Génétique et origine sud-africaine d'Homo sapiens
Le berceau de l'humanité moderne ? L'Afrique, bien sûr. Et même l'Afrique de l'est. Pas si sûr... Des généticiens américains, au terme d'une étude à grande échelle, publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, et concernant diverses populations de ce continent, précisent leur évolution, et envisagent même une origine plutôt sud-africaine de notre espèce.
L'étude, en deux mots
À travers une vaste analyse de la diversité génomique des populations d'Afrique, Brenna Henn et le Pr Marcus Feldman, du Département de génétique et de biologie de l'Université de Stanford (Californie), enrichissent nos connaissances sur l'histoire humaine de ce continent. Mais surtout, ils déduisent de leurs résultats que l'homme moderne a probablement ses origines en Afrique australe et non orientale, comme on le supposait généralement.
«Nous croyions que l'origine des humains ayant quitté l'Afrique se situait à l'est. La présente étude met l'accent sur l'Afrique australe, et en particulier sur un groupe de chasseurs-cueilleurs, les Bushmen [ou Bochimans, en Français], qui parlent une des langues Khoisanes, à base de 'clics' sonores », explique le Pr Feldman.
Génétique, diversité et ancienneté
En génétique, les variations reposent sur des combinaisons de gènes, dont chacune peut être considérée comme formant une seule « chaîne » (de nucléotides). Au fil du temps, la recombinaison génétique (croisements entre individus, entre ethnies, mutations) casse ces chaînes en segments plus petits, qui sont autant de variantes secondaires. Plus une population est ancienne, plus courts sont les segments, et plus grande est la variété génétique. Les scientifiques ont donc recherché ce type de marqueurs chez 25 populations africaines différentes, identifiant ainsi 650 000 de ces « signatures » (appelées « polymorphismes mono-nucléotides, SNP en Anglais) ».
On savait déjà que la plupart des variations - liées aux plus brefs segments - sont survenues en Afrique. Et qu'au fur et à mesure qu'Homo sapiens s'est déplacé vers l'est, le niveau de variation a diminué, atteignant son minimum dans les Amériques, de peuplement plus récent.
Mais la nouvelle étude constate qu'au sein du continent Noir, les Bushmen, au sud, ont statistiquement les plus courts segments, dont la longueur augmente lorsqu'on se déplace vers le nord. Les Bushmen, ayant la plus grande variabilité génétique, seraient donc susceptibles d'être la population d'origine à partir de laquelle toutes les autres populations d'Afrique ont divergé.
Un double enjeu scientifique
Les plus anciens crânes d'Homo sapiens ayant été découverts en Afrique de l'est, et les génomes du monde entier dérivant de ceux présents sur ce continent, ce dernier est perçu depuis longtemps comme notre berceau d'origine. Mais, vu la grande diversité génétique qui y règne, il est difficile de dire d'OÙ, en Afrique, sapiens est originaire. La nouvelle étude s'emploie à le préciser.
D'autre part, elle améliore notre vision de l'évolution des peuples au sein même de l'Afrique, longtemps restée floue, selon les auteurs, faute d'échantillonnages à la hauteur de la diversité présente : « avant cette étude, seule une poignée de locuteurs Khoisan de Namibie avaient été comparés avec d'autres Africains. Pour se faire une idée précise, l'équipe a eu besoin de comparer la génétique de populations de chasseurs-cueilleurs différentes, ainsi que celle d'individus différents au sein de chaque groupe, et ce sur des centaines de milliers de portions d'ADN ».
« L'étude est également fascinante parce qu'elle montre que certains groupes de chasseurs-cueilleurs ne se sont jamais mélangés avec leurs voisins », dit ainsi Feldman. Comme preuve de l'unicité du génome de ces populations, les chercheurs y notent la présence fréquente de certaines protéines du système immunitaire, rarissimes ailleurs sur la planète.
Convier toute l'humanité à la l'Histoire des origines
Lors de leur collecte d'échantillons (de salive, en l'occurrence), les chercheurs ont sollicité : des Bushmen d'Afrique du Sud, de Tanzanie et de Namibie, des pygmées Akas de République Centre-Africaine, des Hadzas et des Sandawes de Tanzanie, ainsi que 21 populations d'agriculteurs ou d'éleveurs, tels les Massaï du Kenya et de Tanzanie ou les Yorubas d'Afrique de l'ouest. « Sans la participation de ces gens, les tendances de l'évolution en Afrique ne peuvent être déterminées », dit le Pr Feldman.
Brenna Henn a revu les Bushmen pour compléter l'analyse de leur ADN par des mesures de leur taille et de leur couleur de peau. «Nous allons collaborer avec plusieurs chercheurs sud-africains pour examiner ces phénotypes », précise Feldman, qui collabore avec le Centre d'Étude du Polymorphisme Humain (CEPH) à Paris, dans un projet qui engage des peuples du monde entier à la recherche des origines.
Quelques réserves...
Reste que ce focus sur le sud est controversé : « ce sont des histoires démographiques complexes, et il n'y a aucune raison de penser que les populations africaines ont évolué 'sur place', dans les régions où elles vivent aujourd'hui. Certaines peuvent avoir migré », relève Sarah Tishkoff, généticienne à l'Université de Philadelphie (Pennsylvanie).
« Je serais prudent sur la localisation des origines. Le nombre d'échantillons étudiés pour le groupe [des Bushmen] est en réalité assez limité, or si vous regardez les peintures rupestres, nombreuses sont celles attribuées aux Bushmen, et on soupçonne qu'ils étaient jadis bien plus répandus. Les différentes populations de l'Afrique ancienne ont probablement contribué à la génétique et au comportement de l'homme moderne. Je ne pense pas qu'il y ait eu un seul jardin d'Éden où tout cela est arrivé », conclut Chris Stringer, anthropologue au Muséum d'histoire naturelle de Londres.
F. Belnet
Sources :
Stanford University,
Nature.com
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