Une mandibule d'Éthiopie qui raconte l'apparition du genre Homo
Publiée dans Science ce jeudi 5 mars, une étude réalisée par une équipe internationale dirigée par les universités de l'Arizona et du Nevada, décrit une mandibule d'homininé vieille de 2,8 Ma découverte récemment en Éthiopie et qui s'inscrit dans l'évolution des préhumains vers le genre Homo, une histoire documentée jusqu'ici par très peu de fossiles.
La découverte
C'est à Ledi-Geraru, dans l'Afar - une région d'Éthiopie mythique en termes de découvertes paléoanthropologiques - que Chalachew Seyoum, un doctorant éthiopien rattaché à l'Université de l'Arizona, a mis au jour, en 2013, ce morceau de mandibule fossilisé qui fait aujourd'hui le buzz. Il s'agit de la partie gauche de la mâchoire inférieure d'un homininé adulte, où subsistent 2 prémolaires et 3 molaires. Elle reposait dans des couches volcaniques dont les spécialistes de l'Université de Pennsylvanie ont pu dater les isotopes radioactifs à 2,8 millions d'années (ce qui indique que le fossile remonte à cette même époque). Cette mandibule (référencée LD 350-1) a été passée au crible par les scientifiques, qui publient aujourd'hui leurs étonnantes conclusions.
Credit photographie : Brian Villmoare et al.
Différentes vues de la mandibule retrouvée dans l'Afar
Credit: Brian Villmoare
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L'étude
Brian A. Villmoare, de l'Université du Nevada à Las Vegas et William H. Kimbel, directeur de l'Institut sur les origines de l'Homme de l'Université d'État de l'Arizona, ont dirigé l'analyse. Selon eux, si certains traits anatomiques - notamment le menton fuyant - rappellent les Australopithèques, d'autres, plus dérivés (plus « modernes ») - comme la minceur des molaires, l'aspect symétrique des prémolaires et, d'une manière générale, les proportions de cette mâchoire -, classent sans équivoque l'homininé de Ledi-Geraru dans le genre Homo - notre lignée. Avec ses 2,8 Ma, il devient donc le plus ancien fossile d'Homo connu à ce jour (le précédent, lui aussi de l'Afar, datait de 2,4 Ma).
Un jalon précieux
Il est encore trop tôt pour préciser l'identité et la position de ce fossile dans l'arbre évolutif de la lignée Homo (il faudra pour ce faire trouver d'autres spécimens). Mais l'important est que, non seulement cette mâchoire fait reculer l'apparition du genre Homo de 400 000 ans, mais qu'en outre, elle confirme et documente la transition entre la lignée des Australopithèques et la nôtre. Même si Lucy (Australopithecus afarensis, -3,2 Ma), découverte en 1974, n'est généralement plus considérée comme un ancêtre direct d'Homo sapiens, elle fréquentait la même région que l'individu qui nous a laissé cette mandibule. Que ce dernier, lui aussi, soit ou non un de nos ascendants directs, il semble bien, selon les auteurs de l'étude, dériver de Lucy ou du moins d'un de ses cousins : « Ce nouveau fossile [...] illustre bien la transition entre ces deux groupes [Australopithecus et Homo] », dit William Kimbel. Une découverte d'autant plus importante que les fossiles de ce type sont très rares.
L'(H)omo Event en action ? Vers les années 1980, le paléontologue Yves Coppens avait inventé le terme d'(H)omo Event pour désigner un phénomène survenu à partir de -3 Ma environ en Afrique orientale (notamment dans la vallée de l'Omo, en Éthiopie), probablement à la suite d'un assèchement du climat : une lente transition des Australopithèques - encore en partie arboricoles et adaptés à une savane arborée - vers les espèces du genre Homo - bipèdes de milieux ouverts. Le nouveau fossile semble illustrer ce processus, puisqu'une autre étude publiée cette semaine dans Science indique que la faune fossile contemporaine de cet homininé de 2,8 Ma - éléphants, antilopes, hippopotames... - est celle d'un milieu de savanes ouvertes irriguées de rivières.
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Le paléoanthropologue Pascal Picq a déclaré à BMF TV « Est-ce que cette mandibule est importante ? Oui, parce qu'elle est dans une période charnière, qui est celle de la transition, du passage entre la diaspora des australopithèques, et l'émergence du genre homo qui est assez bien définie entre 2 et 2,5 millions d'années. On est encore avec des caractères d'australopithèque qui sont assez marqués, mais néanmoins les dents, la taille des dents, certains aspects fins de la morphologie nous orientent déjà vers les origines du genre Homo 300 à 400 000 ans plus tard... » |
Frédéric Belnet
Sources :
ScienceDaily,
Le Monde
FranceTV Info
Brian Villmoare, William H. Kimbel, Chalachew Seyoum, Christopher J. Campisano, Erin Dimaggio, John Rowan, David R. Braun, J. Ramon Arrowsmith, Kaye E. Reed. Early Homo at 2.8 Ma from Ledi-Geraru, Afar, Ethiopia. Science, 2015 DOI: 10.1126/science.aaa1343
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