Les premiers musiciens
Frédéric Belnet
La musique, activité culturelle par excellence... Apparemment absentes des préoccupations des formes pré-humaines ou humaines plus anciennes, les intentions musicales ne sont connues, à la Préhistoire, que chez les Homo du Paléolithique supérieur, qui, selon leur habitude, ne nous en livrent que de maigres indices…
« La musique et la danse sont des formes d'art éphémères difficiles à appréhender. [Cependant,] l'existence de la musique au Paléolithique est attestée par la découverte de plusieurs types d'instruments », nous avertit le Musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Si l’on peut évidemment imaginer nos ancêtres chantant, tapant dans leurs mains, jouant du tambour fabriqué à partir de bois ou de peaux, ou bien encore soufflant dans des trompes en corne ou en écorce, aucune trace de ces activités, aucun vestige de ces matériaux dégradables ne vient l’attester. Comme toujours, pierre, os et ivoire – parfois sous des formes inattendues – sont quasiment les seuls indices tangibles – mais rares – que possèdent les préhistoriens pour documenter les pratiques musicales de l’Âge de pierre. L’archéologie expérimentale et l’éthologie – étude des peuplades indigènes actuelles – leur fournit également quelques indications. Outre leur intérêt sur le plan artistique, les premiers instruments de musique révèlent, selon les scientifiques, un comportement ‘moderne’ et une communication symbolique avancée.
Photo tirée du film Ao, le dernier néandertal
Les plus vieilles flûtes du Monde
Si l’on écarte cet os percé vieux de 43 000 ans découvert en 1995 sur un site néandertalien de Slovénie (et dont l’interprétation comme instrument de musique est controversée), c’est dans la grotte de Hohle Fels, en Allemagne, que des chercheurs de ce pays découvrent, en 2008, les plus vieux instruments de musique connus à ce jour : les morceaux de 3 flûtes, l’une (sous la forme d’un fragment de 22 cm) en os de vautour, percée de 5 trous, la seconde en os de cygne, percée de 3 trous, et la dernière taillée dans l’ivoire d’une défense de mammouth. Datés au carbone 14, ces vestiges remontent à -35 000 ans. C’est la période dite de l’Aurignacien, où l’Homo sapiens fraîchement débarqué en Europe y côtoie l’Homme de Néandertal, dont les préhistoriens ne reconnaissent cependant pas la ‘patte’ dans la facture de ces instruments : ils sont vraisemblablement l’œuvre de l’Homme anatomiquement moderne, comme tous ceux retrouvés jusqu’à présent. Si leur ancienneté est une surprise pour les archéologues, ce ne sont pas les premières flûtes à être découvertes.
Photo H. Jensen
Les autres flûtes et les sifflets
Fabriquées, donc, dès l’Aurignacien (-35 000 à -28 000 ans) et seuls instruments préhistoriques multi-notes, les flûtes sont relativement nombreuses : on en trouve par exemple dans la grotte ornée d’Isturitz (Pyrénées Atlantiques), qui en recèle une vingtaine, d’époque gravettienne (-28 000 à -22 000 ans). Parfois faites à partit d’os de mammifères ou de bois de renne évidés, elles sont le plus souvent constituées d’un os d’oiseau – lesquels sont longs, légers et creux – scié à chaque extrémité, au bout duquel est façonné un bec biseauté, surmonté d’une entaille, comme sur les pipeaux actuels. Fabriquée par les hommes du Magdalénien (-17 000 à -10 000 ans), celle trouvée au Roc de Marcamps, en Gironde, en est une bonne illustration. Dans la grotte du Placard, en Charente, une série d’os creux tubulaires, non perforés, sont peut-être les restes d’une sorte de flûte de Pan.
Simples accessoires de ralliement entre chasseurs, appeaux ou instruments de musique ? Des sifflets, constitués d’une phalange de renne – naturellement creuse – perforée, sont également connus, tels ceux de l’abri sous roche de Laugerie-basse (Dordogne) ou de la grotte d’Aurignac (Haute-Garonne). Tout l’art des préhistoriens consiste à distinguer, grâce à la tracéologie, les perforations intentionnelles de celles faites par les crocs des carnassiers.
