Dame de Brassempouy - Venus de Brassempouy - Dame à la capuche - Aurelien Simonet
La Dame de Brassempouy (Landes)
Bilan des données archéologiques
Aurélien Simonet
Icône de l’art mobilier paléolithique, figure tutélaire et emblème du musée d’Archéologie nationale, la « Dame de Brassempouy » ou « Dame à la capuche » a été découverte en 1894 à l’entrée d’une cavité modeste du département des Landes (40). Elle représente l’un des chefs-d’œuvre paléolithiques de la salle Piette du musée d’Archéologie nationale. Jusqu’à l’ouverture de cette salle au public en 2008, seuls quelques privilégiés pouvaient admirer la Dame de Brassempouy. S’il s’agit d’une des plus anciennes représentations humaines du monde, sa signification demeure hermétique.
Présentation du village de Brassempouy (Landes) Brassempouy est une commune du sud-ouest de la France, située dans le département des Landes (région Nouvelle-Aquitaine), à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Saint-Sever et une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Mont-de-Marsan (préfecture des Landes). Le village qui comporte actuellement un peu moins de 300 habitants en comptait le double à la fin du XIX° siècle. L’édification du village date de l’époque médiévale, du XII° siècle. Brassempouy est une bastide anglaise structurée en village-rue. Les maisons sont organisées autour d’une rue principale fermée d’un côté par le château et, de l’autre, par l’église.
A gauche : Village de Brassempouy (Landes). Photographie A. Simonet.
Découverte du site archéologique de Brassempouy
Le site archéologique de Brassempouy, situé à 2 kilomètres du centre du village, a été découvert en 1880. Le comte de Poudenx, propriétaire des bois dans lesquels la grotte est située, remarqua des ossements d’espèces éteintes mis au jour par des travaux visant à élargir un chemin d’accès à une carrière de calcaire. Il confia la direction de fouilles archéologiques à Pierre-Eudoxe Dubalen qui découvrit l’entrée d’une grotte masquée par des éboulis. On donna à cette cavité le nom de la métairie du Pape appartenant au comte de Poudenx. Au moment de la découverte, l’intérieur de cette « grotte du Pape » était comblé de sédiment jusqu’à une vingtaine de centimètres du plafond. Ces premières fouilles, arrêtées en 1881, ont atteint des niveaux magdaléniens et solutréens situés devant l’entrée comme l’attestent les premières publications de Pierre-Eudoxe Dubalen. Aucune pièce en ivoire de mammouth n’est alors mentionnée.
Colline au pied de laquelle est situé le site archéologique de Brassempouy. Photographie A. Simonet.
Découverte de la Dame de Brassempouy Les fouilles archéologiques seront reprises en 1890 par Albert Léon-Dufour et Joseph de Laporterie. Ces deux savants identifient un niveau comportant des pièces en ivoire de mammouth qui livrera plus tard, en 1892, deux statuettes féminines. De 1894 à 1897, Édouard Piette s’associe à Joseph de Laporterie pour diriger ce qui sera la plus importante campagne de fouilles archéologiques du XIX° siècle à Brassempouy : la quasi-totalité des sédiments comblant les quarante mètres de la grotte du Pape sont vidés. Cinq statuettes sont découvertes en 1894 : La « Dame à la capuche », la « Figurine à la ceinture », la « Figurine à la pèlerine », la « Fillette » et le « Manche de poignard ».
Grotte du Pape à Brassempouy. Vue prise à la fin des fouilles du XIX° siècle.
Statuette féminine dite « la Poire » découverte par P.-E. Dubalen en 1892. D’après Piette, 1907, planche LXXI.
La collection Piette Ces recherches, réalisées à partir de plusieurs sites préhistoriques des Pyrénées (Gourdan, Lortet, Espalungue-Arudy, Mas d’Azil, Brassempouy) ont été menées de manière rigoureuse pour l’époque. Elles ont permis de constituer une collection que Piette a méticuleusement classée par couche et, de manière secondaire, par site. Donnée à l’Etat en 1904, la collection Piette est accessible au public depuis 2008 dans une salle du château royal de Saint-Germain-en-Laye qui abrite le musée d’Archéologie nationale. Elle forme l’une des plus prestigieuses collections d’art préhistoriques du monde (Schwab, 2008).
