Art et religion de Chauvet à Lascaux
Alain Testart
Gallimard
La grotte est une femme...
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Présentation de l'éditeur
Dans cet ouvrage posthume inédit, l'anthropologue Alain Testart pose son regard sur le dispositif iconographique des grottes ornées du paléolithique supérieur, en particulier celles de Lascaux (- 18 000) et Chauvet (- 37 000).
Analysant aussi bien la distribution spatiale des œuvres, les représentations animales et l'abondance des signes abstraits, il en propose une interprétation inédite jointe à une nouvelle théorie des signes.
Selon lui, cet art obéit à un canon qui semble renvoyer à un mode de pensée mythique similaire à celui qui s'exprime dans le totémisme. L'iconographie des grottes évoquerait ainsi une humanité hybride, mal dégagée du monde animal. L'homme y est certes figuré, mais de façon dissimulée. C'est au travers des animaux et de leur classification en espèces que l'art pariétal nous révèle, explique Alain Testart, une classification des hommes.
L'omniprésence des signes de la féminité apposés sur les images d'animaux donne à penser que la reproduction du monde était en outre une préoccupation centrale de la religion des Paléolithiques. Miroir de l'état mythique des origines, la grotte renfermerait dès lors les étapes d'une cosmogonie. |
380 pages,
165 x 215 mm,
relié toile
Notre avis
Décédé le 2 septembre 2013, le prolifique et brillant ethnologue Alain Testart avait déjà publié, en 2012, un texte ambitieux et global consacré à sa vision de l'évolution des sociétés préhistoriques, et du rôle, dans ce cadre, des images comme support de croyances et de mythes (Avant l'histoire. L'évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac). Dans ce nouvel ouvrage, paru à titre posthume et dont l'édition a été établie par Valérie Lécrivain, le stimulant auteur d'écrits consacrés à la division sexuelle chez les chasseurs-cueilleurs ou à l'esclavage, approfondit son analyse des raisons et fonctions, dans les sociétés paléolithiques d'Europe occidentale, des oeuvres pariétales figurées dans les cavernes ornées.
L'auteur y confirme sa grande indépendance d'esprit, portant sur cet "art pariétal" un regard lucide et incisif. Son analyse se base sur une très bonne connaissance des travaux des préhistoriens (Lorblanchet, Aujoulat, Tosello, Clottes...), mais dont il tire ses propres conclusions, pour la plupart convaincantes. Réhabilitant au passage, même si en partie seulement, la figure de son prédécesseur André Leroi-Gourhan, qui appliquait à la grotte ornée une grille de lecture structuraliste. Et assumant, aussi, un détour par les données issues de l'ethnologie pour comprendre le cadre de réalisation de l'art paléolithique, même si l'auteur "procède de l'intuition que cet art n'est en rien comparable aux arts dits "premiers" des peuples d'Océanie, d'Afrique et d'Amérique avant la colonisation".
Le livre est ainsi découpé en vingt "propositions" (milieu, anomalies, narration, espèces, humains...) pour lesquelles Alain Testart se repose tout d'abord sur une description rigoureuse de l'existant, à partir d'observations objectives et tangibles de l'art préhistorique. Puis il avance des hypothèses sur la signification des oeuvres pariétales, et la symbolique qui leur était peut-être associée. Particulièrement stimulantes, même si impossibles à démontrer catégoriquement comme c'est toujours le cas en matière d'art pariétal, les "propositions" d'Alain Testart établissent une grande proximité, même subjective, avec l'univers mental des Paléolithiques. Synthétisées par Valérie Lécrivain dans une conclusion éclairante, ces propositions dessinent, chapitre après chapitre, les contours symboliques des sociétés de chasseurs-cueilleurs dont l'imaginaire est marqué par le monde naturel, et la place particulière qu'y occupe l'homme : différences très marquées entre espèces animales, que l'on retrouve sur les parois, représentations humaines dans la grotte comme inachevées, "mal dégagées du monde animal", alors que ces mêmes figures humaines sont accomplies dans l'art mobilier, celui de l'extérieur de la cavité (gravures sur plaquettes et statuettes)... Un monde symbolique dans lequel la grotte occupe une place centrale, résolument féminine ("la grotte est une femme", affirme Testart sans détour) avec ses invaginations, ses fissures et ses entrailles : elle serait "un microcosme représentant un état du monde originel, dans lequel les hommes étaient encore mal différenciés des animaux, alors même que ceux-ci étaient déjà différenciés en espèces". La qualité du livre doit également beaucoup à l'apport du préhistorien Romain Pigeaud, qui a enrichi certaines illustrations de schémas qui facilitent grandement leur lecture.
De cette façon, Art et religion de Chauvet à Lascaux intègre la liste des ouvrages qui complètent notre regard sur l'art pariétal paléolithique, enrichi des influences et du cheminement intellectuel fécond de son auteur. C'est aussi le cas de plusieurs titres parus en cette période riche en actualité préhistorique, ouverture de Lascaux 4 oblige... On pense ici au très fourni L'Origine des représentations, paru chez Ithaque sous la direction de François Sacco et Éric Robert, qui mêle apports de la science en préhistoire et de la psychanalyse. Ou encore à l'Aube des signes, d'Alain Médam (éditions Liber), qui revisite l'invention du signe par l'homme lors de la préhistoire, sous la plume d'un sociologue de formation, devenu peintre et écrivain. Pluralité et multiplicité des regards, donc, indispensable pour appréhender et embrasser, encore imparfaitement, la complexité et la richesse de l'art pariétal paléolithique, événement inédit dans l'histoire humaine de par son extension géographique, sa très grande longévité, et l'unicité des thèmes et des conventions stylistiques qui le caractérisent.
Par Pedro Lima, journaliste scientifique spécialiste de la préhistoire.
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L'auteur, Alain Testart
Alain Testart est directeur de recherche au CNRS et membre du Laboratoire d'anthropologie sociale du Collège de France. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur les aborigènes australiens, les chasseurs-cueilleurs, les rites et les croyances, l'esclavage et la monnaie primitive. Il a publié : L'Esclave, la Dette et le Pouvoir (2001), Aux origines de la monnaie (2002), La Servitude volontaire (2 tomes, 2004), Eléments de classification des sociétés (2005), Des dons et des dieux (rééd. 2006), Eden cannibale (2004), La Déesse et le grain (2010) Avant l'histoire : l'évolution des sociétés de Lascaux à Carnac (2012) .
SommaireArt et religion de Chauvet à Lascaux
Avant-propos
Introduction
Première partie
Analyse iconographique
1. Milieu
2. Figures
3. Espèces
4. Supplément
5. Des Bisons et des hommes
6. Scènes et narration
7. « Humains »
8. Anomalies
9. Les anormaux normalisés
10. Latence
Partie II
Signes
11. Intermède critique
12. Vulves
13. La sexualité ordonnée
14. Phallus
15. Organisation
16. Analyse iconographique des Vénus
17. Supplément
18. Interprétation
19. Interprétation (suite et fin)
Partie II
Organisation spatiale
20. Intermède critique
21. Les symboles naturels
22. Orientations
23. Symétrie et tourbillons
Conclusion
La grotte est femme
I. Mythes, mythologies
II Totémisme
III Périodisation des mythologies
IV Indifférenciés et théranthropes dans la mythologie australienne
V. La doctrine australienne de la préexistence
VI. Les deux types de religions chez les chasseurs-cueilleurs
Annexes
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