L'art des grottes ornées du Paléolithique supérieur.
Voyages dans les espaces-limites
Marc Groenen
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Présentation de l'éditeur
Ce travail de synthèse consacré à l’art du Paléolithique supérieur sur parois rocheuses est le fruit de vingt années de recherche dans les grottes françaises et espagnoles. Le premier objectif de l’ouvrage est de déterminer le statut des peintres, graveurs et sculpteurs de cette période, le second de comprendre les intentions qui ont conduit à orner les réseaux souterrains. La diversité des thèmes figurés, la qualité graphique des images, la maîtrise technique permettent de penser que les œuvres pariétales sont le fait de personnes formées à l’art de la représentation. En outre, l’analyse des tracés non figuratifs propose un éclairage nouveau sur la valeur à accorder aux espaces souterrains. L’auteur montre, à cet égard, le rôle déterminant des espaces dans l’organisation du décor. Les thèmes ont, en effet, été agencés en fonction de particularités architectoniques qui participent à leur mise en scène par les jeux d’ombre et de lumière produits par l’éclairage de l’époque. Cette dialectique confère à la grotte une valeur d’espace-limite. Mais elle donne aussi au réseau le statut d’une véritable architecture ornée. Les traces d’aménagement et les multiples objets déposés intentionnellement montrent, en tout cas, que ces lieux n’ont pas uniquement servis à être ornés. De ce point de vue, cette étude contribue à nous faire entrer dans l’univers mental de nos lointains ancêtres.
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Edition: Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
28,5 x 24,5 cm
304 pages
L'auteur Marc Groenen
Marc Groenen est préhistorien et philosophe des sciences. Il est professeur à l'Université Libre de Bruxelles, où il enseigne l'art et l'archéologie préhistoriques. Il dirige actuellement l'étude de la grotte d'El Castillo (Cantabrie) et fait partie de l'équipe de la grotte Chauvet (Ardèche). Ses recherches sont centrées sur l'univers sociocognitif des hommes préhistoriques, qu'il tente de reconstituer à travers l'étude des manifestations esthétiques et de la documentation archéologique.
Sommaire L'art des grottes ornées
Préface
Avant-propos
Introduction
les thèmes
1 Les figures zoomorphes
2 Les figures anthropomorphes
3 Les « signes »
4 Les images de mains
Les techniques
1 Des pigments aux peintures : vers la notion de chaine opératoire
2 Des modes opératoires au champ opératoire
Des auteurs amateurs, artisans ou artistes ?
1 Quel statut pour les peintres et graveurs du Paléolithique supérieur ?
2 Questions de style
3 Style, forme, chronologie et évolution : questions intempestives
4 Du style au système esthétique
Le sens de l’image
1 Réalisme et réalité
2 Fonctions de l’image : de la réactivation à la destruction symbolique
L’organisation
1 mise en scène du dispositif pariétal
2 Espace physique et symbolique
3 Question de point de vue
4 Espace publics et sanctuaires privés
5 De la lumière à l’ombre : une approche de la métaphysique paléolithique
Fonctions de l’espace
1 Aménagement et utilisation des espaces souterrains
2 Les actions anthropiques
3 Dépôts d’objets
4 Traces et empreintes
En guise de conclusion
Remerciements
Abréviations
Bibliographie
Index
Crédits photographiques
Extrait de L'art des grottes ornées du Paléolithique supérieur
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Réalisme et réalité
Espace de vie et temps de partage
Dès la fin du XIXe siècle, E. Piete avait abordé l’art paléolithique en estimant qu’il ne pouvait être qu’une pâle copie fidèle de la réalité. Cette approche l’avait conduit à voir dans les gravures mobilières des œuvres à ce point réalistes qu’il s’était cru autorisé à compléter les conclusions lacunaires des paléontologues en proposant des discriminations spécifiques ou raciales.
Sans être aussi catégorique dans leurs conclusions, les préhistoriens ont ensuite continué à admettre implicitement la teneur réaliste de l’art paléolithique, suffisamment, en tout cas, pour rechercher systématiquement dans le détail des figurations zoomorphes des indications sur leur appartenance générique ou spécifique. Certains spécialistes ont cependant considéré l'art paléolithique comme un art symbolique. D. Vialou, M. Lorblanchet ou H. Delporte, pour ne citer qu’eux, se sont montrés très prudents, sinon critiques, vis-à-vis des lectures « hyper-réalistes ». L’opposition entre les deux notions peut cependant être dépassée.
Nous avons vu que l’art pariétal avait fait l’objet d’une mise en sens, en forme et en scène et, comme tel, il ne peut que relever d’un système symbolique dans lequel chaque groupe a projeté ses propres valeurs signifiantes. Mais ce système symbolique est dépendant du système linguistique du groupe. Autrement dit, les choses du monde ne sont signifiantes qu’à travers les mots que l’on utilise pour les dire ? Et ce découpage de la réalité a une valeur proprement culturelle. J. Clottes a fort justement rappelé que les Sâmes de Laponie emploient des dizaines de termes pour désigner le renne dont leur existence dépend tant. On ne saurait s’étonner, dans ces conditions, que les figurations zoomorphes ou anthropomorphes intègrent des caractéristiques différentes de celles que nous jugerions opportunes de retenir. La volonté de traduire graphiquement l’attitude dynamique des animaux a débouché sur des solutions graphiques variées de la part des artistes paléolithiques. Il est utile, à cet égard, de rappeler les indications fournies par des Inuits invités à visiter des grottes ornées françaises. Les deux contraintes essentielles pour la réalisation d’une œuvre sont, d’une part, que l’individu ou l’animal représenté soient vrais et, d’autre part, que le sujet rapporte une légende ou un fait. C’est dire que les Inuits ont d’emblée perçu les animaux figurés dans les grottes paléolithiques, non comme de simples dessins, mais comme étant effectivement présents dans l’espace circonscrit par le dessin ou la gravure…
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