Description de la Dame de Brassempouy La Dame à la capuche représente un visage de femme façonnée dans de l’ivoire de mammouth. Elle mesure 3,6 centimètres de haut pour une largeur de 2 centimètres et une épaisseur de 2,2 centimètres. Cette tête n’est pas un fragment d’une statuette féminine représentant un corps entier mais correspond à une œuvre intacte. Le visage est de forme subtriangulaire, constitué de l’imbrication d’un cercle et d’un triangle. La bouche, les oreilles et les yeux ne sont pas représentés, excepté la pupille de l’œil droit indiquée par une légère perforation. Le regard trouve son expression par le jeu d’ombre provoqué par le relief du front, des arcades sourcilières et du nez. Un quadrillage formé d’incisions perpendiculaires orne le sommet et l’arrière de la tête et retombe de part et d’autre du cou. Il a été interprété comme la représentation de tresses, d’une chevelure bouclée, d’un voile ou d’une résille. Une grâce féminine est subtilement produite par cette stylisation reliant un cou mince et allongé à un visage géométrique. L’état actuel de l’ivoire montre une fissure importante sur toute la longueur de la joue droite depuis la chevelure jusqu’au-dessous du menton. Elle a probablement été occasionnée par la variation d’humidité provoquée par la fouille.
Statuette féminine dite « la Dame à la capuche » découverte en 1894 par É. Piette et J. de Laporterie. D'après Piette, 1907, planche LXX
Coloration Les observations microscopiques de Philippe Walter ont montré la présence de quelques stries très fines colorées en rouge sous le menton et au-dessus du sourcil droit. « Dans les cheveux, aucune trace n’est visible en dehors de quelques restes de sédiment marron, ce qui prouve que les traces de coloration rouge ne sont pas dues au séjour de la tête dans le sédiment » (Walter, 1995, p. 265). D’après Philippe Walter, ces vestiges de couleur seraient plutôt d’origine technique (polissage) et non intentionnelle.
A gauche : Détail du menton de la « Dame à la capuche » montrant quelques microstries colorées par un pigment rouge. D’après Walter, 1995, fig. 2.
Singularité de la Dame de Brassempouy Les statuettes féminines gravettiennes sont caractérisées par l’hypertrophie des parties du corps liées à la reproduction et par la simplification, l’atrophie voire la non-représentation d’autres parties du corps (bras, pieds et visages). La représentation du visage est donc une exception comme le montre la rareté des œuvres découvertes dans une aire géographique qui couvre pourtant l’ensemble de l’Europe : la « Dame à la capuche » de Brassempouy en France, la tête en stéatite verte des Balzi Rossi en Italie et la Vénus XV en ivoire de Dolní Věstonice. À ces trois visages certes simplifiés mais néanmoins détaillés s’ajoute le groupe plus important des têtes réduites à de simples sphères découvertes sur les sites gravettiens d’Europe centrale et orientale (Pavlov, Dolní Věstonice, Kostienki, etc.).
Représentations détaillées de visages humains du Gravettien sculptés en ronde-bosse. N° 1 : Brassempouy (France), la « Dame à la capuche », d’après Piette et de Laporterie, 1894, fig. 5. N° 2 : Balzi Rossi (Italie), d’après Praslov, 1995, fig. 2 – n° 5. N° 3 : Dolní Věstonice (République tchèque), Vénus XV dite « Léonard de Vinci préhistorique », d’après Absolon, 1949, fig. 8.
Représentations simplifiées de visages humains du Gravettien sculptés en ronde-bosse. Kostienki I (Russie),
d’après Efimenko, 1958, fig. 155, 156 et 157.
Localisation Édouard Piette et Joseph de Laporterie ont publié des données précises sur la localisation de la Dame à la capuche. Celle-ci a été trouvée du côté gauche de l’Avenue. Les deux savants précisent que le côté gauche d’une grotte est celui que l’on a à sa gauche lorsqu’on en sort. Plus précisément, elle a été découverte à 2,4 mètres de l’entrée de la grotte, à 3,5 mètres de profondeur et 0,4 mètre au-dessous d’un foyer à la base de la couche E (Piette et de Laporterie, 1994, p. 641).
