Les comptes rendus... de Romain Pigeaud
Les lectures préhistoire et archéologie de Romain Pigeaud
Dernières parutions
Jens Harder, 2018. Gilgamesh.
Arles, éditions Actes Sud / l ‘An 2, 146 p.
Jens Harder est un dessinateur extrêmement talentueux, qui s’aventure depuis quelques années dans l’archéologie. À sa manière, qui mêle dessins inédits et rappels à notre mémoire visuelle (objets archéologiques vus dans des musées, images piochées dans des manuels pour la jeunesse). Dans « alpha… directions » et « beta… civilisations », il évoquait l’évolution depuis la formation de la Terre et l’apparition de la vie, puis l’évolution de l’Homme. L’utilisation d’images religieuses, bien qu’il se prétende athée, avait cependant brouillé son message, qui semblait dangereusement pencher vers le créationnisme. Ce nouvel opus est moins ambigu. Il s’agit d’une adaptation du plus vieux texte littéraire de l’humanité : l’épopée de Gilgamesh. Jens Harder découpe le récit comme il nous est parvenu, sur des tablettes d’argile. Il s’arrange avec les lacunes et les redites, pour composer un récit crédible et puissant, à la graphie impeccable, s’inspirant de l’iconographie mésopotamienne. Ainsi qu’il l’explique en conclusion, il n’est pas tombé dans le piège des adaptateurs modernes qui croient intelligent d’adapter un texte ancien dans le « langage de tous les jours ». Comme si une épopée, faite pour être scandée et répétée de manière presque hypnotique, devait être lue et récitée comme une simple conversation ! Vous trouverez donc des répétitions, des formules alambiquées, des gestes stéréotypés, mais c’est la règle. Certaines cases se répètent ou se répondent, sautent d’une page à l’autre. L’œil est sans cesse sollicité, pour notre plus grand plaisir. Et certains détails célèbres (comme les perches utilisées par Gilgamesh pour faire avancer sa barque dans l’eau mortelle, ou le combat contre Humbaba) nous sont ainsi visuellement restitués, avec des audaces de mise en page qui rappellent les décorations ou bas reliefs d’Ur et de Babylone. On attend avec impatience que Jens Harder s’attaque aux travaux d’Hercule, comme il l’a promis !
Marylène Patou-Mathis, Neanderthal de A à Z,
Paris, Allary Éditions, 624 p.
C’est une très bonne idée qu’a eue Marylène Patou-Mathis de choisir la forme du dictionnaire pour parler de notre cher cousin. Chacun pourra ainsi piocher dedans selon ses questionnements et ses centres d’intérêt, la recherche étant facilitée par l’index des entrées. Ceux qui se demandent si Néandertal pouvait parler pourront consulter les entrées « aires du langage, appareil phonatoire, capacités cognitives, cerveau, cerveau (évolution du), comparatisme ethnographique, culture, culture matérielle, gènes, paléocognition ». En ce qui me concerne, je me suis précipité sur les entrées « art pariétal, artisan, artiste, bijoux, Castillo, comportement symbolique, Cougnac, croyances, culture, gravure, ivoire de mammouth, musique, ocres, ornementation corporelle et vestimentaire, pierre-figure, pigments, rites, rituel », qui m’ont donné une bonne vision des données actuelles sur les capacités esthétiques de Néandertal ainsi que de l’opinion de Marylène Patou-Mathis sur ce sujet. Car elle n’est pas seulement ici une compilatrice ou une vulgarisatrice, mais une actrice. Très impliquée dans la « réhabilitation » de Néandertal, elle cherche ici une nouvelle manière de faire passer la parole scientifique, ne cachant pas les désaccords entre chercheurs, par exemple pour la « pierre-figure » de La Roche-Cotard II, qui « fait débat », ainsi qu’elle le résume dans une plaisante litote. Nous pouvons analyser ce qui pour elle est le plus important, en s’intéressant au volume des entrées : acculturation, Aurignacien, cannibalisme, capacités cognitives, chasse, disparition, division sexuelle du travail, feu, homme-singe, langage, mammouth laineux, représentations, sépulture, territoire, violence, sont celles qui comportent le plus de pages, car elles constituent les mots-clés de tous les débats qui continuent (et continueront encore longtemps) autour de Néandertal et de ses rapports avec Cro-Magnon. Il s’agit d’un dictionnaire destiné au grand public, non d’une encyclopédie scientifique (qui reste peut-être à faire en langue française). Marylène Patou-Mathis donne des pistes pour aller plus loin. Son objectif : montrer Néandertal dans tous ses aspects, sans rien cacher. Comme l’écrit Denis Diderot : « dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir ». Attention en effet à ne pas tomber dans l’excès inverse. Comme le précise Marylène Patou-Mathis dans l’entrée « réhabilitation », « il ne faudrait pas remplacer le mythe de l’Homme-singe par celui du héros à suivre. Le danger guette, car certains veulent en faire un symbole identitaire (Neandertal l’Européen) ou un martyr face à des Hommes modernes hégémoniques et destructeurs qui plus est venus du Proche-Orient. Certains parlent même de « grand remplacement », assimilant les Européens actuels aux Néandertaliens et les premiers Hommes modernes aux migrants ». Souhaitons à ce livre une belle postérité et que ses pages s’abîment et se cornent, consultées et reconsultées par des mains curieuses.
