L'évolution réécrite chaque jour ?
« MON fossile va entraîner une réécriture de tout notre savoir !... » : relayé par les médias, le refrain est claironné par nombre de chercheurs. Chaque nouveau fossile bouleverse-t-il vraiment nos connaissances ? C'est sur cette question que se sont penchés le Dr James Tarver et son équipe de l'université de Bristol (Royaume-Uni).
Pour répondre à la question de l'impact réel de chaque nouveau fossile sur les acquis en paléontologie, les chercheurs du département des sciences de la Terre de Bristol l'ont reposée à leur manière.
Reformuler la question
Le sujet, disent-ils, ne peut être débattu qu'au cas par cas, pour chaque groupe zoologique étudié. Selon eux, si chaque nouveau bout d'os révolutionnait à ce point nos conceptions, cela témoignerait d'un manque d'échantillons, de lacunes dans les données qui rendraient alors prématurée l'élaboration d'une histoire évolutive pour le groupe en question. En d'autres termes, c'est la « maturité » de l'ensemble de données qui est mise en question : peut-on alors évaluer cette maturité ?
Le protocole d'évaluation
Pour ce faire, d'après eux, il faut examiner trois critères : le taux « d'exhaustivité » de la documentation fossile pour le groupe zoologique concerné ; la stabilité de son arbre phylogénétique (son arbre « généalogique ») au fur et à mesure des découvertes; enfin, l'impact potentiel des données recueillies sur les modèles jusqu'alors admis.
Nos experts se sont penchés sur deux grandes « familles » paléontologiques, toutes deux étudiées depuis 200 ans, fleurons de notre science de la systématique des vertébrés : celle des primates catarhiniens, où s'inscrivent les hominidés, et celle des dinosaures non aviens.
Côté primates : stabilité des données et publicité excessive
Concernant les catarhiniens, les nouvelles espèces fossiles découvertes se répartissent « équitablement » sur l'arbre évolutif, plutôt stable, et n'éclairent généralement pas d'un jour totalement neuf la documentation fossile, la diversification ni l'évolution du groupe. Il y a donc maturité de l'ensemble documentaire. La rareté des restes pré-humains et l'engouement du public incitent souvent à « dramatiser » l'annonce des découvertes : « Les fossiles humains sont très rares, difficiles à mettre au jour en raison du temps impliqué et de leur localisation souvent lointaine. Des scientifiques peuvent être poussés, par leurs commanditaires ou par des journalistes, à exagérer l'importance de leur nouvelle trouvaille et à clamer qu'elle change complètement notre compréhension », dit le Dr Tarver.
Côté dinosaures : des avancées réellement innovantes
Pour les dinosaures, nos enquêteurs notent la mise au jour, à des endroits inattendus (Chine, Amérique du Sud, Australie), de nouvelles espèces, qui se répartissent inégalement sur les phylogénies. D'où un réel enrichissement de la documentation fossile, un éclairage de nouveaux pans de la systématique et de la diversification de ces reptiles. Moins matures, le corpus de données - et donc les théories - peuvent effectivement être modifiés en profondeur.
Leur conclusion
Le degré de maturité de l'ensemble documentaire - quasi saturation pour certains groupes zoologiques, ou au contraire manque d'informations pour d'autres - devrait être plus souvent évalué : cela permettrait de cibler de fructueuses expéditions paléontologiques... et accessoirement d'éviter les effets d'annonce.
F. Belnet
Sources :
Sciences Daily
Bristol University
Proceedings of the Royal Society
A lire également, des découvertes récentes et très médiatiques de fossiles :
- Ida, Darwinius masillae
- Lluc, Anoiapithecus brevirostris
- Saadanius hijazensis
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