Rhombes et racleurs
Encore utilisé par nombre d’ethnies actuelles, le rhombe, pièce d’os ou de bois perforée fixée à une cordelette, que l’on fait tournoyer pour produire des vrombissements, fait également partie de la panoplie des musiciens paléolithiques.
De formes diverses, les racleurs, en os ou en bois de cervidés, offrent un flanc cranté qui, frotté à l’aide d’une baguette en bois ou en os, produit un bruit caractéristique. Celui de la grotte du Mas d’Azil (Ariège), est en os de renne. Leur usage et même leur nature musicale demeurent toutefois incertains.
D’autres indices, indirects
Autre genre d’indices, de rares éléments d’art pariétal semblent représenter des humains jouant d’un instrument de musique – interprétation toujours subjective, les œuvres en question n’ayant pas la précision des figurations de la grande faune. Le plus représentatif est la gravure dite du « petit sorcier à l'arc musical » de la grotte des Trois Frères (Ariège). Le personnage, revêtu d’une peau de bête et tenant un petit ‘arc’, a d’abord été perçu comme un danseur muni d’une sorte de guimbarde, mais une autre hypothèse le dépeint comme un chasseur, camouflé et armé d’un arc, approchant le gibier.
Dans certaines grottes, comme à Pech Merle (Lot), on observe aussi des traces de percussions peut-être rythmiques sur des concrétions de calcite (stalagmites, …), alors surnommées lithophones. Les essais expérimentaux y montrent des propriétés acoustiques (résonnance), et certains préhistoriens imaginent une association entre art pariétal et sons… bien difficile à démontrer.
Enfin, plus hasardeuse encore, l’hypothèse des ostéophones voit dans les gros os de mammouth décorés trouvés à Mezine (Ukraine) et généralement interprétés comme matériaux de construction (de huttes), des instruments musicaux. L’imagination des hommes d’aujourd’hui est sans doute à la hauteur de celle des hommes d’hier…
Frédéric Belnet,
journaliste scientifique
A voir et écouter en ligne
Eric Gonthier, (maître de conférence au département Préhistoire, du Musée de l'Homme à Paris) présente et explique l'utilisation des lithophones par les hommes préhistoriques dans certaines grottes, il y a 2500 à 8000 ans. Une musique venue de la préhistoire... par patrimoine-en-blog
|
Sur Hominides |
En partenariat avec
Article Les premiers musiciens, paru dans la revue Historia numéro 786 de juin 2012.
|
La musique
à la préhistoire
|
|
A voir
|
Musée d'Archéologie nationale de Saint Germain-en Laye
|
Grotte d'Isturitz
|
A suivre... |
Nos premières fois
Nicolas Teyssandier
Avec "Nos premières fois", le préhistorien Nicolas Teyssandier nous livre un inventaire très particulier, celui des premières fois de l'Humanité, "nos" premières fois culturelles, techniques, matérielles : le premier outil, bien sûr, mais aussi le premier couple, le premier bijou, le premier meurtre, le premier chat, le premier dieu ou encore le premier mot...Ces premières fois qui constituent notre mémoire collective prennent ici la forme d'un grand récit qui s'appuie sur les connaissances le s plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine.
Nos premières fois, à la préhistoire
|
Instruments et musiques de la Préhistoire
Tinaig Clodoré Tissot - P. Kersalé
2 DVD
Le propos de ces deux DVD est double : d’abord présenter les instruments de musique de la Préhistoire européenne retrouvés lors de fouilles archéologiques, ensuite de les confronter à des contextes ethnologiques similaires à ceux ayant pu engendrer leur création.
Familial - Educatif
|
Préhistoire de la musique
Tinaig Clodoré Tissot
Sons et instruments de musique des Ages du Bronze et du Fer en France. Catalogue d’exposition.
Edité par le Musée de Préhistoire d'Ile-de-France de Nemours. 2002.
Pour amateurs passionnés.
Il est également possible de le commander en ligne sur cette page du Musée de Nemours
|
| |