Les comptes rendus... de Romain Pigeaud II
Les lectures préhistoire et archéologie de Romain Pigeaud
Sélection Art Préhistorique
Aujoulat, N., 2004 : Lascaux. Le geste, l’espace et le temps. Seuil, Paris. Collection « Arts rupestres », 274 p., ill. en couleur, notes, bibliogr. pp. 271–272, remerciements, crédits iconographiques.
Norbert Aujoulat travaille dans la grotte de Lascaux depuis plus de 20 ans. Il a pu développer et tester dans cette cavité les nouvelles avancées technologiques en matière de prises de vues et de traitements d’images. Ses connaissances en karstologie, géologie, éthologie et zoologie lui ont fourni les compléments d’informations indispensables à une bonne compréhension « naturaliste » de l’art pariétal de cette grotte emblématique et exceptionnelle. Tout ce travail a constitué lamatière d’une thèse de doctorat, dont il présente ici une version pour spécialistes et pour le grand public, dans la prestigieuse collection « arts rupestres » des éditions du Seuil, dirigée par Jean Clottes. Aujourd’hui, l’étude d’une grotte ornée se doit d’être exhaustive. Elle n’est plus réservée, commedu temps de l’abbé Breuil, à la seule description des plus belles oeuvres, ni, commedu temps
d’André Leroi-Gourhan, à l’analyse structuraliste des constructions symboliques. Le contexte de la grotte, les techniques de représentation, les pigments utilisés, les utilisations de relief, constituent autant d’axes de recherche. À ce titre, l’étude de Norbert Aujoulat est exemplaire et pourra
avantageusement servir de modèle aux monographies à venir. Par ailleurs, son travail fut, pour une grande partie, comme il l’écrit (p. 9), une « recherche de terrain, dont la finalité entre autres, fut d’identifier les facteurs d’origine naturelle susceptibles d’avoir contribué à la construction du sanctuaire et d’évaluer les modalités de structuration des ensembles graphiques ». Ce n’est pas de la « recherche de salon », uniquement basée sur les publications des autres, ni de la « recherche saut de puce », faite de la visite au kilomètre de grottes ornées, mais le fruit d’un apprivoisement lent et minutieux du milieu souterrain. C’est d’autant plus méritoire que, comme chacun sait, le travail dans la grotte de Lascaux est sévèrement minuté et encadré.
Le premier chapitre (p. 12) est consacré au contexte géologique, notamment celui du bassin versant de la basse Vézère, dont Norbert Aujoulat explicite le processus de dépôt sédimentaire et de comblement de fond de vallée, qui n’affecte que les vallées affluentes (dont celles de la Grande
et de la Petite Beune), d’où la répartition actuelle des sites, principalement concentrés dans la vallée de la Vézère, les autres étant sans doute enfouis sous plusieurs mètres de sédiments. Le deuxième chapitre (p. 18) est une bonne synthèse du milieu souterrain du Périgord noir, avec l’étagement des cavités (horizon « Font-de-Gaume » auquel appartient Lascaux, avec ses sections de galeries en « trou de serrure » et « niveau Combarelles »). Le troisième chapitre (p. 26) est une présentation globale de la grotte de Lascaux au niveau topographique et géologique. En quelque sorte, une vue de la « page blanche » sur laquelle travailleront les artistes du Paléolithique supérieur. Norbert Aujoulat livre deux informations très intéressantes : la première (p. 26–27), qu’il a existé une seconde entrée dans la grotte de Lascaux, aujourd’hui comblée. Ménageant un accès plus facile au fond du Puits (où se trouve la célèbre « Scène ») que l’actuel, un goulet de 5m de haut, depuis l’Abside, où il était impossible de remonter sans matériel approprié. Par ailleurs, on apprend (p. 41) que Marcel Ravidat, pour descendre ce même goulet depuis l’Abside, a dû « abaisser le sol très meuble, voire pulvérulent, d’une quinzaine de centimètres », puis agrandir le passage. Par ailleurs, la configuration des lieux interdit d’y glisser une corde ou un mât de perroquet. Il semble donc bien qu’il y ait eu « deux Lascaux » dès l’époque paléolithique, ce qui pourrait fournir une explication au style si particulier des figures de la « Scène du Puits », qui tranche avec celui du reste de la cavité. L’autre information concerne l’analyse du support rocheux et des états de surface, très fouillée. Ce qui est capital pour expliquer les emplacements choisis pour les représentations et la sélection des techniques picturales. Car le support se révèle, dans Lascaux, hétérogène, ce qui « a pour conséquence des écarts important de (ses) propriétés, notamment photométriques (p. 46). Une paroi chromatiquement très dense implique l’usage concomitant de plusieurs luminaires. Cela pourrait expliquer la quantité anormalement élevée de lampes retrouvées (au fond du) Puits. Dans une situation plus favorable, dans le Diverticule
Axial ou la Rotonde, aux surfaces particulièrement réfléchissantes, une seule lampe suffirait à éclairer l’intégralité de la salle ». Le quatrième chapitre (p. 50) est réservé au contexte archéologique. À ce propos, Norbert Aujoulat aborde l’épineuse question de la datation de Lascaux. Il évoque prudemment (p. 60) une attribution au Solutréen, ce qui est pour le moins hétérodoxe aujourd’hui, où l’art de Lascaux sert encore de pivot pour les analyses stylistiques et fait figure de parangon de l’art magdalénien. Mais ses arguments, convaincants, méritent d’être pris en compte. Assistera-t-on bientôt à une réévaluation de l’art solutréen, pour le moment fort peu représenté, peut-être parce qu’il n’a pas été reconnu jusqu’ici comme tel ?
