Sommaire Pourquoi l'art préhistorique ?
Introduction
Chapitre I : Présentation du site de Brassempouy (Landes, France) : une caverne modeste pour la Joconde de la Préhistoire
I. Avant-propos
II. Localisation
III. Aperçu géologique et topographique
IV. Aperçu historiographique
V. Orientation de l’étude
Chapitre II : Les fouilles du XIXè siècle (1880-1881 ; 1891-1897) et la découverte des statuettes féminines
I.Descriptions stratigraphiques : une séquence quasi-complète du Paléolithique supérieur dans l’Avenue, la grotte du Pape et la Grande Galerie
II.Les fouilles Dubalen (1880-1881)
III.Les fouilles De Laporterie et Dufour (1890-1892)
IV.Les fouilles de l’AFAS (19 septembre 1892)
V.Les fouilles Piette et De Laporterie (1894-1895)
VI.Les fouilles Piette et De Laporterie (1896-1897)
VII.Synthèse
Chapitre III : Le chantier I : une zone de rejet en avant de la grotte du Pape
I.Descriptions stratigraphiques
II.Présentation de l’assemblage lithique de la couche D du chantier I
III.Une variété d’armatures lithiques
IV.Des modalités opératoires rapides et unifiées
V.Une utilisation de matières premières locales
VI.Le chantier I : une zone de rejet d’atelier de taille du silex ?
Chapitre IV : Le secteur GG2 au fond de la grotte du Pape : un dépôt intentionnel d’armes gravettiennes sacrifiées ?
I.Un témoin de la stratigraphie originelle au fond de la grotte du Pape
II.Présentation du corpus d’étude
III.L’industrie lithique
IV.L’industrie osseuse
V.Les données spatiales et taphonomiques
VI.Vers une attribution gravettienne
VII.Réflexion sur la mise en place des dépôts dans le secteur GG2
VIII.Un dépôt intentionnel d’armes sacrifiées ?
IX.Une conjonction d’éléments particuliers
X.Un sanctuaire à Brassempouy ?
Chapitre V : Armes et Vénus : vers une paléo-sociologie des gravettiens de Brassempouy
I.Une seule tradition gravettienne ?
II.Un espace compartimenté : l’exemple-type du campement gravettien à Vénus d’Europe occidentale
III.Une cohérence régionale à l’échelle pyrénéenne
IV.Une cohérence nationale à l’échelle française
V.Une trame eurasiatique
Chapitre VI : De la technologie à l’idéologie
I.Introduction : l’idéologie comme objectif anthropologique
II.Un socle conceptuel restreint : l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne de G. Dumézil et la bipolarité sexuelle paléolithique de A. Leroi-Gourhan
III.À la recherche de l’idéologie gravettienne
IV.Sanctuaires armés : de Brassempouy à Lascaux
Conclusion
Epilogue : la métamorphose de Vénus
Une illustration tirée de l'ouvrage
La Poire est une statuette féminine en ivoire de mmammouth dont seul le torse a été conservé.
Il a été découvert en 1892 dans la Grotte du Pape à Brassempouy.
Il est maintenant conservéau Musée d'Archéologie Nationale de St Germain en Maye
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Un extrait de Pourquoi l'art préhistorique ?
ÉPILOGUE
LA MÉTAMORPHOSE DE VÉNUS
(p. 125-126)
Dans la Préhistoire et les sociétés primitives de manière générale, le domaine du féminin est omniprésent. Fentes naturelles transformées en vagin, symbole matriciel de la grotte elle-même récupérée en vaste champ d’application d’une idéologie de la fécondité pouvant éventuellement posséder une charge partiellement érotique. Le travail fondateur d’A. Leroi-Gourhan (1965) le montrait déjà : le domaine du féminin, dans la Préhistoire et particulièrement au Gravettien est largement sur-représenté. Dans l’échelle du temps, la vulve est le symbole qui possède la plus grande fourchette chronologique de perduration. Dans l’espace, aucune culture au sens technique du terme n’exprime mieux que le Gravettien l’uniformisation par l’image de la femme. Le cœur du Paléolithique supérieur coïncide ainsi avec le paroxysme de la puissance de l’image de la femme. L’identité culturelle de l’Europe gravitait autour d’une spiritualité où les courbes corporelles caractéristiques de la gestation féminine étaient sublimées de manière iconique. Plus généralement, la pensée primitive est profondément marquée par une iconographie et un symbolisme féminins.
