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L’évolution de l’homme, un dessin qui prête à confusion…
Ce dessin de l’évolution est une véritable image d’Epinal. Il est ancré dans nos mémoires. Nous avons l’impression de l’avoir toujours vu… et pourtant les idées qu’il véhicule sont fausses !
Dans d’anciens manuels de cours, dans la presse, sur internet, une image est souvent utilisée pour représenter l’évolution de l’homme. Cette image montre (de la gauche vers la droite) un singe courbé qui avance vers la droite en se redressant et s’humanisant pour « finir » en un Homo sapiens bien redressé…
Cette image, banalisée, est en fait pleine de sous-entendus et induit en erreur le commun des mortels. Elle est d’autant plus dangereuse qu’en plus de véhiculer une idée erronée des principes de l’évolution humaine, elle est simple à comprendre et à retenir.
Les origines de cette image
A lire également sur le web un article de André Gunthert expliquant l’origine de ce type de dessin qui date de 1965. Cette progression du singe vers l’homme est issue du livre The Early Man paru aux éditions Time-Life.
Cet ouvrage fait partie d’une série pédagogique qui abordait plusieurs thématiques comme l’Homme et l’espace, l’Univers… Ce sont des ouvrages de grandes qualité dont au moins une partie a été traduite en français (en 1969).
Dans un chapitre intitulé Sur la voie d’Homo sapiens, les auteurs ont inséré un « dépliant » montrant l’ensemble des espèces (connues à l’époque !) qui pourraient être à l’origine de l’homme moderne. Cette louable intention pédagogique a en fait laissé penser que nous avions une lignée directe entre le Pliopithecus et l’Homme moderne. C’est cette image qui est à l’origine de toutes les déclinaisons que nous connaissons aujourd’hui.
André Gunthert est chercheur en histoire visuelle et éditeur multimédia. Maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), il dirige le Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine.
Lire l’article tiré d’une Intervention présentée dans le cadre du séminaire « Mythes, images, monstres » qui a eu lieu le 26 novembre 2009.
Voici le texte d’origine qui présentait l’image :
Sur la voie d’Homo sapiens
Quelles ont été les étapes de ce long cheminement qui a conduit nos ancêtres, encore voisins des singés anthropomorphes, jusqu’à l’Homo sapiens? Le tableau ci-contre qui commence en bas et à droite de cette page et se poursuit sur les quatre pages suivantes, fait apparaître les bornes qui jalonnent l’évolution des primates et de l’Homme, d’après les documents fossiles fragmentaires que les savants d’aujourd’hui ont pu rassembler. C’est une histoire instructive parce qu’elle nous révèle l’existence d’êtres qui sont maintenant disparus. De plus, elle illustre de façon imagée que l’on peut apprendre beaucoup à partir de documents au premier abord insignifiants. Par exemple, ces quelques ossements, apparemment pêle mêle, à gauche, peuvent donner une idée tout à fait précise de la façon dont marchait Australopithecus, ce bipède qui apparaît à l’aurore de l’humanité.
Beaucoup des reconstitutions de ce tableau ont été faites d’après des restes encore plus fragmentaires : une mâchoire, quelques dents parfois; les ombres blanches indiquent précisément les ossements qui leur ont servi de base.
Ces reconstitutions sont donc en partie hypothétiques, mais même si des découvertes ultérieures imposaient des changements, elles auraient atteint leur but en montrant ce que pouvait être l’aspect de ces primates disparus. On peut voir à quelle époque ils vécurent d’après l’échelle chronologique figurée en haut de la page, bleue pour les ancêtres des singes anthropomorphes, rouge et violette pour les Hominidés, y compris les premiers représentants du genre Homo, verte pour Homo sapiens. Les interruptions dans les bandes correspondent à l’extinction de la lignée ou à des lacunes dans les documents fossiles. Bien que les «ancêtres des singes anthropomorphes» aient été quadrupèdes, tous sont ici figurés debout, pour faciliter la comparaison.
Hominides.com remercie pour leur participation Yvette Deloison, Antoine Balzeau, François Marchal et Jean-Luc-Voisin.
Reprenons une à une toutes les erreurs véhiculées par cette image.
L’évolution du singe à l’homme
Première anomalie, le dessin laisse entendre que l’ancêtre de l’homme moderne était un chimpanzé. Qui plus est, ce singe ressemble à un chimpanzé actuel. Ce qui reviendrait à dire que notre ancêtre est un singe qui existe encore aujourd’hui… on voit ici l’absurdité de la démonstration. A noter que cette image conforte les personnes qui pensent encore que l’homme moderne descend du singe, autre absurdité…
Ce que nous savons
Nous savons que nous avons un ancêtre commun avec les grands singes en général, et les grands singes africains en particulier. On estime que cet ancêtre commun (le Dernier Ancêtre Commun, ou DAC) vivait il y a environ 7 à 8 millions d’années, très probablement en Afrique. Il a évolué vers deux lignées : la première vers les grands-singes africains (bonobos, chimpanzés, gorilles) et la deuxième vers l’homme. En aucun cas l’homme ne descend du chimpanzé ou d’un singe actuel !