Le cinquième chapitre (p. 64) est très long (131 pages). C’est qu’il présente tout l’art de Lascaux. Les photographies sont très belles, d’un grain somptueux et les relevés précis et didactiques. Les spécialistes regretteront cependant qu’ils ne portent pas d’échelle (contrainte de l’éditeur ?). Le Lascaux peint qui jusqu’ici, bien que plus spectaculaire, n’avait pas bénéficié de relevés modernes comme le Lascaux gravé, est enfin accessible à la communauté scientifique.
Nous possédons enfin les décomptes définitifs, l’inventaire de tous les tracés, même des plus ténus. Des figures légendaires rarement montrées y figurent, comme le félin stylisé de la fin du Diverticule Axial (p. 109 et fig. 72). Norbert Aujoulat décrit précisément chaque animal avec un oeil de naturaliste et de technologue. Chemin faisant, on découvre l’incroyable complexité des techniques utilisées, des choix opérés par les artistes, qui semblent totalement maîtriser leur sujet, qui mixent le crachis, le pinceau, les variations de couleur (l’exemple de « blasons », p. 174, publiés de manière plus détaillée dans un article de l’Anthropologie, en 2004) comme les fresquistes les plus confirmés de la Renaissance italienne. Le mythe sympathique de « l’artistequi-sommeille-en-chacun-de-nous-la-preuve-tous-les-chasseurs-de-l’âge-de-Pierre-avaient-dutalent » est définitivement balayé : ce sont bien des professionnels qui ont travaillé à Lascaux.
Probablement à plein temps, d’ailleurs. Ce qui pose des questions quant à leur position sociale et leur statut. Ici encore, le Puits se singularise. Le pigment utilisé pour la « Scène » a fait l’objet d’une étude au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), dans le cadre d’un mémoire de doctorat. Ses résultats déjà publiés ailleurs, sont ici résumés (p. 158) et permettent à Norbert Aujoulat d’exclure définitivement le rhinocéros de la célèbre association du théranthrope à tête d’oiseau, du bison « blessé », du « propulseur » et du bâton surmonté d’un oiseau, renforçant ainsi leur « très grande unité graphique ». Ce chapitre se clôt par une analyse éthologique. L’auteur tente de deviner chez les principaux thèmes l’expression d’une saisonnalité, information, on le sait, souvent figurée sur les représentations animalières. C’est ainsi que pour lui (p. 190), « les chevaux de Lascaux ont été peints, dessinés ou gravés avec des caractères spécifiques, qui témoignent d’une période s’étendant de la fin de l’hiver au début du printemps ». Les aurochs (p. 194) « en livrée d’été » et les cerfs (ibidem) « au début de l’automne ». Pour Norbert Aujoulat, la conclusion s’impose (ibidem) : « chaque espèce représentée à Lascaux répond à une période bien précise du calendrier. Les chevaux marquent la fin du printemps, les aurochs le plein été, tandis que les cerfs ont été décrits avec les attributs del’automne. Cela n’est pas fortuit. Chacune de ces espèces a été représentée à une phase bien particulière du cycle annuel, celle des prémices de l’accouplement. (. . .) l’iconographie (de
Lascaux) est avant tout une fantastique ode à la vie ».
