Chimpanzés : une générosité calculée
Récemment, le New Scientist a fait le point sur plusieurs études comportementales de groupes de chimpanzés sauvages, qui incitent les primatologues à réévaluer la complexité de ces sociétés de primates, et suggèrent des réponses à une question de longue date : pourquoi partager avec des individus qui ne nous sont pas apparentés ?
Échanges à l'amiable
Dans le Parc national de Taï (Côte-d'Ivoire), Christophe Boesch et Cristina Gomes, de l'Institut Max Planck d'anthropologie de Leipzig, après 22 mois d'observation de 44 chimpanzés, concluent que ces singes échangent vraiment des ‘biens et services' : les mâles cèdent de la viande aux femelles contre du sexe, et aux autres mâles contre des alliances lors de futurs conflits. L'épouillage semble la ‘marchandise' de moins grande valeur (toilettage contre toilettage réciproque, uniquement).
Largesses (faussement) désintéressées
Jill Pruetz et Stacy Lindshield, de l'Iowa State University, de leur côté, ont documenté, chez les chimpanzés de Fongoli (Sénégal), une sorte de proto-commerce : en 27 circonstances, ils ont observé des femelles prenant des aliments végétaux ou des outils à des mâles, lesquels laissaient faire. 14 autres de ces ‘emprunts' impliquaient des individus du même sexe, ou des jeunes.
La clé, selon Jill Pruetz : il s'agit d'un ‘lubrifiant' social. « Il semble que l'arrière-pensée, c'est l'harmonie du groupe social à un certain niveau », dit-elle. À Fongoli, les mâles, bien plus nombreux que les femelles, ont intérêt à ménager ces trop rares partenaires sexuelles (contrairement à ce qui se passe dans d'autres groupes). Ils ont également un intérêt à partager avec un autre mâle, pour s'en faire un allié lors de futures rencontres ‘musclées' avec d'autres mâles.
Une tendance générale
« D'autres combinaisons âge-sexe ont également été en jeu, et je pense que cela reflète la nature cohésive de cette communauté de chimpanzés », souligne Pruetz.
« Ces résultats ont incité les primatologues à utiliser certains termes qui, dans le passé, étaient réservés aux humains », constate Christophe Boesch, pour qui on commence maintenant à apprécier le temps et l'énergie que les chimpanzés investissent dans des relations réciproques, qu'il compare à de l'amitié.
« Les échanges observés ressemblent aux amitiés humaines, dans lesquelles nous ne gardons pas une trace détaillée de ce que nous nous devons les uns les autres», confirme Adrian Jaeggi, de l'Université de Californie de Santa Barbara, qui a étudié le partage chez différentes espèces de primates.
L'origine des rapports humains ?
Fongoli est un patchwork de bois, de prairies et de forêts de bambous affichant des températures de plus de 40°C, poussant les chimpanzés à se retirer dans des grottes fraîches et ombragées. « Le fait que les singes transportent la nourriture pour la consommer dans des zones ombragées crée sans doute plus d'opportunités pour en ‘emprunter' », suppose Jaeggi.
Le comportement inhabituel des chimpanzés qui vivent là - ils chassent même à l'aide de ‘lances' - suggère que cette mosaïque de savanes - le type d'habitat où les humains ont probablement évolué - a joué un rôle important dans l'évolution du système social.
« Les premiers hominidés vivant dans des environnements de savane pourraient avoir eu un système social similaire, caractérisé par une stabilité à long terme des relations, et pourraient donc aussi avoir profité de transferts de nourriture. (...) Partager crée un sentiment d'obligation chez les bénéficiaires de la générosité... », conclut Jaeggi.
F. Belnet
Sources :
New Scientist,
Daily Mail
Photo chimpanzé Vallée des singes : copyright Kroko pour Hominides.com
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