Maury (inventeur de la grotte du Grand Roc), il fut un des premiers visiteurs de la grotte le 24 septembre 1940 avec J. Marsal et, entre autres, D. Peyrony, M. Thaon, Jean Maury et l’abbé Jean Estay, curé des Eyzies .
En 1942, il soutient une thèse d’université sur le Néolithique d’Alsace, dédiée au maréchal Philippe Pétain (avec son « respectueux attachement »). Pendant ce temps, ses collections d’Orbey (c’est le pays du fromage de Munster) sont pillées par les Allemands de Himmler qui recherchent les preuves de la germanité de l’Alsace. De la Ville rose, le 18 mars 1942, il écrit à Léon Laval : il semble vouloir écrire un ouvrage sur Lascaux et projette de venir passer quinze jours aux Eyzies en septembre. Ces projets ne se concrétiseront pas.
L’abbé publie en 1944 À la découverte des hommes préhistoriques, ouvrage où il narre de façon assez romancée la découverte de Lascaux avec 4 photographies et un dessin de M. Thaon . La couverture représente un abbé Glory idéalisé contemplant la Frise des cerfs, tout équipé et ceint d’une bouée de sauvetage… Après la guerre, André Glory effectue des relevés par calque en Dordogne, dans le Lot et au Portugal . Sur la demande de H. Breuil, après un refus et divers atermoiements de celui-ci, et malgré de lourds problèmes rhumatismaux, il est enfin en charge des études à Lascaux de 1952 à 1963 (calques des gravures, sauvetage des objets mis au jour par les funestes travaux de 1957-1958, fouille du Puits en 1960-1961) et on lui doit beaucoup : il a sauvé ce qui pouvait être sauvé . À ses débuts, il est aidé et logé par Roger Constant, inventeur du squelette du Régourdou, qui fut matelot de l’État en 1940. Son disciple, l’abbé Jean-Louis Villeveygoux (1940-1966) l’aidera notamment lors de la fouille du Puits .
Après la fermeture de la grotte, il effectuera les calques des fines gravures de Roucadour (Lot). Conformément au souhait de son maître Breuil, A. Glory préparait, dans sa maison du Bugue, une suite pour les Quatre cents siècles d’art pariétal, quand il fut victime d’un fatal accident d’auto en juillet 1966. A. Glory avait réuni presque tous les éléments de sa monographie sur Lascaux pour la revue Gallia (C.N.R.S.). Le texte était déjà très avancé. Il ne sera retrouvé qu’en 1999 et publié en 2008 .
Brigitte et Gilles Delluc
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Amédée Bouyssonie était surtout préoccupé de théologie (A. Roussot, in litt., février 2009).
Géologue (1917-1997), alors étudiant à Toulouse. On lui doit une coupe de l’Entrée primitive et du cône d’éboulis montrant une deuxième galerie d’accès, opposée à la première. Elle est aujourd’hui bouchée par la maçonnerie et sa désobstruction, à la demande de A. Leroi-Gourhan, s’est soldée par un résultat négatif (Fitte, 1990). Bientôt il étudiera avec A. Glory la grotte de la Baume Latrone (Gard), découverte depuis peu. En 1942 ou au début de 1943, il franchira les Pyrénées, sera interné au camp de Miranda, fera la campagne d’Italie, notamment au Garigliano (Monte Cassino). Porté disparu, il apprendra, à son retour, la mort de sa femme et de sa fille. Ingénieur ensuite au Centre de l’énergie atomique et grand collectionneur.
Les clichés Larivière ont disparu lors d’une inondation de Brive.
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