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Yves Coppens, 2018, Origines de l’homme, origines d’un homme. Mémoires. Paris, Odile Jacob.
Au soir de la pensée, dirait Clemenceau, le professeur Yves Coppens se raconte. Mais à sa manière. « Ariel », « Coco le Fossile » ou « le Père la brique », trois de ses surnoms, ne pourra décidément jamais rien faire comme tout le monde. Vous vouliez des mémoires ? Vous en aurez trois ! La Bretagne l’Afrique et Paris, trois de ses terrains de chasse. Pour chacun, une préface, une conclusion et quelques portraits. À la manière d’un aristocrate du Grand Siècle, Yves Coppens nous fait la conversation. Sa vie, faite de rencontres et d’occasions saisies au bon moment, paraît si simple ! On oublierait presque tout le travail qu’il y a derrière, sur lequel l’auteur de Le Singe, l’Afrique et l’Homme, déclencheur de tant de vocations, a l ‘élégance de ne pas insister. Car si tous ces mages (on n’ose écrire des fées) se sont penchés sur sa carrière et l’ont propulsé (parmi tant d’autres : Pierre-Roland Giot, Jean Piveteau, Camille Arambourg…), c’est parce qu’ils ont vu dans cet homme une éblouissante capacité de travail et un savoir parfaitement maîtrisé. Ce n’est pas à tout le monde qu’on demanderait de venir d’urgence disséquer un éléphant le week-end de Pâques ! On s’amuse à suivre le jeune descendant des Vénètes, meurtri par la défaite de son peuple devant Jules César (le Namnète que je suis le comprend très bien !) passer de la collecte d’antiquités à l’étude des mégalithes puis aux mammouths, enfin à l’Homme fossile. Jeune loup débonnaire, indépendant et moqueur, il s’est mué en explorateur puis spécialiste internationalement reconnu, pour finir patriarche bienveillant, protecteur d’une riche couvée de scientifiques qu’il a envoyés de par le monde. Certains l’ont mordu, d’autres l’ont oublié. La plupart lui conserveront à jamais toute leur reconnaissance. Coppens ne serait pas Coppens s’il n’en profitait pour nous instruire. On apprend ou réapprend plein de choses sur la culture du sel gaulois en Armorique, la recherche sur les cairns, menhirs et dolmens, l’extraction des mammouths congelés en Sibérie, les dernières hypothèses sur l’apparition de la lignée humaine et sa sortie d’Afrique, la fesse à l’envers de Vénus de Lespugue… Lucy est là, bien sûr, ainsi que le Tchadanthrope. Mais aussi Quentin, son fils unique, sa « plus belle découverte », occasion de très belles pages émouvantes et drôles. Et son filleul Frédéric Serre, trop tôt disparu. Il y a aussi ce qui fait la célébrité d’Yves Coppens, l’égal de Théodore Monod : une singulière empathie, aussi bien pour les enfants (qui lui ont attribué un Mickey d’or !) que pour tous les peuples de la planète. À chaque rencontre, la magie opère. « J’aime bien les gens », écrit Yves Coppens. Cela se sent lorsqu’on discute avec lui, cela se ressent lorsqu’on le lit. Avec lui, on se sent plus intelligent et plus instruit. Et on s’amuse. N’est-ce pas l’essentiel ?
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Romain Pigeaud
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