Le chapitre 6 (p. 198) est consacré à « la construction de l’édifice graphique ». Après avoir évoqué la matière première, l’auteur consacre l’essentiel du chapitre à la technologie des figures. Il montre ici toute l’étendue de son savoir en cette matière, fruit de 20 années d’observations rapprochées et d’expérimentations. Jamais jusqu’ici un préhistorien n’avait été aussi loin dans ses descriptions (par exemple, celle des angles de projection, p. 206). Le vocabulaire utilisé est précis et devrait être réutilisé dans d’autres études. Ces techniques peuvent être mélangées ou se substituer, en fonction des types de supports. Norbert Aujoulat en a compté huit, dont il établit la liste (p. 209 et 211). Il s’intéresse ensuite à la construction des figures qui est loin d’être simple ni d’être toujours la même. Les figures 157 à 160 (p. 213) montrent ainsi le mode de construction du premier « cheval chinois ». Quant à la perspective, si les « blancs » destinés à individualiser les seconds plans et à suggérer la profondeur étaient déjà connus, il est le premier à notre connaissance, à mettre en évidence les différences de traitement des membres suivant leur position dans l’espace. Par exemple, pour les bisons adossés de la Nef, il remarque que (p. 221) « les sabots de l’avant-train sont de meilleure facture que ceux situés à l’arrière dont le dessin se limite seulement aux lignes de contour, alors que ceux du premier plan affichent chacun leur caractère bisulque. On enregistre ainsi une réduction des détails graphiques, simplification des traits créés par l’éloignement de l’observateur par rapport au premier plan de la scène. » La même différence de traitement se retrouve aussi dans les groupes de figures, les animaux du premier plan étant mieux traités que ceux de l’arrière-plan (p. 226). L’auteur traite ensuite les cas d’anamorphoses (p. 221) qu’il avait déjà repérés et publiés en 1985 dans la revue Préhistoire ariégeoise. Il analyse aussi la participation du support dans la construction graphique des figures (p. 228), phénomène désormais bien connu de l’art des grottes ornées. Sont évoqués aussi (p. 234) les problèmes d’accès à la paroi et l’existence ou non d’échafaudages. L’auteur passe
ensuite aux constructions des panneaux (p. 242) et à la chronologie de ce qu’il appelle (p. 246) les « événements pariétaux ». Il confirme les analyses de l’abbé Glory : sur les parois de Lascaux, le cheval est toujours antérieur à l’aurochs, lui-même toujours sous-jacent au cerf. À partir d’un exemple (fig. 183 à 186, p. 248 à 251), celui de la paroi gauche de la Rotonde, il reconstitue une séquence complète de décoration. On regrette alors que les contraintes éditoriales ne lui permettent pas d’exposer toutes les séquences de toutes les parois de la grotte. Peut-être une édition sur DVD ou sur Internet ferait-elle un excellent complément à cet ouvrage alléchant ?
Dans sa conclusion (p. 254), Norbert Aujoulat synthétise ses observations. Et démontre définitivement la complexité du décor pariétal de la grotte de Lascaux, aussi bien dans sa réalisation (en particulier, par ses mélanges de techniques employées pour de mêmes figures) que dans son organisation. Lascaux semble bien un « sanctuaire » (p. 257) homogène. Par ailleurs, si l’espace de la cavité est bien « domestiqué » par les artistes, ceux-ci ont intégré aussi une forte dimension temporelle. Si en effet, on rapproche, comme le fait Norbert Aujoulat, l’ordre de superposition du cheval, de l’aurochs et du cerf, avec la saison de l’année à laquelle ils sont représentés (printemps, été, puis automne), force est de constater une « étroite adéquation » (p. 262). « La superposition des séquences graphiques et des cycles biologiques renforce la très grande unité du sanctuaire. (. . .) Ces observations donnent à penser que l’art de Lascaux est bien le produit d’une activité limitée dans le temps et appartient peut-être à une seule génération. » (ibidem). Ce temps est peut-être celui du Solutréen, comme tendrait à le prouver la datation d’une sagaie retrouvée dans le Puits : près de 18 600 ans. Oui mais, on peut objecter que, puisque le Puits était accessible par une autre entrée, la datation indirecte de son décor ne saurait valoir pour l’ensemble de la cavité. Quoiqu’il en soit, ce livre de Norbert Aujoulat est appelé à devenir un classique de la monographie en grotte ornée. Il démontre qu’il est possible d’aller au-delà des analyses technologiques qui rendent souvent trop sèches les ouvrages d’autres auteurs plus timorés et que nous sommes définitivement entrés dans l’ère poststructuraliste. Rigoureux, exhaustif, précis, il fourmille d’idées qui formeront autant d’aiguillons pour d’autres recherches, dans d’autres cavités, par Norbert Aujoulat ou d’autres équipes.
