Le singe descend de l'homme !
Philosophie Magazine
N° 35
Mensuel Décembre 2009/Janvier 2010
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Le singe descend de l’homme !
Non ce n’est pas une blague ou une hypothèse philosophique saugrenue. Mais la conséquence d’une découverte scientifique qui a fait le tour du monde sans qu’on ne mesure sa réelle portée.
Qu’est-ce qu’on a découvert ? Une équipe scientifique internationale a mis à jour Ardi, le squelette d’une hominidée vivant en Ethiopie il y a 4,4 millions d’années. Publié dans un dossier spécial de la revue américaine, Science, en date du 2 octobre, le cas Ardi fait aussitôt le tour de la presse mondiale, de l’édito du New York Times à 20 minutes en passant par Al Jazeera (voir les liens infra). Beaucoup plus vieille que Lucy (3,2 millions d’années), Ardi révèle que notre plus vieil ancêtre était déjà bipède : il marchait sur ses deux pieds et non à quatre pattes.
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En quoi cela bouleverse-t-il notre vision de origines ? Jusqu’ici on s’imaginait que l’homme, issu de la même branche que les grands singes, s’était différencié, en se dressant sur ses pieds. Si l’ancêtre commun de l’homme et des singes, que l’on se représentait comme un grand singe, était déjà debout, alors, il faut inverser le schéma de l’évolution.
La découverte d’Ardi réfute-t-elle la théorie de l’évolution de Darwin ?
Les créationnistes américains et musulmans se sont déjà emparés du cas de Ardi pour clamer que Dieu avait créé l’homme à son image – debout. En réalité, si Ardi bouleverse le schéma de l’évolution, il confirme le principe darwinien d’une origine animale de l’humanité et d’une différenciation des espèces s’adaptant à la modification de leur milieu.
En quoi cela nous concerne-t-il directement ? Ardi nous prive du grand événement qui permettait de penser l’émergence de l’humanité. Si la station droite – associée au développement de l’outil et du cerveau – ne suffit plus à distinguer l’homme et l’animal, alors il faut se forger une nouvelle idée du propre de l’homme sur la base d’un partage de l’ensemble de ses compétences avec les grands singes.
En mettant en perspective la cas de Ardi, Philosophie magazine montre que c’est toute notre vision des origines qui est bouleversée et interroge les spécialistes (paléontologues, éthologues et philosophes) sur leur conception renouvelée du propre de l’homme. Avec Yves Coppens, Franz de Waal, Dominique Lestel, Peter Singer, Etienne Bimbenet, Robert Legros et Pascal Engel. |
Schéma réalisé par Philosophie magazine
Sommaire du dossier Le singe descend de l'homme !
Philosophie Magazine n°35
ARDI UNE DECOUVERTE RENVERSANTE p. 40
ARDI vient de révèler son secret : elle est bipède et vieille de 4,4 millions d’années ! Bien plus vieille que Lucy…Elle que l’on représentait comme un singe nous ressemble davantage… Le croquis p 49 permet de comprendre comment passer de l’idée de l’homme qui descend du singe… à celle du singe descendant de l’homme !
LA GLOIRE DE NOS PIEDS p. 42
Etre debout sur ses deux jambes plutôt qu’à quatre pattes a toujours été un motif de fierté pour l’homme. Aristote, Hegel, Montaigne ou Rousseau ont pris « leurs pieds » pour sujet… Chez les philosophes, c’est la tête et les jambes !
« J’EN APPELLE A UN REEXAMEN DE NOTRE HUMANITE » MARC GROENEN p. 44
Qu’est-ce qui constitue notre humanité ? Faut-il repenser le schéma de l’évolution ? Assurément, pour le préhistorien Marc Groenen.
EXCLUSIF ! ENTRETIENS AVEC LES DECOUVREURS D’ARDI
« A de nombreux égards, les humains sont plus primitifs que les chimpanzés » Owen LOVEJOY, anatomiste.
« C’est un nouveau chapitre du livre de l’évolution humaine qui s’ouvre » Tim WHITE, paléontologue.