Localisation de la « Dame à la capuche » à l’entrée de la grotte du Pape. Schéma A. Simonet.
Les fouilles récentes (1981-2004) Jusqu’à la mise en place de fouilles archéologiques réalisées avec des méthodes modernes à partir de 1981 sous la direction d’Henri Delporte, le contexte archéologique des vénus de Brassempouy était passé en grande partie inaperçu. Leur attribution chrono-culturelle restait donc hypothétique et la rareté apparente des vestiges découverts lors des fouilles anciennes contrastait avec le caractère exceptionnel de la découverte des statuettes féminines. À quel type d’occupation ces vénus pouvaient-elles être rattachées ? Les fouilles du XX° siècle ont enfin apporté des éléments de réponse et validé une attribution au Gravettien. Deux nouveaux secteurs offrant, entre autres, des assemblages gravettiens ont en effet été découverts : le chantier I situé quelques mètres en avant de la grotte du Pape et le secteur GG2 correspondant à l’extrémité nord de la grotte du Pape. Avant de débuter les fouilles récentes de Brassempouy, Henri Delporte fut le premier préhistorien, en Europe occidentale, à localiser stratigraphiquement et topographiquement une statuette féminine grâce à des méthodes de fouille modernes. En 1959 à l’abri du Facteur à Tursac, dans le Périgord, il avait effectivement démontré que la Vénus de Tursac pouvait être rapportée à la phase moyenne du Gravettien, celle dite « à burins de Noailles » (Delporte, 1981). Par conséquent, l’identification, dès 1981, de riches niveaux de Gravettien à burins de Noailles à Brassempouy montre que les deux occupations de Brassempouy et de Tursac sont globalement synchrones. Actuellement, nous savons désormais que l’attribution chrono-culturelle des vénus eurasiatiques concerne l’ensemble de la période gravettienne. Mais c’est bien au Gravettien moyen que les vénus les plus célèbres d’Europe occidentale (Brassempouy, Lespugue, Laussel, Tursac) peuvent être associées.
Burins de Noailles. Nos 1 et 2 : schémas de burins de Noailles simple et multiple. N° 3 : Brassempouy, burin de Noailles du chantier I. N° 4 : Brassempouy, burin de Noailles de la collection Dubalen. Dessins et photographie A. Simonet.
Vue du chantier I et de l’entrée de la grotte du Pape en 2017. Photographie A. Simonet.
Datation Les statuettes féminines de Brassempouy sont attribuées au Gravettien* et plus précisément à sa phase moyenne dite « à burins de Noailles* ». Plus de 300 burins de Noailles ont été découverts à Brassempouy lors des fouilles récentes (1981-2004) réalisées devant la grotte du Pape. Il n’y a pas, hélas, de datations radiocarbone exploitables pour cette occupation. On sait néanmoins que cette phase du Gravettien est datée entre 32 000 et 30 500 ans avant le présent (en années calendaires) à l’Abri Pataud dans le Périgord. Dans les Pyrénées, l’écart chronologique est potentiellement plus large, entre 33 500 et 25 000 ans avant le présent (en années calendaires). On peut donc proposer une datation moyenne approximative de 30 000 ans avant le présent pour la Dame à la capuche. Elle est plus ou moins contemporaine des autres statuettes féminines du Gravettien comme les célèbres vénus de Lespugue (France), de Willendorf (Autriche) ou de Dolní Věstonice (République tchèque).
Un atelier de statuettes féminines à Brassempouy ? Dans un article publié en 2006, Randall White rappelle, grâce aux indications spatiales données par Edouard Piette, que les statuettes féminines sont quasiment toutes localisées dans l’Avenue et dans l’entrée de la grotte du Pape (White, 2006). Il interprète cette concentration comme le témoignage de l’existence d’un atelier de fabrication de statuettes féminines. Ce chercheur rappelle néanmoins que la conservation différentielle de l’ivoire de mammouth (les matières organiques sont par exemple très peu conservées dans le chantier I situé à quelques mètres en avant de l’entrée de la grotte du Pape) peut expliquer cette densité exceptionnelle dans cette partie du site. Seule la figurine dite « le Torse » a été retrouvée plus en profondeur de la grotte du Pape, dans la Grande Galerie. Selon cet auteur, cette localisation excentrée pourrait correspondre à une fonction différente correspondant à un contexte de pratiques rituelles.
