Paléopathologie
Découvrir les maladies de nos ancêtres
Lorque l'on découvre un cadavre ou des restes humains, on finit toujours par se poser la question "de quoi est-il mort ?". Au-delà de l'aspect macabre, les chercheurs vont tenter de prouver scientifiquement les causes de la mort d'un individu, les pathologies dont il souffrait... Cette enquête permettra également, dans de nombreux cas, de définir le mode de vie et le type d'alimentation du défunt.
"... le but de la paléopathologie n'est pas en soit de déterminer les causes du décès (c'est celui de la médecine légale), celles-ci sont exceptionnellement retrouvées, la majorité des squelettes sont exempts de toute anomalie, les individus étant bien morts de quelque chose, mais qui n'a pas laissé de traces sur les os ou les tissus momifiés. Les causes du décès les plus évidentes sont les traces de blessures sur les parties vitales (tête), toute autre atteinte des parties molles restera indécelable (sauf sur une momie)..." Docteur Michel Billard
Les origines de la Paléopathologie
La première description paléopathologique
En 1774, F. Esper, naturaliste, étudie les restes fossilisés d'un ours des cavernes. Il décrit particulièrement son fémur sur lequel il croit déceler une tumeur maligne. Ce n'est que plus tard que l'on découvrira qu'il s'agissait du cal d'une fracture consolidée... On peut considérer que c'est la première étude paléopathologique publiée.
La petite histoire du mot Paléopathologie
En 1913, Sir Armand Mark Ruffer utilise le mot Paléopathologie en lui assignant l'objectif d'être "la science des maladies dont on peut démontrer l'existence sur les restes humains et animaux des temps anciens".
En 1974 on découvre que le mot avait déjà été utilisé en 1892 par Robert Wilson Shuffeldt dans une revue de vulgarisation scientifique...
(ci-contre Sir Armand Mark Ruffer)
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Egyptologie
C'est par l'étude des momies égyptiennes que Sir Mark Armand Ruffer (1859-1917), médecin, commença ses premières études paléopathologiques.
Il découpa de fines lamelles de tissu momifié, ce qui lui permit de les étudier sous le microscope. Il découvrit ainsi des œufs de Schistosoma haematobium dans les reins de momies égyptiennes de la XXe dynastie. |
Définition
La paléopathologie, littéralement "l'étude des maladies anciennes", fait appel à plusieurs disciplines pour découvrir les pathologies ou les traumatismes subis par un individu:
- l'anthropologie, par l'observation des restes fossiles, permet de déterminer les pathologies qui laissent une trace sur le squelette ou sur les parties molles du corps humain (que l'on retrouvent plus rarement).
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la biologie et la chimie, qui donnent accès à des informations génétiques ou chimiques, mais obligent le plus souvent à effectuer des prélèvements et donc à détruire une partie de l'objet étudié (ossement...).
Les méthodes utilisées en Paléopathologie
Le plus souvent le paléopathologiste travaille sur des restes osseux et dentaires, ce sont en effet les seules parties qui résistent au temps. Les éléments mous (peau, muscles, organes) ne sont retrouvés que dans des cas extrêmement rares comme la momification naturelle ou artificielle du sujet (voir Otzi).
Morphoscopie macroscopique
Premier pas du paléopathologiste, l'étude visuelle des ossements. Chaque pièce va être examinée afin de déterminer:
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la forme générale et les éventuelles anomalies qu'elle présente
- la surface et la texture de l'objet
- le rapport et les connexions avec les autres pièces.
Cette première étude peut donner de nombreuses indications sur la taille du sujet, son sexe...
A lire également la découverte en 2007 des traces de lésions sur les restes fossilisés d'un Homo erectus de - 500 000 ans.
(Voir ci-contre des traces de destruction de la masse osseuse dues à la tuberculose)
Ostéométrie
La pièce toujours en main, le chercheur va effectuer des mesures des ossements en détaillant la pièce elle-même, mais aussi ses dimensions par rapport aux autres éléments trouvés :
- des mesures linéaires et bilatérales
- des mesures angulaires.
Endoscopie
Inaccessible à la simple vue, les cavités nécessitent l'emploi d'outils pour "visiter" et étudier l'intérieur de certaines pièces comme l'endocrâne ou les fosses nasales. Le chercheur peut utiliser une loupe binoculaire ou une micro caméra.
Dans le cas de corps mous exceptionnellement conservés (les momies par exemple), l'endoscopie permet également de s'introduire dans les tissus.
Radiographie
Le paléopathologiste va utiliser un appareil de radiologie afin de découvrir l'intérieur des ossements. Il pourra ainsi étudier la structure et la construction propre à la pièce étudiée. Par ailleurs il aura la possibilité de comparer l'os présentant une pathologie avec un os sain. (Voir ci-contre la xerographie du crâne de Ramsès II par les Docteurs Massare et Bard).
Analyses Biochimiques
Après prélèvement d'une petite partie des restes, le paléopathologiste peut s'intéresser à la composition des pièces.
Cette analyse peut permettre de déceler des traces de constituants en quantité anormale, comme l'arsenic ou le plomb (dans certains cas c'est la preuve d'un empoisonnement volontaire ou accidentel).
En mesurant le pourcentage de certains constituants comme le strontium, le zinc, le calcium ou le baryum on peut déduire le type d'alimentation de l'individu. Cette paléonutrition est également établie grâce à la mesure de certains isotopes du carbone et de l'azote.
Sous le microscope , le paléopathologiste peut trouver des micro-organismes comme des bactéries, des structures virales, des éléments sanguins ainsi que des oeufs ou des kystes de parasites. Ces éléments peuvent renseigner sur le mode de vie de l'individu.
