Origine du langage et génétique : les limites de l'analogie
Une nouvelle étude sur les origines du langage remet en cause les travaux de Quentin Atkinson parus en 2011.
Des chercheurs européens viennent de publier dans Sciences une analyse critique des travaux du linguiste néozélandais Quentin Atkinson, qui avait présenté en 2011, dans la même revue, son étude sur l'origine des langues humaines, origine qu'il situait en Afrique occidentale.
Une théorie qui fait des vagues
En 2011, Quentin Atkinson, linguiste et anthropologue à l'Université d'Auckland (Nouvelle-Zélande), proposait le sud-ouest de l'Afrique comme berceau d'origine de l'ensemble des langues humaines. Fondant son étude sur une analyse comparative du nombre de phonèmes (les sons distincts) présents dans environ 500 langues actuelles, il avait constaté que ce nombre décroît au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'Afrique occidentale (où les phonèmes sont les plus nombreux) pour aller vers les régions du monde les plus tardivement colonisées par l'Homo sapiens (notamment l'Amérique et l'Océanie, où ces sons élémentaires sont les moins nombreux). Sa conclusion : cette abondance de phonèmes en Afrique de l'ouest faisait de cette partie du continent Noir le riche creuset de l'élaboration du langage articulé, lequel s'était ‘appauvri' de plus en plus en s'éloignant de sa source... Théorie suscitant un vif débat au sein de la communauté scientifique, et aujourd'hui remise en question sur le plan méthodologique...
L'analogie imaginée par Quentin Atkinson
Atkinson, biologiste de formation, pour interpréter son constat à propos des phonèmes, s'est appuyé sur un parallèle audacieux : celui entre les processus linguistiques et les processus génétiques. Dans le domaine de la génétique des populations, les biologistes observent en effet une diversité génétique maximale en Afrique, considérée de façon consensuelle comme le lieu de naissance de notre espèce, diversité qui diminue en Europe et en Asie pour devenir minimale en Amérique et en Océanie, terres plus récemment occupées : les hommes, bougeant par petits groupes d'individus proches, n'emmènent à chaque migration qu'une partie du pool génétique initial, qui se réduit de plus en plus à chaque étape. Idem avec la richesse linguistique, avait imaginé le chercheur néozélandais.
La même méthode avec d'autres critères
Faire un tel parallèle était-il pertinent ? Pour éprouver sa technique, Michael Cysouw et Steven Moran, linguistes à l'Université Louis-et-Maximilien de Munich (Allemagne), et Dan Dediu, de l'Institut Max Planck de psycholinguistique de Nimègue (Pays-Bas), l'ont appliquée sur d'autres critères linguistiques que le nombre de phonèmes, comme la construction de propositions subordonnées ou bien l'utilisation de la forme passive. Leur verdict : les résultats, alors, « ne pointent pas dans la même direction », mais, selon les cas, désignent plutôt comme berceau du langage l'Afrique orientale, le Caucase ou d'autres régions totalement différentes...
Les limites du parallèle avec la génétique
Battant ainsi en brèche l'analogie entre dispersion des langues et dispersion des gènes, Cysouw, qui étudie la linguistique comparée à la Faculté des langues et de littérature de Munich, considère les résultats d'Atkinson comme « artificiels ». Déclarant n'avoir pas d'objection de principe à l'utilisation de méthodes empruntées à d'autres disciplines pour aborder des questions de linguistique, il pense que le problème vient de leur application inappropriée. Surtout, il estime que les relations entre langues humaines ne peuvent être tracées de manière fiable qu'à environ -10 000 ans.
F. Belnet
Source : ScienceDaily
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