Pour François Marchal (UMR 6578 – Unité d’Anthropologie Bioculturelle – CNRS / Université de la Méditerranée / EFS) : « Evidemment que l’ancêtre de l’homme est un singe. « Singe » est le mot vernaculaire pour désigner les primates, ou éventuellement de façon plus restrictive les primates supérieurs (anthropoïdes). Dans les deux cas, l’homme et ses ancêtres sont des primates et des primates anthropoïdes, donc des singes. Nous descendons donc bel et bien d’un singe, et même de toute une lignée de singes et sommes nous-mêmes le dernier singe en date de cette lignée.«
En savoir plus sur le Dernier Ancêtre Commun.
Au cours de son évolution, l’homme se redresse pour marcher
Deuxième anomalie, le schéma montre un singe (pratiquant le knuckle-walking) qui se redresse pour finir en bipède parfaitement humain. Ici le dessin laisse entendre deux choses aussi différentes que non prouvées :
– c’est une évolution logique de la marche que de commencer par pratiquer la quadrupédie pour finir par la bipédie…
– les ancêtres de l’homme marchaient à quatre pattes.
Ce que nous savons
Il n’y a pas une seule bipédie mais plusieurs selon les animaux. Une poule, un bonobo ou un homme ne marchent pas de la même façon mais tous peuvent être classés comme bipèdes occasionnels ou permanents.
Si on se focalise sur les homininés, nos ancêtres utilisaient chacun une bipédie spécifique selon leur morphologie. Ils ne se sont pas forcément redressés pour marcher comme le laisse penser le dessin.
Nous connaissons plusieurs fossiles anciens qui montrent que nos ancêtres étaient déjà au moins partiellement bipèdes : Toumaï (7 Ma), Orrorin (6 Ma), Ardi (4 Ma), Lucy (3 Ma)… Mais il faut noter que la bipédie de ces hominidés, surtout les plus anciens, est encore apprement discutée par les scientifiques.
Concernant le Dernier Ancêtre Commun, nous n’avons pour l’instant aucune idée de qui il était, et encore moins de son mode de locomotion.
Pour Yvette Deloison (Docteur d’Etat ès Sciences) : « A la suite des études d’anatomie comparée entre l’homme actuel, les hominidés fossiles et les grands singes, je suis arrivée à la conclusion, il y a dix ans maintenant, que l’ancêtre commun des primates était un animal marchant debout sur ses deux pieds, donc bipède (Revue de Biométrie Humaine et Anthropologie, 1999, 17 : 147-150).
Cet être que j’ai baptisé le « Protohominoïdes bipes » a donné avec le temps plusieurs lignées dont celle des hominidés restés bipèdes et celle des singes devenus grimpeurs dans les arbres. Mon étude détaillée a été publiée en 2004 dans un ouvrage paru chez Plon et malheureusement épuisé « Préhistoire du piéton… » (ce livre a été réédité en 2013, NDLR).
Sans compter de nombreuses publications en français, j’ai publié mon hypothèse, sur l’origine bipède des Primates, aux USA non seulement oralement au Meeting of American Journal of Physical Anthropology en 2000 (1999 Amer.Jour.of Phys.Anthrpo. sup.30, 2000:137) au Texas mais aussi dans un livre édité à New York par Jeff Meldrun chez Kluwer Academic / Plenum Publishers en 2004 « From Biped to Strider – The emergence of Modern Walking, Running, and Resouce Transport » Chap.3 : 35-47.
Ce qui vient conforter mon hypothèse, en dehors de l’appui du monde médical, anatomiste et même vétérinaire, c’est qu’une équipe célèbre de scientifiques américains a exploité le résultat de mes travaux, dont ils ont forcément connaissance, sans scrupule et surtout sans me citer (Revue « Science » d’octobre 2009).
En savoir plus sur la bipédie
L’animal évolue pour devenir parfait… un homme moderne !
Troisième erreur, le schéma nous montre un chemin unique de l’évolution humaine. Chaque ancêtre a un descendant, suivi d’un autre… et ainsi de suite jusqu’à l’homme moderne. Cela laisse supposer que l’homme actuel était un objectif de l’évolution, une finalité. Ce qui est en totale contradiction avec les nombreux fossiles retrouvés.
