Du pithécanthrope au Karatéka
La longue marche de l'espèce humaine
Patrice Van Eeersel
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Du pithécanthrope au karatéka par l'éditeur
Les mâchoires des enfants du monde entier rétrécissent et les appareils dentaires se multiplient. Est-ce l'accélération d'un processus évolutif ? Une nouvelle espèce humaine émerge-t-elle ? L'enquête menée ici commence par cette question, posée par Marie-Josèphe Deshayes, tête de file d'une nouvelle école d'orthodontie. Ces faits cliniques semblent prolonger les découvertes d'Anne Dambricourt-Malassé, la paléoanthropologue qui fait scandale. Portée aux nues en 1996 pour sa " nouvelle théorie de l'évolution ", elle est condamnée par ses pairs, entre 1997 et 2005, car elle aurait décelé une " direction " dans l'évolution des mâchoires des primates, sur 60 millions d'années - ce qui, du point de vue darwinien, relève du créationnisme. Qui a raison, qui a tort ? Le faux débat " Dieu contre Darwin " occulte les vraies questions. Trois scientifiques réputés sont invités à trancher : le paléoanthropologue Yves Coppens, le paléontologue Jean Chaline et l'écologiste Jean-Marie Pelt. Mais la théorie ne suffit pas. Que veut dire " évoluer en humanité " pour chacun de nous ? Ici, les chercheurs interrogés sont des accompagnateurs des évolutions personnelles : la yogi Ysé Tardan-Masquelier, la danseuse Catherine Gaillet, le philosophe Denis Marquet, l'ostéopathe Philippe Petit, le karatéka Albert Palma. Si l'être humain est par essence inaccompli, comment chacun peut-il entrer dans la danse de l'évolution collective ? |
La réaction de la paléontologue Anne Dambricourt Malassé :
J'ignorai que le journaliste-écrivain Patrice Van Eersel revenait sur des événements passés concernant la diffusion de ma recherche.
La partie me concernant est une synthèse d'entretiens échelonnés sur plusieurs années, dans un style et des locutions propres à l'auteur, de même que certaines extrapolations (je ne confonds pas le déterminisme qui est l'expression scientifique de phénomènes décrits par des équations dont le temps est un paramètre, avec le finalisme).
Je précise pour les lecteurs de votre site, qu'un chercheur au CNRS rend compte de son activité chaque année auprès d'une commission consultative, que par ailleurs la Direction des Ressources Humaines du CNRS suit attentivement l'évaluation par ces mêmes commissions.
Il n'a jamais existé de "condamnation des pairs", ceci est une fiction.
Le CNRS est la seule autorité à se prononcer et n'a jamais avalisé les rumeurs de la presse, ni surtout, n'a jamais été associé de quelque manière que ce soit, aux mises en oeuvre contre l'article publié dans La Recherche (1996), réitérées contre documentaire de Thomas Johnson, "Homo sapiens, the Inside Story" diffusé sur Arte en octobre 2005, placé sous la direction scientifique de P.V. Tobias avec Denis Duboule, membre de l'Académie des Sciences, pour l'explication des mécanismes évolutifs saltationnistes.
Bien au contraire, la DRH s'est inquiétée de cette imposture et a conclu à la richesse de la controverse scientifique laquelle concerne les conditions nécessaires au succès de la bipédie permanente.
Ces mécanismes prévalent lors des sauts évolutifs entre embryogenèses, Denis Duboule rappelle qu'ils ne sont dus ni à des changements de l'environnement, ni à des erreurs de copies génétiques (abortives). Ce sont des mécanismes naturels auxquels la recherche scientifique se consacre désormais, pour une meilleure compréhension des processus évolutifs internes (le paradigme Evo-Devo). Ils nécessitent des conditions environnementales favorables, en l' occurrence un apport en eau important pour la gestation et l'allaitement.
L'embryogenèse de Toumai, d'Ardi, de Lucy, de la petit dame de Florès ou encore de Neanderthal sont l'objet de recherches de longue haleine, ces fossiles ont encore beaucoup à nous apprendre sur les origines embryonnaires de leur bipédie, ils continueront d'intéresser des réalisateurs à l'écoute de leur temps et soucieux du devenir de l'humanité, dont les troubles occlusaux, posturaux et les agénésies dentaires auxquels de plus en plus de parents se voient confrontés, ne seront guère compréhensibles en dehors d'une approche interne de l'évolution anatomique et de ses propres logiques.