Génétique
L'étude de l'ADN ancien (ou des traces d'ADN) donne la possibilité de déterminer le sexe biologique d'un individu mais également la présence de maladies génétiques.
Ce type d'étude génétique va aider le paléopathologiste à déceler la présence de traces d'ADN microbien. A ce jour, on a pu identifier ceux de la tuberculose, de la peste ainsi que celui de tréponématoses...
De manière plus générale, les informations contenues dans l'ADN permettent d'étudier les relations entre diverses espèces (comme Homo sapiens et Homo neandertalensis) ou d'enquêter sur les grandes migrations humaines.
(Voir ci-contre le bacille de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis), le responsable de la maladie de la tuberculose. © Gounon, P. / Institut Pasteur Service Photo)
Densitométrie
Pour mesurer la densité minérale d'une partie osseuse, on mesure l'absoption par l'os d'un rayonnement. Cette technique (qui utilise 50 fois moins de rayonnement qu'une radiologie ordinaire) permet de déduire la densité minérale des ossements. Cette technique n'est que rarement utilisée car la variation de la contamination en carbonates des os dans le sol contribue malheureusement à perturber cet examen et rend difficile les comparaisons entre individus.
Les maladies de la Préhistoire
Paléopathologie du Paléolithique au Mésolithique
Les rares restes fossiles datés du paléolithique (avant 12 000 ans) sont uniquement constitués d'ossements. Les maladies ou traumatismes que l'on peut trouver ne concernent que le squelette.
Les études paléopathologiques montrent que les hominidés de cette époque de la préhistoire présentaient moins de maladies et de traumatismes que dans les périodes suivantes.
Contrairement à ce que l'on peut imaginer, nos ancêtres du paléolithique n'étaient pas plus violents et guerriers que l'homme moderne. Les traumatismes relevés, extrêmement rares, sont plutôt d'origine accidentelle.
Par ailleurs, notre ancêtres du Paléolithique n'avaient pas une longue espérance de vie. Les maladies liées à la dégénérescence et au vieillisement étaient rarissimes.
L'alimentation non transformée (viande, végétaux bruts...) permettent au paléolithique d'éviter le cholestérol et surtout les caries dentaires, sources d'infections...
Paléopathologie du néolithique
Le Néolithique, plus récent, a fourni beaucoup plus de restes fossiles du fait d'une meilleure conservation. Les sépultures volontaires sont de plus en plus fréquentes, et les fossiles ont moins eu le temps de se détériorer.
Le changement de vie du Néolithique a eu de nombreuses conséquences sur les maladies et les traumatismes d'Homo sapiens (seule espèce survivante de la période).
Le développement de l'agriculture et la transformation des aliments vont engendrer une hausse de certaines affections. La dentition va être la première touchée : les caries et les traces d'usure prématurée vont apparaître sur les fossiles.
L'élevage et la domestication vont rapprocher les animaux des humains : certaines maladies infectieuses vont pouvoir se transmetre à l'homme beaucoup plus facilement. Ainsi, la tuberculose a du évoluer et se transmettre du bétail à l'homme 7000 ans avant J.C.. De la même manière, la variole est passée il y a 4000 ans du chameau à l'homme...
La sédentarisation et le développement de communautés humaines de plus en plus nombreuses
permettent le développement d'épidémies comme le choléra ou la peste... En 2009, des chercheurs ont pu identifier sur un fossile en Inde, daté de - 4000 ans,les traces laissées par Mycobacterium leprae, autrement dit la lèpre.
L'organisation sociale, la notion de propriété, de territoire vont avoir des conséquences sur les rapports humains, de plus en plus violents... C'est à partir du Néolithique que l'on voit de plus en plus de traces d'agressions sur le corps humain : traumatismes crâniens, pointes de flèches fichées dans le squelette...
Pour Michel Billard (Docteur en médecine) " ...seules les affections modifiant le tissus osseux peuvent être observées, et dans le cas des infections, la plupart du temps les lésions ne sont pas spécifiques; seules certaines d'entre elles ont des aspects parfois caractéristiques: tuberculose, lèpre, tréponématoses (dont fait partie la syphilis)..."
Quelques sujets fossiles exceptionnels par leur conservation
Otzi |
L'homme de Tollund |
Ramsès II |
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Otzi, la célèbre momie découverte en 1991 a été étudiée par de nombreux spécialistes. Son dernier repas, ses tatouages, son mode de vie, sa région d'origine... tout cela avait été répertorié. Mais c'est seulement en 2007 que l'on a pu déterminer avec exactitude les circonstances de sa mort.
La flèche trouvée dans son épaule avait provoqué une importante hémorragie.
La mort d'Otzi |
Découvert le 8 mai 1950 au Danemark l'Homme de Tollund vivait en - 350 avant J-C. Les parties molles de son corps sont parfaitement conservées grâce à l'action de l'acide humique contenu dans les tourbières de la région. Le contenu de son estomac a permis d'étudier son alimentation.
Les raisons de sa mort ont été assez simples à trouver : il portait encore autour du cou la corde qui a servi à l'étrangler... Pendaison ou sacrifice rituel ?
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En 1975, la momie dégradée de Ramsès II a été transportée à Paris afin d'être examinée et traitée.
L'étude palépathologique du souverain a permis de déterminer l'âge de sa mort (80 ans) mais également son état de santé. Ramsès II souffrait de troubles vasculaires, articulaires et sa dentition présentait des lésions infectieuses. Ses dernières années furent certainement très douloureuses car ces affections ne pouvaient être traitées... |
Hominides.com remercie pour leurs précieuses collaborations :
Michel Billard, Docteur en médecine, chargé de cours d'anthropologie et paléopathologie à l'université Lyon 1
Philippe Charlier, Médecin légiste, anatomo-pathologiste et paléopathologiste.
C.R.
Pour aller plus loin
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