Romain Pigeaud
Tymula, S., 2002. L’art solutréen du Roc de Sers (Charente). Paris, DAF, Édition
de la Maison des Sciences de l’Homme, 285 p., 164 fig.
Comme le dit Denis Vialou dans sa préface, l’empire solutréen comportait un site de référence : la collection de plaquettes gravées du Parpalló (Espagne). Il en compte désormais un deuxième : les sculptures du Roc de Sers. Ce site fameux, devant la vitrine duquel le visiteur passe habituellement sans rien voir, au Musée des Antiquités Nationales, acquiert aujourd’hui une seconde jeunesse. Dans une langue claire et concise, Sophie Tymula commence par dresser le cadre géographique et géologique de la vallée. De
géomorphologue, elle se transforme ensuite en historienne des sciences et parvient à tirer la substantifique moelle des carnets et notes du docteur Henri Martin, qui ne fut pas toujours
très scrupuleux. Ensuite, c’est à une étude palethnographique qu’elle nous invite, ceci afin d’en finir avec l’éternel problème : le Roc de Sers, art pariétal ou art sur bloc ? Elle démontre alors de façon convaincante que les blocs que nous connaissons aujourd’hui sont
tombés de la paroi, du fait de la gélifraction. Puis elle parvient, par l’étude de la stratigraphie et des collections archéologiques, et une nouvelle datation C14 particulièrement bienvenue (17,090 ± 160 BP, GifA 97329), que la frise sculptée ne saurait avoir été réalisée
après le Solutréen supérieur, et donc ne peut être contemporaine de la frise voisine du Roc
aux Sorciers d’Angles-sur-l’Anglin. Cependant, ceci n’implique pas, comme elle a l’honnêteté
de la préciser page 126, que les sculptures puissent être attribuées de façon certaine
au Solutréen, même si plus loin l’étude technostylistique lui fournira de sérieux arguments
en faveur de cette hypothèse. En effet, comme l’a montré le cas spectaculaire de la grotte
Chauvet (Ardèche), l’absence d’une industrie ne signifie pas pour autant l’absence d’une
culture et la frise pourrait tout aussi bien appartenir à la culture gravettienne.
L’art mobilier est traité de manière exhaustive, avec de nombreux relevés inédits. Enfin,
l’étude minutieuse des sculptures, avec des relevés précis et clairs, révèle son lot de
surprises et de toilettage des vieilles et traditionnelles interprétations qui encombrent la
littérature. Une ligne de points dessinés est sortie de l’oubli. Le fameux « Bison retaillé en
Sanglier ») n’en est pas un : il s’agit bien d’un composite Bison–Sanglier, c’est-à-dire d’une
créature hybride, de même que l’Ovibos est en fait un composite Ovibos–Bison. Ce qui
permettra à Sophie Tymula d’insister, en conclusion, sur cette influence latente du thème
Bison sur le reste de la frise, qui semble plutôt de prime abord composée à la gloire de la
« dyade » Cheval–Bouquetin. Une harde justement, représentée à l’époque du rut, avec
étagne et chevreau et grands mâles qui s’affrontent, voilà peut-être la scène de genre que
Sophie Tymula propose de lire dans un grand ensemble, et elle nous en convainc sans peine
grâce à sa parfaite connaissance de l’éthologie et de l’anatomie de ces animaux. Anatomie
qui était aussi très bien assimilée par les auteurs de sculptures qui, nous dit Sophie Tymula,
ont fait preuve d’un « naturalisme exacerbé » en insistant parfois lourdement sur la
puissance musculaire de leurs sujets.