Ce que nous savons
Depuis 7 – 8 millions d’années il n’y a pas eu qu’une seule lignée bien nette qui irait directement du Dernier Ancêtre Commun avec les grands singes vers l’homme anatomiquement moderne. Les hominidés se sont multipliés et certaines lignées ont disparu sans descendance (comme Néandertal ou floresiensis). Notre évolution est plutôt comparable à un arbre buissonnant dont certaines branches se séparent et d’autres s’arrêtent. Plusieurs espèces appartenant au genre Homo ont non seulement existé mais aussi coexisté. L’homme moderne est plutôt un rescapé de la lignée comme les autres grands singes en voie d’extinction.
Sans finalité, l’homme continue d’évoluer, comme les autres espèces animales. Personne ne peut prédire ce qu’il deviendra ou ne deviendra pas dans 10 000 ans…
En savoir plus sur la lignée humaine.
Pour Jean-Luc Voisin (Docteur en Paléontologie Humaine du Muséum National d’Histoire Naturelle) : « Ce dessin reflète l’image que les gens ont aujourd’hui de l’évolution, en particulier humaine. C’est-à-dire que les êtres vivants d’aujourd’hui correspondent à des stades évolutifs différents et que l’homme correspond à l’étape ultime. Le succès de cette image tient à la fois de sa simplicité ainsi que des idées préconçues qu’elle véhicule et qui nous renvoient à nos clichés rassurants.
Ce dessin est aussi une très bonne illustration de la difficulté de créer des documents pédagogiques, surtout ceux destinés aux enfants. En effet, plus le public à qui on s’adresse est ignorant (dans le domaine concerné) et plus il est nécessaire de simplifier. Or simplifier sans faire d’erreur, ou sans entraîner des interprétations erronées, est extrêmement difficile. Ainsi, tout document réalisé dans un but pédagogique ne doit pas être diffusé sans les explications qui normalement l’accompagnent sous peine d’entraîner, le plus souvent, des mésinterprétations. Malheureusement, quel que soit le sujet aborder on ne peut pas simplifier en dessous d’un certain niveau sans inclure des erreurs, ou tout au moins de grandes imprécisions. Ainsi, il faut se méfier des documents trop simplistes car le monde est complexe et ne peut être résumé en quelques lignes ou en quelques coups de crayon. Il sera toujours nécessaire de faire des efforts pour comprendre le monde qui nous entoure. Quel que soit le domaine concerné, qu’il soit scientifique ou non, il faut d’autant plus faire attention aux interprétations et explications simplistes qui sont parfois faites dans un but non pédagogiques mais bien de manipulations des esprits. En restant dans le domaine de la science, les créationnistes de tout bord sont très forts dans cet exercice. »
L’évolution de l’homme au vue de nos connaissances
Comme on le voit, une simple image qui paraît facile à comprendre et qui a été créée dans un but pédagogique peut générer des interprétations fausses. Si l’évolution de l’homme n’est pas ce long fleuve tranquille menant d’un chimpanzé quadrupède à un homme moderne bipède, les scientifiques ne sont pas tous non plus d’accord sur le même arbre de l’évolution. Tous cependant se retrouvent sur un modèle d’évolution en forme de « buisson ». Parmi eux, Pascal Picq propose un modèle admis par la majorité de la communauté scientifique.
Cliquez sur l’image de droite pour le découvrir en grand format
Une image erronée de l’évolution mais reprise en boucle dans les médias
Cette image d’Epinal, reprise, utilisée comme démonstration, détournée, fait en réalité plus de mal à l’anthropologie que beaucoup de discours. Elle est devenue une source d’erreur, de mauvaises interprétation et de contre-vérités. Ci-dessous quelques images d’évolution, parfois humoristiques et détournées mais dans lesquelles le message est identique.
Dans la presse et à la télé
Sur internet
D’autres images sympathiques mais surtout plus proches de la réalité !
On peut faire dans l’humour, mais être aussi plus réel… Ces images de l’évolution tirées de sites internet ou de livres pour enfants sont toutefois relativement bien descriptives des ancêtres de l’homme. Elles montrent la diversité de nos ancêtres sans toutefois montrer une évolution faussement linéaire.
A noter le poster à droite montrant la phylogenèse des hominini qui a la particularité de montrer des femelles à la place habituelle des mâles ! Une nouvelle approche proposée par un enseignant.
A savoir, il existe une version « homme » pour les inconditionnels de la testosterone !
En savoir plus sur Phylogenèse des hominini par Thomas Gualdi.
Hominides.com remercie pour leur participation Yvette Deloison, Antoine Balzeau, François Marchal et Jean-Luc-Voisin.
C.R.
Guillaume Lecointre
Guillaume Lecointre
Léo Grasset
Sous la direction d’Evelyne Heyer
A lire également,
L’étonnant destin de la frise de l’évolutiuon