Redatation et polémique : Néandertal au Caucase
Publiant leurs résultats dans Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs irlandais et britanniques ont révisé à la hausse, par radio-datation, l'âge des fossiles néandertaliens d'une caverne du Caucase, leur donnant près de 40 000 ans, et en déduisant - hardiment - que cette espèce a disparu d'Europe avant que l'homme moderne ne l'y rencontre. Controverse...
L'étude
Ce sont les os fossilisés de deux enfants néandertaliens de la caverne de Mezmaiskaya, dans les montagnes du nord du Caucase (Russie d'Europe), qu'ont étudiés les paléoanthropologues Ron Pinhasi, de l'Université de Cork (Irlande) et Thomas Higham, de l'Université d'Oxford (Royaume-Uni).
Utilisant les toutes dernières techniques de radio-datation, ils ont attribué un âge de
39 700 ans à ces restes, que des études précédentes avaient estimés à 33 000 ans « seulement ». Ces os de nourrissons ayant été trouvés dans les couches supérieures du gisement, les chercheurs estiment qu'ils sont parmi les plus récents de ce site.
« Nous suggérons que les Néandertaliens ont peut-être disparu d'Europe à cette date, [il y a environ 40.000 ans, donc] » : c'est ce que les auteurs déduisent de ce vieillissement inattendu.
Conclusions... ou extrapolations ?
« Depuis des années, nous pensions que l'homme de Néandertal avait survécu à Mezmaiskaya jusqu'à il y a 30 000 ans, mais maintenant nous savons qu'ils se sont éteints, en fait, il y a environ 40 000 ans. Il n'y avait donc aucune chance que l'homme moderne, arrivé dans la région de 4.000 à 5.000 ans plus tard, ne les rencontre », dit Ron Pinhasi, qui ajoute même : « je ne crois pas qu'il y avait de régions où les Néandertaliens vivaient à côté de l'homme moderne. Je ne trouve pas cela très 'jouable' ».
« Cette région est considérée par beaucoup comme un carrefour pour la circulation de l'homme moderne dans les plaines de Russie. L'extinction des Néandertaliens à cet endroit est donc, pensons-nous, un bon indicateur de l'époque à laquelle cela s'est produit », précise Higham, selon qui une telle redatation high-tech, appliquée à d'autres sites néandertaliens situés plus à l'ouest, pourrait également les révéler plus anciens qu'on ne le pensait.
Radiocarbone, génétique : les outils et leurs limites
Selon le chercheur britannique, la datation au carbone (mais par des procédés moins modernes) des ossements de plus de 30 000 ans est aux limites des possibilités de cette technologie, car à cet âge, près de la totalité du carbone radioactif s'est déjà désintégrée : « ce que nous constatons, c'est que les travaux de fouille patients et minutieux sur de nombreux sites archéologiques n'ont pas été étayés par des datations au radiocarbone précises et fiables ».
Son confrère Pinhasi, qui incrimine une possible contamination des échantillons par des éléments actuels, lors de précédentes datations de fossiles néandertaliens, estime qu'« une datation plus systématique et un choix minutieux des matériaux à dater sont nécessaires afin d'obtenir les âges réels des événements clés tels que l'extinction de Néandertal ».
D'autre part, il souligne le manque de précision chronologique des données génétiques reliant sapiens à neanderthalensis : « les résultats ADN montrent qu'il y a probablement eu mélange à un certain stade de la vie de nos ancêtres, mais il est plus que probable que ces événements se soient produits assez longtemps avant l'arrivée des humains modernes en Europe », déclare-t-il.
L'avis d'autres spécialistes
Sur ce point, David Reich, généticien à la Harvard Medical School de Boston (Massachusetts), dont l'équipe a établi, l'année dernière, que tous les hommes actuels, hormis les Africains, devaient 1 à 4 % de leur ADN à Néandertal, admet que rien n'indique que les Néandertaliens se soient spécifiquement croisés avec les ancêtres des Européens modernes. Une situation qui pourrait évoluer en même temps que les techniques de recherche génomique, nuance-t-il toutefois, ajoutant malicieusement : "absence de preuve n'est pas preuve d'absence ».
John Hawks, paléoanthropologue à l'Université du Wisconsin, à Madison, confirme : « la possibilité d'un temps d'interaction relativement court est assez logique du point de vue de la génétique. Autrement, les Européens d'aujourd'hui pourraient avoir plus de gènes de Néandertal qu'ils n'en ont ». Il ajoute cependant : « Je pense que la nouvelle datation de Mezmaiskaya est très intéressante, mais je ne suis pas sûr qu'elle en dise long sur les derniers hommes de Néandertal : nous savons que nous avons des sites 'récents' en Croatie et en Espagne, au moins ».
Et en effet, le biologiste évolutionniste Clive Finlayson, directeur du Musée de Gibraltar, dont l'équipe a récemment constaté une présence néandertalienne datant peut-être de 24 000 ans seulement, dans la caverne de Gorham, à Gibraltar, commente : « certes, nous devons être prudents avec certaines datations au radiocarbone qui, après révision, donnent des chronologies plus anciennes - ce que nous savions déjà. Mais cela ne signifie pas que toutes les dates sont mauvaises ».
« Tout ce que ce papier montre, c'est que les Néandertaliens vivaient quelque part dans le Caucase il y a 40 000 ans environ. Ça ne signifie pas qu'ils ont alors disparu... », conclut-il.
F. Belnet
Sources :
Nature.com/news,
Livescience.com,
PNAS,
Sciencemag.org
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