L’art solutréen du Roc de Sers est donc un art viril, mais aussi novateur. Pour Sophie
Tymula, c’est sur ce site, ou à tout le moins à cette époque, que la sculpture paléolithique,
auparavant restreinte et peu caractéristique, accède à la maturité et à son plein développement
grâce à ses audaces formelles et son traitement des ombres et des surfaces, maîtrise
technique qui s’épanouira ensuite au Magdalénien avec les sites du Roc aux Sorciers
312 Analyse de livres / L’anthropologie 107 (2003) 309–313
(Vienne), de la Chaire à Calvin (Charente) et du Cap Blanc (Dordogne). Ce qui fournit au
Solutréen une postérité qui ne se retrouvera pas forcément dans l’industrie lithique, par
exemple. Un indice supplémentaire du non chevauchement des chronologies relatives des
préhistoriens.
Romain Pigeaud
Jean-Pierre Duhard, Brigitte et Gilles Delluc, 2014, Représentation de l’intimité féminine dans l’art paléolithique en France, Liège, ERAUL, n° 136, 192 p., X €
Les hommes préhistoriques connaissaient-ils l’anatomie ? Mieux que les préhistoriens en tout cas ! C’est en tout cas ce qui ressort de cette étude très complète, menée par trois spécialistes de l’art paléolithique, dont deux sont également médecins. Dans un style pince-sans-rire et délicieusement impertinent, Jean-Pierre Duhard, Brigitte et Gilles Delluc revisitent la représentation des vulves dans l’art paléolithique en France. Ils en ont retenu 241, sélectionnées « d’après des critères diagnostiques anatomiques » ; parmi elles, 83 pariétales, 37 sur bloc, 121 sur objets mobiles (dont 75 gravées sur dents !). La représentation vulvaire est langage, affirment-ils, et il faut apprendre sa grammaire. Définie comme « l’ensemble des organes génitaux externes féminins », la vulve a subi bien des avatars dans les publications, décrite souvent de manière abusive ou n’importe comment, avec pudeur ou condescendance, alors qu’il s’agit d’un motif essentiel pour comprendre la psyché de l’artiste préhistorique. Jean-Pierre Duhard, Brigitte et Gilles Delluc nous apprennent à la reconnaître et à l’identifier, à deviner, lorsqu’elle semble un peu réaliste, ce qu’elle révèle du corps féminin qu’elle résume : Mère dans la période aurignacienne, Femme chez les Magdaléniens. Le souci de « réalisme physiologique » est poussé très loin, peut-être un peu trop, mais c’est peut-être nécessaire dans l’argumentation. Car la vulve, rendue invisible depuis que l’Humanité se tient debout, est le grand mystère. 49,5 % d’entre elles ont des dimensions exagérées, 35 % sont de dimensions réduites, peu (même pas 20 %) sont grandeur nature. « L’intellectuel graphique » qu’était l’artiste préhistorique (homme ou femme) a voulu symboliser l’organe géniteur dans ses histoires et ses mythes. Perdue dans le dédale des couloirs et des galeries, d’accès difficile, la vulve est la marque des jeunes individus, peut-être des jeunes hommes, troublés par « l’orage hormonal de l’adolescence ». Ou bien, des femmes ont-elles voulu figer dans la pierre les changements que leur corps subissait malgré elles ? Ce livre ne résout pas l’énigme, mais pose les bonnes questions. A vous de juger.
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Romain Pigeaud
Hervé Chassain, Denis Tauxe, 2017, La grande histoire de Lascaux, de la Préhistoire au XXIe siècle, Bordeaux, éditions Sud Ouest, 142 p.
Denis Tauxe est l’un des meilleurs connaisseurs de Lascaux. Élève de Denis Vialou, il a poursuivi l’étude des « constructions symboliques » de la célèbre grotte périgourdine. En particulier, il a analysé de multiples schémas d’associations entre les animaux et les signes abstraits, proposant une théorie de leur organisation sur les parois et dans les différents secteurs topographiques. Pour ce livre, destiné au grand public qui parcourt les allées de Lascaux IV, il s’est associé au journaliste Hervé Chassain, pour nous offrir un panorama complet. Tous les sujets y sont abordés : l’historique de la découverte, les problèmes de conservation qui ont aboutit à la fermeture de l’original, les différents fac-similés dont le dernier, étourdissant ! Et bien sûr la présentation des différentes peintures et gravures, ainsi que les derniers acquis de la recherche. Les principaux chercheurs ont leur portrait agrafé au coin des pages. Qu’on se rassure cependant : nul besoin d’être un connaisseur de l’art préhistorique pour se plonger dans la lecture de ce beau livre richement illustré. Les auteurs sont sortis de Lascaux pour nous brosser rapidement un état des lieux de la Préhistoire. Les hommes de Cro Magnon, leur origine, leurs conditions de vie, le climat dans lequel ils vivaient, les animaux qu’ils chassaient, tout y est ! C’est donc actuellement le meilleur livre sur Lascaux. Celui qu’il faut avoir dans sa bibliothèque.