N° INVENTAIRE
NOM
ANNÉE DE DÉCOUVERTE
LONGUEUR en mm
LARGEUR en mm
ÉPAISSEUR en mm
1
47 333
La poire
1892
79
25
26
2
47 022
L'ébauche
1892
74
30
21
3
47 019
La dame à la capuche
1894
36
20
22
4
47 260
Le manche de poignard
1894
56
41
29
5
47 077
La figurine à la ceinture
1894
69
22
14
6
47 136
La figurine à la pèlerine
1894
46
23
11
7
47 335-A
La fillette
1894
48
8
7
8
47 334
Le torse
1896
94
52
48
9
47 335-B
L'ébauche de poupée
?
46
5
7
Dimensions des 9 vénus de Brassempouy. D’après la base Joconde du Ministère de la Culture et de la Communication.
Un habitat-sanctuaire à Brassempouy ? De 2006 à 2017, j’ai étudié la quasi-totalité des collections de Brassempouy ayant livré du mobilier archéologique rapporté au Gravettien : collections anciennes Piette, Dubalen et de Laporterie et collections récentes du chantier I et du secteur GG2. Cette analyse globale confirme l’existence d’une seule tradition technique à Brassempouy : le Gravettien moyen à burins de Noailles (Simonet, 2012). Les phases anciennes et récentes du Gravettien semblent en effet absentes. D’autre part, des secteurs peuvent être différenciés selon leur fonction : ainsi le fond de la grotte du Pape, à l’entrée de laquelle ont été trouvées les statuettes féminines, serait exclusivement dédié à des activités symboliques par opposition à l’espace à l’air libre en avant de la grotte du Pape qui est, quant à lui, exclusivement consacré à des activités économiques (taille du silex et indices d’apprentissage). Enfin, j’ai proposé l’hypothèse que ce campement gravettien, à l’organisation complexe de type « habitat-sanctuaire », ait pu être occupé par des populations semi-sédentaires.
Aurélien Simonet
Archéologue départemental (Département des Landes)
Chercheur associé Université Toulouse 2 - UMR 5608
Bibliographie
DELPORTE H., 1993 – L’image de la Femme dans l’Art Préhistorique (2e édition). Paris, Picard, 287 p.
PIETTE É., DE LAPORTERIE J., 1894 – Les fouilles de Brassempouy en 1894, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 5, IV° série, p. 633-648.
SCHWAB C., 2008 – La Collection Piette : Musée d’Archéologie nationale, Château de Saint-Germain-en-Laye, Paris, Réunion des Musées nationaux, 126 p.
SIMONET A., 2012 – Brassempouy (Landes, France) ou la matrice gravettienne de l’Europe, Liège, ERAUL 133, 141 p.
WALTER P., 1995 – La peinture des femmes préhistoriques. In Delporte H. dir., LaDame de Brassempouy : ses ancêtres, ses contemporaines, ses héritières. Actes du colloque de Brassempouy, juillet 1994. Liège, Université de liège, ERAUL 74, p. 221-238.
WHITE R., 2006 – The women of Brassempouy : a century of research and interpretation, Journal of Archaeological Method and Theory, 13, 4, p. 251-304.
La Dame à la capuche et la salle Piette
avec Catherine Schwab, Conservateur en chef au Musée d'Archéologie nationale
Une vidéo Scribeaccroupi
Lexique :
*Gravettien : cette culture du Paléolithique supérieur (datée de 34 000 à 25 000 cal BP environ) succède à l’Aurignacien. Elle doit son nom au site de la Gravette en Dordogne (France). Les statuettes féminines ou « vénus » sont caractéristiques de cette culture qui s’étend sur l’ensemble de l’Europe.
*Burin de Noailles : un burin de Noailles est un burin sur troncature, de petite dimension (3 centimètres en moyenne), caractérisé par un minuscule enlèvement de coup de burin (moins de 2 millimètres de largeur) arrêté par une encoche. Ce burin, très caractéristique, est souvent multiple.
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