Anne Dambricourt Malassé
Paléontologue
UMR 7194 CNRS "Histoire naturelle de l'homme préhistorique"
Département de Préhistoire du Muséum national d'Histoire naturelle
Institut de Paléontologie Humaine-Fondation Prince Albert 1er de Monaco
Paris
Page web CNRS Muséum: http://hnhp.cnrs.fr/spip.php?article135
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Sommaire du livre Du pithécanthrope au karatéka
Prologue
Du désespoir d’un marxiste noosphérique
Chapitre 1
Enquête sur notre hominisation - I
Comment sommes-nous nés de l’animalité ?
Chapitre 2
Entretien avec Marie-Josèphe Deshayes
SHERLOCK HOLMES CHEZ LES ORTHODONTISTES
Chapitre 3
Entretien avec Anne Dambricourt-Malassé
LA PALÉOANTHROPOLOGUE PAR QUI LE SCANDALE EST ARRIVÉ
Chapitre 4
Enquête sur notre hominisation - II
Le procès d’Anne Dambricourt-Malassé
Chapitre 5
Entretien avec Yves Coppens
CE QUE DIT ANNE DAMBRICOURT-MALASSÉ EST SCIENTIFIQUEMENT FONDÉ
Chapitre 6
Entretien avec Jean Chaline
POURQUOI ANNE DAMBRICOURT-MALASSÉ SE TROMPE
Chapitre 7
Entretien avec Jean-Marie Pelt
APAISONS CES GUERRES DE CLERCS QUI S’EXCOMMUNIENT MUTUELLEMENT
Chapitre 8
Enquête sur notre hominisation - III
En quoi l’évolution concerne-t-elle chacun de nous ?
Chapitre 9
Entretien avec Ysé Tardan-Masquelier
POUR LES YOGIS, LES HUMAINS DEBOUT SONT RARES
Chapitre 10
Enquête sur notre hominisation - IV
L’humanité se construit-elle par le mal ?
Chapitre 11
Entretien avec Denis Marquet
POURQUOI NOTRE MOI REFUSE-T-IL DE CHANGER ET D’ÉVOLUER
Chapitre 12
Enquête sur notre hominisation - V
Rompre avec le passé pour mieux s’envoler
Chapitre 13
Entretien avec Catherine Gaillet
CHAQUE MATIN, CHAQUE HUMAIN SE REDRESSE
Chapitre 14
Enquête sur notre hominisation - VI
VERS QUELLE MUTATION COLLECTIVE NOUS DIRIGEONS-NOUS ?
Chapitre 15
Entretien avec Albert Palma
L’HOMME PENSE PARCE QU’IL A UNE MAIN
Epilogue
La nature peut encore nous sauver
Un extrait de Du pithécanthrope au karatéka avec Yves Coppens
..." Derrière l’apparente confusion, le dessin se clarifie. Certains mouvements s’effectuent apparemment contre vents et marées. Bien sûr, l’environnement joue un rôle essentiel dans l’orientation évolutive, dans son ralentissement, dans son accélération. Mais il y a aussi, à coup sûr, une pression interne, qui vient en quelque sorte de l’intimité même du vivant, je m’en rends bien compte… Un exemple : au fil des millénaires, l’homme a étendu son territoire, d’abord à toute l’Afrique, puis à toute l’Eurasie, avant de se faire piéger : en Europe par les glaciers et en Indonésie par la mer - qui monte et descend en fonction des glaciers qui fondent et se reforment de façon cyclique. En Europe, comme en Indonésie, se sont donc développées, pendant des dizaines de milliers d’années, chacune de son côté, deux formes humaines insulaires (cen dehors du grand mouvement qui, par ailleurs, allait faire l’homme moderne, le Cro-magnon). Eh bien, malgré leur isolement incontestable, l’une et l’autre de ces deux formes, l’Homme de Neandertal comme l’Homme de Java, allaient développer leurs encéphales d’une façon incroyablement similaire. Comme s’il y avait une pression, un moteur interne, déclenché il y a très longtemps et qui poussait les encéphales à se développer dans une certaine direction, indépendamment du contexte et des flux géniques.
Vous voulez dire que tout se passe comme si l’humanité n’était pas aléatoire, mais constituait un état incontournable de la matière ?