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Romain Pigeaud
Robert Bégouën et al., 2014, La caverne des Trois-Frères. Anthologie d’un exceptionnel sanctuaire préhistorique. Montesquieu-Avantès / Paris, coéd. Association Louis Bégouën / Somogy, 250 p.
Enfin ! La nouvelle publication tant attendue est arrivée ! Et le lecteur ne sera pas déçu. Comme avec le volume précédent, sur le Tuc d’Audoubert, il n’a pas seulement entre les mains un livre de plus sur l’art préhistorique, mais un véritable programme de recherches, un ouvrage collectif très exigeant en qualité, modèle à suivre et réservoir d’idées neuves dans lequel chercheurs confirmés et étudiants piocheront avec délice. Pour autant, il ne s’agit pas d’une monographie. Celle-ci est impossible pour le moment, tant la grotte est gigantesque et de lecture difficile. Les auteurs ont donc sagement décidé de faire la synthèse des travaux d’Henri Breuil, publiés en 1953 et commentés par Denis Vialou en 1986, puis de mettre l’accent sur les recherches qui ont suivi. Grâce aux progrès de l’imagerie informatique, nous pouvons repositionner les relevés dans le volume et le relief de la cavité, données qui manquaient dans les publications précédentes. Des topographies précises autorisent une promenade comme si l’on y était. Surtout, c’est l’archéologie de la grotte qui retient l’attention des auteurs. Les Trois Frères ne sont pas une galerie d’art. Il s’y est passé des choses. Les assemblages de pierres, les dépôts d’objets sur le sol ou dans les anfractuosités, les mises en scène du décor : tout ceci participe de rituels ou de comportements symboliques dont il nous manquera à jamais la clé, mais qui nous fascinera toujours, si l’on se rappelle que ces hommes préhistoriques se sont glissés dans une cavité profonde, sans équipement spéléologique, avec une motivation de marbre et un culot d’acier. Le morceau de bravoure du livre est le chapitre consacré à la Salle du Foyer, mini grotte ornée dans la grotte ornée. Les données de la fouille, très riche, indiquent un espace particulier, par ailleurs aménagé, avec une structure en pierre installée dans un coin. Le décor des parois polies par les ours, gravées de dessins extrêmement fins, si fins que le moulage s’est avéré nécessaire est là également pour en témoigner : sur un peu plus de 5 mètres, et sur une hauteur d’1,30 mètres environ, 56 unités graphiques nous contemplent : 33 animaux (dont 14 chevaux, 13 bisons, 1 oiseau et 1 poisson), 1 humain ! Cet « art de la miniature » (page 219) est ici présenté pour la première fois, avec toute son habileté graphique, due, suivant les analyses, à un ou deux auteurs tout au plus, tant le style comme les signatures techniques semblent homogènes. Deux analyses finales complètent l’ouvrage : celle de la provenance des silex retrouvés dans la cavité, révélatrice de l’existence de « gîtes identitaires » (page 225) dans lesquels les hommes préhistoriques puisaient pour marquer leur territoire dans l’univers souterrain ; et une étude graphologique des gravures de la Salle du Foyer, qui confirme la présence d’au moins deux mains et révèle la présence de « tics » de gravure comme il y a des « tics » d’écriture. Comment conclure ? Nous conseillons aux auteurs de vite se remettre au travail et de nous livrer la monographie finale de la grotte d’Enlène, troisième des cavernes du Volp. Ainsi, nous aurons enfin une vue d’ensemble d’un triptyque majeur pour la recherche archéologique et l’histoire de l’Humanité. Nous sommes impatients, mais c’est leur faute, après tout ! Ils n’avaient qu’à pas nous mettre l’eau à la bouche !
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Romain Pigeaud
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Il y a environ 20 500 ans, le dernier maximum glaciaire s’achève. Jusqu’aux alentours de -13 000 ans, la grande plaine européenne connaît un climat instable, mais qui tend à se radoucir un peu. La flore et la faune changent. Les mammouths et rhinocéros laineux commencent à disparaître, mais les troupeaux de grands herbivores prospèrent. Durant ces millénaires, la dernière grande culture du paléolithique supérieur se développe : le magdalénien.
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