Les sociétés primitives ont considéré que l’enfantement par la femme était quelque chose de prodigieusement divin et respectable et que les femmes structuraient toute société puisque par l’enfant, elles recréaient le monde devant elles. Pour ces sociétés, l’enfantement reproduit à échelle humaine la création terrestre. Dans l’exemple du Gravettien, le domaine du sacré gravite autour de symboles maternels féminins. Les Vénus, davantage connues du grand public sous la dénomination simplificatrice de Déesses-Mères, synthétisent le respect sacré du domaine féminin. Le culte de la fécondité féminine est d’ailleurs une constante des sociétés qui a perduré bien après la fin du Paléolithique supérieur jusqu’à la disparition des derniers païens d’Europe.
La caverne ornée est l’expression cosmique de la matrice féminine. La Vénus en est l’icône magnifiée. Et ni les efforts respectueux des gravettiens enterrant leur petites Vénus dans des fosses souvent recouvertes de scapula de Mammouth, ni les mauvaises interprétations des textes religieux succédant aux spiritualités paléolithiques ne firent oublier les anciennes icônes païennes.
Avec la « Figurine à la Capuche », le Gravettien, et plus spécifiquement le site de Brassempouy, a offert le plus beau visage de la Préhistoire. Cette Vénus est le visage de l’absolu originel, elle est l’une des manifestations les plus parfaites à travers laquelle l’homme arrache quelque chose à la mort.
Elle est le visage le plus familier de la sculpture mondiale. Comme toute œuvre primitive, elle présente les formes les plus chargées de surnaturel que nous connaissions. Son visage évoque l’idée d’une femme issue d’une autre planète davantage qu’une femme qui aurait vécu dans le sud de la France il y a 23 000 ans selon l’estimation chronologique effectuée à partir de l’étude du mobilier archéologique associé. Et pourtant elle nous paraît familière malgré son coup beaucoup trop long et le mystère de son regard d’ombre. Les seules parties du visage représentées sont fusionnées sous la forme de deux arcades sourcilières prolongeant le nez tel une panthère. Son visage est à la fois félin par sa partie supérieure, saurien par sa partie inférieure.
Le voile de la « Figurine à la Capuche » ne recouvre pas son autorité naturelle habilement diffusée par la géométrisation d’un visage reptilien : il la sublime. Car la Dame de Brassempouy incarne la star. Elle est la Grace Kelly de la Préhistoire. André Malraux disait qu’elle a besoin de la lumière pour exister, comme les stars. Jusqu’à sa récente exposition publique au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye en 2008, sa notoriété ne reposait que sur la circulation de sa reproduction sur papier glacé. Tout le monde connaît son visage mais peu de personnes l’ont vue, comme les stars. Les photographies la subliment, masquent l’impact inéluctable du temps lézardant sa joue droite tout en rehaussant les reflets patinés de son teint d’ivoire.
Avec le buste de Nefertiti, seules les sociétés encore préhistoriques de l’Égypte pharaonique surent, après les grandes civilisations paléolithiques, mettre en place des modèles féminins dotées de l’alliance d’une puissance similaire, entre forme corporelle iconique et autorité coercitive. É. Piette ne s’était pas trompé, lui, l’inventeur méthodique qui la pensait en reine égyptienne.
Considérée comme trop orientale pour une statuette féminine européenne, la « Figurine à la capuche » fut soupçonnée d’être un faux après sa découverte. Trop aryenne pour une beauté égyptienne, le buste de Nefertiti alimenta les mêmes types de rumeurs selon un effet miroir. Dès leur découverte, les deux femmes auraient pu catalyser des réflexions sur la nature de la ligne de démarcation entre les valeurs transculturelles et celles, davantage spécifiques. Œuvres psychopompes, elles auraient pu canaliser les meilleurs instincts de l’humanité vers une fraternité des peuples dont le respect des différences s’appuierait sur un socle et des aspirations culturelles communes. Néanmoins, victimes de leur beauté à la perfection nécessairement suspecte, ces œuvres majeures de l’humanité n’ont pas été assez profondément questionnées.
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