Mais oui ! Que disent donc les astrophysiciens et les paléontologues les plus récents ? Quand vous regardez les quelque quatorze milliards d’années qui nous précèdent, vous voyez une matière inerte qui, quand les conditions s’avèrent “bonnes”, se complique, s’organise et devient vivante. Et qui, quand les conditions s’avèrent “meilleures” encore, devient pensante. Matière vivante, matière pensante, pour moi, cela veut dire clairement qu’il y a une forme de pression, de poussée, de sens… Et quand je dis “sens”, ce n’est pas innocent : ça veut dire direction et en même temps signification – ça donne un sens à l’histoire de l’univers. Bon, voilà, moi je m’arrête là : je ne suis ni philosophe, ni métaphysicien ! Nous vivons dans une société qui assaille ses scientifiques, pour leur poser des questions métaphysiques auxquelles ils ne sont pas du tout faits pour répondre, en tout cas pas davantage qu’un épicier ou qu’un agriculteur. Le sens de la vie est une question bien trop importante être confiée à un groupe d’experts. La gestion du monde par des scientifiques serait une abomination. Nous ne sommes pas plus armés pour cela que pour être prêtres ! Par contre ce que je vois en tant que scientifique, c’est que, dans cette sorte de mouvement vers une matière toujours plus complexe, toujours mieux organisée, toujours plus consciente, nous traversons d’innombrables vicissitudes, mais qu’une certaine direction, elle, demeure bien respectée, comme un cap.
Ce que dit Anne Dambricourt-Malassé est scientifiquement solide.
Ce que vous dites là me fait énormément penser aux idées d’Anne Dambricourt-Malassé, avec son étude sur les déformations crânio-faciales, où elle relève des constantes étonnantes, sur soixante millions d’années – ce qui ne cadre pas avec le schéma néodarwinien officiel. En gros, elle dit avoir mis le doigt sur une logique évolutive "interne", ayant son intelligence propre, indépendamment de l’environnement. Qu’en dites-vous ?
Je trouve ces recherches des plus stimulantes. J’ai même invité Anne à venir s’exprimer à mon cours. J’aime bien cette femme. Elle mérite d’être écoutée et je trouve qu’elle rencontre beaucoup d’hostilité anormale – je suis entouré de jeunes gens qui l’embêtent, qui la contredisent, pas toujours très polis, ni très élégants. Or, ce qu’elle dit est scientifiquement solide et son discours d’une grande qualité. Il n’y a donc aucune raison de la brutaliser d’aucune manière. J’ai, quant à moi, d’excellents rapports avec elle et nous nous écrivons souvent. Le mouvement qu’elle décrit est une réalité, il ne faut pas se voiler la face. Il est tout à fait passionnant de découvrir des mouvements évolutifs dont on n’avait pas encore tenu compte...
Mais comment raccorder les mouvements qu’elle décrit – et qui se développeraient donc suivant une logique “interne”, indépendante du contexte – avec les lois sélectives de l’environnement ? Vous-même, vous ne perdez pas une occasion de dire combien le contexte est d’une importance prépondérante…
Mais, cela n’a rien de contradictoire ! Qu’il y ait une logique interne, c’est un constat. Quand Anne Dambricourt dit qu’elle voit à l’œuvre une tendance de la nature à se développer dans une certaine direction, je la crois et je l’approuve. Sa recherche se focalise sur les crânes, mais prenez la main : la saisie possible, qui existe chez les primates grâce au pouce opposable, cette tendance a aussi cinquante millions d’années ! Que cette tendance se soit peu à peu raffinée, jusqu’à aboutir à notre capacité d’humains modernes à saisir un crayon entre le pouce et n’importe lequel de nos autres doigts, cela correspond à une tendance de fond qui ne doit, selon moi, rien au hasard..."
L'auteur Patrice Van Eersel
Longtemps grand reporter à Actuel, Patrice Van Eersel est rédacteur en chef du magazine Nouvelles Clés et directeur de collection chez Albin Michel. Il est l'auteur de plusieurs livres d'enquête, dont La Source noire (1986), La Source blanche (1996), Le 5e Rêve (1997) chez Grasset, Le Monde s'est-il créé tout seul ? (2008) et Mettre au monde (2008) chez Albin Michel. Seul citadin d'une famille d'aventuriers naturalistes, il est marié, père et grand-père.
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