Les premiers chasseurs
Frédéric Belnet
Bien plus rares qu’on ne le pense, des preuves – directes ou indirectes – suggèrent aux préhistoriens que la famille humaine, pour se procurer les protéines nécessaires à son développement, est passée d’un comportement charognard à un comportement prédateur. La transition est toutefois bien difficile à cerner, tout comme les réelles pratiques de chasse.
L’image d’Épinal
De La guerre du feu aux aventures de Rahan en passant par les reconstitutions télévisées, l’image d’Épinal du chasseur préhistorique, brandissant son épieu face à un mammouth, est tellement ancrée dans notre culture qu’on a peine à seulement envisager une réalité différente. Or, si nos ancêtres sont bien d’habiles chasseurs, ce mode de subsistance n’intervient probablement que progressivement, et à un certain stade seulement de l’évolution de la famille humaine. Probablement, car anthropologues et préhistoriens, là encore, peinent à retracer cet usage, comme tous ceux des premiers hominidés.
Maigres indices
Les vestiges matériels de cette pratique a priori essentielle sont bien moins présents que ceux d’autres activités, comme l’art. Bien sûr, il y a les pierres taillées. Mais celles-ci sont plus souvent des outils à dépecer, découper les animaux morts, des racloirs pour traiter leurs peaux, que des armes de chasse. Ces dernières sont identifiables par leur forme (harpons…) ou – plus rarement – parce qu’encastrées dans la carcasse fossilisée d’animaux, comme pour ce mastodonte ouest-américain vieux de 13 800 ans, trouvé avec une pointe de sagaie fichée dans une côte. Ces armes apparaissent surtout à partir de l’époque où les pierres taillées sont suffisamment légères pour être emmanchées.
Trouvés sur un site d’occupation humaine, les os fossilisés du gibier peuvent aussi documenter l’activité cynégétique. Souvent, ce sont des indices indirects qui renseignent les chercheurs : la présence, au même endroit, de nombreux restes d’animaux de la même espèce et souvent du même âge, comme les nombreux rennes trouvés à Tautavel (Pyrénées orientales, -450 à -300 000 ans), par exemple, atteste d’un choix préférentiel qui écarte alors l’idée d’une exploitation fortuite, par l’homme préhistorique, de carcasses trouvées au hasard. Car – et c’est là toute la difficulté – nos ancêtres sont sans doute des charognards opportunistes, avant d’être des chasseurs ! Bien ardu, pour les archéologues, de départager les deux types de subsistance…
Photo : machoires de rennes trouvées à la Caune de l'Arago, exposées au Musée de préhistoire de Tautavel.
Photo Kroko
L’homme charognard
Les théories se bousculent, basées sur des sources archéologiques et ethnologiques (notamment le mode de vie des Bushmen). Jusqu’aux années 1960, l’anthropologue australien Raymond Dart, le découvreur des australopithèques, popularise l’idée d’un hominidé devenu rapidement chasseur pour compenser sa faiblesse naturelle. Une activité qui, selon l’hypothèse de l’archéologue sud-africain Glynn L. Isaac (années 1970), s’organise autour de camps de chasse, avec division du travail. En 1981, son confrère américain Lewis Binford introduit au contraire l’idée d’un hominidé essentiellement charognard, exploitant les carcasses sur place ; il estime même que la chasse n’apparaît véritablement que vers -40 000 ans.
Un relatif consensus se dessine ensuite autour d’un scénario intermédiaire, proposé par les paléoanthropologues d’aujourd’hui. Les premiers hominidés d’Afrique orientale (les australopithèques et leurs cousins) se contentent d’exploiter les charognes trouvées sur le terrain. Leurs successeurs, les premiers Homo, continuent sur cette lancée – en utilisant des outils rudimentaires tels que des galets aménagés. Mais, durant l’Acheuléen, Homo erectus (-1,8 à -0,5 Ma environ), parfois appelé Homo ergaster en Afrique, y ajoute peu à peu d’autres pratiques : la capture de petits animaux, puis le piégeage de proies plus grosses (dans des fosses) qu’il n’a plus qu’à achever.
Image de Benoit Clarys
L’homme chasseur avéré
Récemment mis au jour à Schöningen, en Allemagne, près de restes de chevaux, des javelots de bois (un matériau qui ne se conserve qu’exceptionnellement) vieux de 300 à 400 000 ans constituent la plus ancienne preuve irréfutable. Bien équilibrés, ce sont des armes de jet utilisées par H. erectus (ou son descendant européen, H. Heidelbergensis). À Terra Amata, près de Nice, ce dernier laisse, il y a 380 000 ans, les ossements des jeunes éléphants (d’espèce ancienne), aurochs, cerfs, sangliers, mais aussi lapins et oiseaux qu’il consomme. À Clacton-on-Sea, près de l’estuaire de la Tamise, c’est un épieu en if de 150 000 ans que découvrent les archéologues, dans un site recelant aussi les restes de rhinocéros, de cervidés, de bovinés… Côté poissons et fruits de mers, ces hommes semblent se contenter occasionnellement de quelques coquillages.
L’épieu reste l’arme dominante au cours du Paléolithique moyen (-300 000 à -35 000 ans), durant lequel l’Homme de Néandertal, contrairement à ses prédécesseurs, commence à pêcher truites, saumons et anguilles dans les lacs et les rivières. Puis, au Paléolithique supérieur (-35 à -10 000 ans environ), apparaissent la sagaie, à la longue hampe, et le harpon. La pointe amovible de ce dernier est souvent faite en bois de renne, lequel devient l’un des gibiers prépondérants d’Homo sapiens. L’invention du propulseur permet à ce dernier de ‘catapulter’ ses armes de jet plus fort et plus loin, et de terrasser même les mammouths, très chassés en Europe centrale et orientale.
Enfin, si de petites pointes lithiques vieilles de 20 000 ans trouvées à La Gravette (Dordogne), voire de 65 000 ans trouvées en Afrique du Sud, suggèrent l’utilisation précoce d’arcs et de flèches, les plus anciennes de ces armes (avérées), découvertes en Allemagne, remontent à -11 000 ans environ. Encore un pas de géant pour l’homme, devenu chasseur invétéré…
Photo Pointe du Gravettien exposées au Musée de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac. Photo Kroko
Frédéric Belnet,
journaliste scientifique
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En partenariat avec
Article Les premiers chasseurs, paru dans la revue Historia numéro 787 de juillet 2012.
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Le musée de Tautavel présente les restes de 40 carcasses de rennes abandonnés dans la Caune de l’Arago par des Homo erectus. Il y a 550 000 ans ces premiers hommes ont profité d’une halte de quelques jours pour traquer les rennes qui passaient le gué du Verdouble. Ils devaient ensuite ramener les carcasses dans la cavité pour les dépecer tranquillement.
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