Armes létales, archéologie expérimentale
Des armes de jets préhistoriques reconstituées afin de mesurer leur efficacité et leurs différentes utilisations.
Archéologie expérimentale
Les chercheurs ont reconstitué des pointes utilisées comme armes de jet au Paléolithique il y a 14 000 ans dans la région correspondant à l’Alaska d’aujourd’hui. Les archéologues cherchaient à comprendre les choix technologiques des hommes pour fabriquer et utiliser des armes différentes à un moment donné.
Comme des détectives étudiant une scène de crime, les archéologues de l'Université de Washington ont recréé les armes utilisées par les chasseurs-cueilleurs dans l'Arctique post-glaciaire il y a environ 14 000 ans. À la recherche d'indices sur la façon dont ces hommes préhistoriques ont développé leur propre technologie, les chercheurs ont également essayé de voir les implications sur les migrations humaines et l’extinction de certaines espèces animales.
La reconstruction des armes et leur utilisation ont été publiées le 31 janvier dans la revue Journal of Archaeological Science par les anthropologues Janice Wood et Ben Fitzhugh.
Photo de Janice Wood
Des chasseurs précis et organisés
L'équipe a choisi d'étudier les armes de chasse datant des plus anciens sites découverts en Alaska (entre -10 000 et -14 000 ans), ce qui correspond d’une part à l’époque la moins connue sur le plan archéologique et d’autre part à un moment où plusieurs types de projectiles étaient utilisés.
"Les chasseurs-cueilleurs de -12 000 ans étaient vraisemblablement plus subtils et doués que nous ne le pensions à l’origine", a déclaré Ben Fitzhugh. «Nous ne pensions pas que les chasseurs-cueilleurs du Pléistocène avaient ce genre de sophistication, mais cela devait être vital pour survivre dans leur vie quotidienne, comme la chasse de gibier et les meilleurs outils à utiliser en fonction des proies disponibles."
C’est la première étude qui s’intéresse à la balistique des armes de chasse dans cette région de l’Amérique du Nord juste après l’ère glaciaire. Pour compléter leur alimentation issue de la cueillette de plantes et de baies, les groupes nomades chassaient le caribou, le renne et d'autres animaux, généralement avec des arcs ou des pointes (lancées avec des propulseurs (atlatl). Sans possibilité de retrouver aujourd’hui les parties en bois, les armes sont principalement différenciées dans le registre archéologique par le type de fabrication des pointes en pierre, en os ou en bois de cervidé.
Les chercheurs avouent ne pas arriver à déterminer si les différents types de pointes n’étaient associés qu'à certains groupes de personnes, ou si, au sein d’un même groupe, on se servait de certains types de pointes pour se spécialiser sur une chasse ou un gibier en particulier. Il est généralement admis que plusieurs types de pointes ont été développés en Afrique et en Eurasie et amenés en Alaska avant la fin de la période glaciaire. Ceux-ci comprenaient des pointes rudimentaires faites d'os aiguisés, de bois de cervidé ou d'ivoire ; des pointes de pierre taillées plus complexes connues sous le nom de "pointes de flèches"; et des pointes composites faites d'os ou de bois de cervidé avec des microlames de pierre enfichées sur le pourtour de la pointe.
Différents types de pointes
« Les trois pointes ont probablement été créées à des moments différents, mais elles ont été utilisées simultanément car chacune avait probablement ses avantages propres », a déclaré Wood. Comprendre le fonctionnement de ces armes nous informe à la fois sur les chasseurs préhistoriques en eux-mêmes et les répercussions sur leurs pratiques.
Janice Wood s'est rendu dans la région autour de Fairbanks, en Alaska, et a fabriqué 30 projectiles, 10 de chaque type. Elle a essayé de rester aussi fidèle que possible aux matériaux et aux procédés de fabrication originaux, en utilisant des fûts en peuplier, du goudron de bouleau comme adhésif pour fixer les pointes aux extrémités des futs. Alors que les anciens habitants de l’Alaska utilisaient des propulseurs, Wood a utilisé une sorte d’arc recourbé en érable pour tirer sur les flèches de manière plus contrôlée et précise.
• Pour reproduire la pointe en os, selon le modèle d’une pointe en ivoire vieille de 12 000 ans provenant d'un site archéologique de l'Alaska, Wood a taillé dans un os de vache…
• Pour la pointe de pierre, la scientifique a utilisé un morceau d'obsidienne qu’elle a façonnée en pointe comme celles retrouvées sur un site en Alaska il y a 13 000 ans…
• Et pour la pointe composite microlame/os ou bois, la chercheuse s’est basée sur des technologies modélisées sur des site de – 13 000 ans en Alaska en utilisant un bois de caribou avec inclusion de microlames en obsidienne.
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Les chercheurs de l'Université de Washington ont reconstitué des projectiles pour tester leur efficacité et leurs utilisations. De gauche à droite : les pointes en obsidienne, microlames et os. Photo de Janice Wood
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Des tests grandeur nature pour trouver la meilleure efficacité
Wood a ensuite testé comment chaque pointe pouvait pénétrer et endommager des cibles différentes, à savoir des blocs de gélatine balistique (une gélatine synthétique destinée à imiter le tissu musculaire animal) et une carcasse de renne fraîche, achetée à une ferme locale.
Afin de reproduire en partie les conditions climatiques, Wood a mené ses essais un jour de décembre, avec une température extérieure moyenne de - 17 degrés Fahrenheit (soit -8 degrés Celsius).
Lors de cet essai d’archéologie expérimentale, Wood a pu remarquer que les pointes composites munies de microlames étaient plus efficaces que les pointes en pierre ou en os sur les plus petits gibiers. Les tests montrent que cette combinaison a une plus grande probabilité de causer des dommages incapacitants, quel que soit l’endroit du corps de l’animal qui est touché.
Les pointes faites de pierre ou d'os avaient d’autres avantages.
Les pointes d'os pénétraient profondément mais créaient des blessures plus étroites, suggérant leur potentiel pour perforer et étourdir des proies plus grandes (telles que le bison ou le mammouth).
Les pointes de pierre provoquaient des plaies plus larges, surtout sur de grandes proies (élan ou bison), ce qui aurait entraîné une mort plus rapide.
Wood a déclaré que les résultats montrent que les chasseurs de cette époque avaient acquis suffisamment d’expérience pour connaître la meilleure pointe à utiliser, et à quel moment. Les hommes chassaient en groupes ; ils devaient impérativement réussir leurs campagnes de chasse, en un minimum de temps, en évitant les dangers pour eux-mêmes !
CR
Sources
ScienceDaily
Wound ballistics: The prey specific implications of penetrating trauma injuries from osseous, flaked stone, and composite inset microblade projectiles during the Pleistocene/Holocene transition, Alaska U.S.A.. Journal of Archaeological Science
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