PETITE HISTOIRE DE NOTRE EXCEPTION p. 50
Qu’est-ce qui fait de moi un homme ? De Platon à Marx en passant par Rousseau, les philosophes se disputent encore la réponse : parler ? travailler ? se transformer ? avoir une conscience ?
MAIS ALORS QUI SOMMES-NOUS ? p. 52
Comment l’homme est-il devenu ce qu’il est aujourd’hui ? 7 spécialistes donnent leurs nouvelles définitions de l’homme pour Philosophie Magazine.
Le résultat d’un bouleversement climatique par Yves COPPENS
Des êtres de culture par Robert LEGROS
Un animal exceptionnel car prématuré par Etienne BIMBENET
Une espèce formée par le contact avec les animaux par Dominique LESTEL
Une accumulation de petites différences par Pascal ENGEL
C’est un problème moral, pas anthropologique par Peter SINGER
Des singes bipolaires par Frans de WAAL
Un extrait de l'interview de Marc Groenen pour Philisophie Magazine
Notre vision de l’origine ne s’est pas seulement élargie, elle a été, selon vous, complètement renversée. En quoi ?
La vision des origines, que tout le monde a en tête, met en scène l’avènement de l’humanité comme une conquête progressive de la station érigée – ce qu’on appelle la bipédie. L’homme advient en se redressant et en se déplaçant sur ses seules pattes arrière. Pourquoi ce geste est-il jugé décisif ? André Leroi-Gourhan, préhistorien et philosophe, a montré comment l’acquisition de la bipédie a entraîné une « pneumatisation » du crâne et une augmentation consécutive du volume cérébral. Dans le même temps, comme la locomotion est gérée par les membres inférieurs, les membres supérieurs ont été libérés : l’outil et la technique ont pu se mettre en place. La bipédie est donc le socle morphoanatomique rendant possibles toutes les compétences proprement humaines (intelligence, technique et langage). Cela n’avait pas échappé aux philosophes. On l’oublie trop souvent, mais d’Aristote à Hegel en passant par Rousseau et Herder, tous ont fait de la station verticale le socle de notre humanité, et ce, bien avant que la théorie de l’évolution et la paléontologie ne viennent étayer leurs thèses (lire p. 42). Sous le coup des dernières découvertes, ce schéma philosophique et scientifique a éclaté.
Pour quelles raisons ?
Deux grandes découvertes ont fait chavirer notre représentation des origines : celle d’Orrorin et celle de Toumaï. Orrorin, « l’être originel », appelé aussi « fossile du millénaire », a été retrouvé par Brigitte Senut, au Kenya en 2000. Bien qu’il relève d’un nouveau genre d’homininés,
il nous a fait faire un prodigieux bond dans le temps : Orrorin date de 6 millions d’années, alors que Lucy, dans laquelle on voyait jusqu’alors notre plus vieil ancêtre, ne date « que » de 3,2 millions d’années. Avec Toumaï (« espoir de vie »), découvert par Michel Brunet, au Tchad en 2001, on remonte encore plus loin dans le temps, autour de 7 millions d’années. Mais le point le plus important est qu’Orrorin et Toumaï sont bipèdes. Sans doute ne marchaient-ils pas exactement comme nous, d’autant qu’ils grimpaient aussi dans les arbres, mais ils présentaient une bipédie étonnamment évoluée. La conséquence de ce constat est énorme : la station érigée, dans laquelle on voyait le terme tardif d’une évolution conduisant du singe à l’homme, doit être posée au point de départ ! La bipédie est première. Et l’évolution peut être considérée comme un lent processus de spécialisation des genres et des espèces à partir de cette bipédie initiale. Tout se passe comme si l’on avait, dès le départ, un ou plusieurs êtres (qui viennent d’un ancêtre commun) présentant une bipédie relativement dérivée, et que, depuis ces êtres, il y avait eu des rameaux divergents avec d’autres modes de bipédie....
Textes reproduits avec l'autorisation de Philisophie Magazine
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