Les premières « recettes de cuisine »
Frederic Belnet
Si le rôti de mammouth ou le gigot de bison figuraient bien au menu de nos lointains ancêtres, ces morceaux de choix étaient loin de constituer leur ordinaire quotidien. Surtout chez les plus anciens d’entre eux, au régime assez proche de celui des singes actuels. Là encore, les préhistoriens ont mené l’enquête…
Indices physiologiques
« Depuis l’origine, malgré les idées reçues, tous les humains sont des omnivores », nous avertissent les préhistoriens Gilles et Brigitte Delluc, pour couper court à « cette image de clochards carnivores de la nuit des temps » que traînent nos ancêtres préhistoriques. Si les fruits, légumes et viandes d’élevage d’aujourd’hui sont évidemment inconnus au Paléolithique, l’alimentation, dès cette époque, est néanmoins étonnamment variée.
« Montre-moi tes dents, je te dirai ce que tu manges » : les paléoanthropologues étudient la mâchoire, l’insertion des muscles masticateurs et la denture des fossiles humains, observant, sur la plupart d’entre eux, « des incisives et des canines pour couper et dilacérer la viande, des molaires pour broyer les végétaux ».
L’analyse chimique des constituants des dents et des os permet d’établir le rapport entre strontium (issu des plantes) et calcium (issu des animaux), qui place lui aussi les homininés entre herbivores et carnivores, tout comme la proportion entre isotopes de carbone (C12 et C13).
Observables au microscope électronique, micro-rayures et micro-cassures sur les dents sont également de précieux indices. "Une dent abîmée est une signature permanente de la consommation" dit le biomécanicien Herzl Chai, qui a modélisé tout ceci en équations.
De rares coprolithes (excréments fossilisés), enfin, livrent des informations plus détaillées.
Indices archéologiques
Si la connaissance générale de l’environnement où évoluent les homininés et celle de leur outillage fournissent des indications indirectes sur leur mode de nutrition, certains vestiges sont encore plus parlants : la présence, dans nombre d’anciens lieux de vie, de restes végétaux (charbons de bois, graines, feuilles et surtout pollens, qui peuvent se conserver des millions d’années) ou animaux. Les ossements fossilisés de ces derniers portent souvent des traces de découpe, et parfois de cuisson.
Car le feu, dès -400 000 ans, au moins, va bouleverser les habitudes, permettant de manger des aliments coriaces ou indigestes, de mieux assimiler les nutriments. En Ariège, des os de perdrix des neiges mêlés à des galets suggèrent une cuisson « à l’étouffée » dans une fosse, comme le font certains aborigènes, à l’aide de pierres chauffées à blanc.
« On ne peut parler de cuisine préhistorique, car la cuisine représente toute une chaîne opératoire comportant un choix, une préparation et un mélange des aliments, une adjonction d’épices et de condiments, dont il ne demeure aucun vestige. Nous ne disposons que d’indices prouvant la cuisson des aliments : des os longs dont la carbonisation, au niveau de leurs extrémités, témoigne d’un rôtissage de la pièce de gibier correspondante », précise Gilles Delluc.
Un régime équilibré
« La simple comparaison du régime de nos ancêtres paléolithiques avec le nôtre et avec celui que recommandent les experts plaide en faveur de la nutrition préhistorique », assure cet auteur, préhistorien mais aussi médecin. Avec des besoins énergétiques quotidiens de 3 000 kcal mais une consommation d’acides gras ‘exemplaire’ (le gibier étant 5 à 10 fois moins gras que le bétail) et une ration de vitamines 3 à 10 fois supérieure à la nôtre, estime-t-on, les hommes de cette époque, à la vie très physique, savent se maintenir en forme.
Un mécanisme métabolique, la néoglucogénèse, permet à leur organisme de fabriquer des sucres à partir des protides et des lipides consommés (comme ceux de la moelle des os qui, concassés, jonchent les gisements archéologiques). Rongeant vraisemblablement les épiphyses des os (rarement retrouvées sur les sites) et prélevant peut-être même le lait sur les animaux femelles abattus (comme chez les récents chasseurs de l’Arctique), ils ne manquent pas de calcium. Globalement plus végétarienne dans les régions du sud et plus carnée dans les zones septentrionales, l’alimentation au Paléolithique dépend bien sûr des époques et donc des espèces pré-humaines ou humaines concernées, mais aussi des ressources disponibles.
Au fil du temps et des saisons…
Avec leurs grosses molaires et leurs incisives puissantes, à l’émail épais, les premiers de la lignée, les Australopithèques (-5 à -1 Ma) mangent surtout des végétaux – souvent coriaces. L’analyse isotopique de l’émail dentaire a révélé chez leur cousin Paranthropus boisei, longtemps surnommé « casse-noisettes » à cause de sa forte denture, un régime en fait…. herbivore, exceptionnel chez les homininés. Et chez les Néandertaliens des sites de Marcillac, en Charente, et de Sclayn, en Belgique, un régime au contraire presqu’exclusivement carné. Cependant qu’une étude américaine de 2010 met en évidence, dans le tartre dentaire d’autres Néandertaliens, des traces de végétaux (légumes sauvages, racines, nénuphars…), cuits pour certains.
Image dentition comparée entre Paranthropus boisei (gauche) et Homo sapiens (droite)
Et sapiens ? Pour lui, « Le renne est à la fois le garde-manger, la boîte à outils et la boîte à bijoux », rappelle Gilles Delluc, qui note aussi : « une peinture rupestre du Levant espagnol, antérieure au Néolithique, représente des collecteurs de miel entourés d’abeilles ». Si la montée du niveau des mers, depuis cette époque, empêche souvent les préhistoriens de retracer toute activité de pêche sur le littoral, celle-ci est très souvent attestée en rivière au Magdalénien (-17 à -10 000 ans). Ce n’est qu’après, au Néolithique, qu’agriculture et élevage modifieront pour toujours notre façon de manger… pour le meilleur et pour le pire !
Frédéric Belnet, journaliste scientifique
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