Occupations multiples et diverses dans la grotte de Denisova
Depuis 200 000 ans, la grotte de Denisova a abrité plusieurs espèces d'hominidés, et les dernières datations éclairent l'évolution des hominidés en Eurasie.
La grotte de Denisova
La grotte de Denisova se situe dans le massif de l'Altaï, au sud de la Sibérie. Depuis 40 ans, les fouilles ont donné accès aux niveaux archéologiques anciens du Paléolithique moyen (environ 340 000 à 45 000 ans) au Paléolithique supérieur (qui permet de découvrir des outils en pierre et parfois des ornements, et qui correspondent sur ce site à une période comprise entre 45 000 à 40 000 ans). Les fouilles ont fourni de nombreuses informations essentielles sur l’évolution des hominidés proches de notre propre espèce, Homo sapiens. Les chercheurs publient les résultats de leur étude dans la revue Nature. Avec l’utilisation des dernières techniques de datation, les chercheurs Katerina Douka, Viviane Sion (Max Planck Institute) et Zenobia Jacobs (Centre des sciences archéologiques, Wollongong) doivent réviser la chronologie des artéfacts associés aux hominidés dans la grotte.
A gauche, la molaires de Denisova 2, probablement l'un des plus anciens représentants de l'espèce, il y a 195 000 ans.
Des fouilles permanentes depuis 40 ans
Les fouilles précédentes avaient mis au jour des ornements en os, comme des pendentifs ou des objets taillés dans l’ivoire de mammouth. Mais la notoriété de la grotte de Denisova a fait un bond en 2010 lorsque l'analyse ADN d'un minuscule fragment d’os situé dans une couche du Paléolithique moyen indiquait la présence d’un hominidé totalement inconnu. Là où les chercheurs pensaient à un reste néandertalien ils sont tombés sur une nouvelle espèce d’humanité… qui a été baptisée Dénisoviens, en se basant sur le nom de la grotte.
Si les analyses génétiques sur le site ont révélé la présence de Néandertaliens et de Dénisoviens au Paléolithique moyen, il n'y a aucune trace de présence d’Homo sapiens sur la même période. Les méthodes de datation radiocarbone n’étant pas utilisables pour les datations de plus de 50 000 ans, les chercheurs ont mis en œuvre d’autres techniques, comme la thermoluminescence et la LSO (Luminescence Stimulée Optiquement).
Préciser la datation permet de savoir si les différents occupants de la cavité se sont succédé et/ou parfois chevauchés. L’étude des artéfacts, des ossements humains, avec des méthodes différentes et complémentaires permet d’essayer d’éviter des écueils dûs aux modifications « naturelles » des couches sédimentaires, comme le fouissage par un animal, les mouvements du sol, le ruissellement, les alternances de gel et de dégel…
Les chercheurs essayent également d’intégrer les déplacements volontaires d’objets par un être humain.
Reconstruction de l’environnement et nouvelles datations
L’étude des aréefacts (outils, ornements) et des ossements a permis d’établir plus de 103 mesures de datation dans les dépôts de sédiments couvrant ainsi une période de -300 000 à -20 000 ans, ce qui correspond aux épisodes glaciaires et interglaciaires du stade 9 (MIS 9) au stade 2 (MIS 2). La chronologie ainsi déterminée a permis de pointer quelques perturbations dans la stratigraphie mais sans que les couches du Paléolithique moyen et du Paléolithique supérieur ne soient impactées.
Les auteurs ont analysé les restes de 27 espèces de grands vertébrés, de 100 espèces de petits vertébrés (mammifères, poissons…) et de 72 espèces de plantes pour reconstituer l'environnement à Denisova. Selon les périodes, l'environnement a varié d'une forêt à feuilles larges (périodes les plus chaudes) à une végétation de type toundra-steppe (périodes les plus froides).
A une exception près, ces résultats sont identiques avec ceux des reconstitutions du climat du lac Baïkal effectuées à la même période et situées à 1 600 kilomètres à l’est : il y a 150 000 ans, le climat est chaud et humide à Denisova alors qu’il est froid et sec autour du lac Baikal. Comme le soulignent Jacobs et ses collègues, cette divergence peut être due au fait que les dates obtenues à l'aide de techniques de datation optique comportent de grandes marges d'incertitude et que les conditions climatiques pourraient avoir été instables.
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Molaire Denisova 2 sous différents angles. Le plus anciens des Dénisoviens... 195 000 ans |
Datations et présence des hominidés sur le site
Douka et ses collègues se sont concentrés sur la datation des fossiles d’hominidés et du matériel du Paléolithique initial. Avec une nouvelle technologie appelée ZooMS (Zooarchéologie par spectrométrie de masse) les chercheurs peuvent identifier une espèce en analysant les restes de collagène dans un fragment d’os. Ils ont travaillé sur 4 527 fragments osseux qui ont permis d’identifier l’espèce dans 2 212 cas : Dénisovien, Néandertalien ou Homo sapiens. La datation (par comparaison des séquences d'ADN d'organites cellulaires appelées mitochondries) de ce matériel a généré une séquence relative des âges des restes fossiles retrouvés dans la grotte de Denisova. Les chercheurs ont pu ainsi déterminer que la plus ancienne trace de la présence des Denisoviens sur le site était estimée entre 122 700 et 194 400 ans (fossile Denisova 2). Concernant les Néandertaliens, l’occupation la plus ancienne datait entre –130 000 et – 90 000 ans (Denisova 5 et 15). Le fossile issu d’un métissage entre Néandertal et Denisova était quant à lui âgé entre 118 000 et 79 000 ans (Denisova 11).
Les chercheurs indiquent toutefois que la datation des ossements utilisée à Denisova est parfois en contradiction avec la datation des sédiments d’où les restes ont été extraits. En d’autres termes, l'âge modélisé de certains spécimens d'hominidés ne correspond pas toujours exactement à l'âge des sédiments dans lesquels les fossiles ont été trouvés. Si les âges estimés basés sur l'ADN de Denisova 5 et de Denisova 8 correspondent à la datation de leurs couches de sédiments associées, Denisova 3 et Denisova 4 sont plus anciens que prévu par rapport aux couches dans lesquelles ils ont été trouvés, et Denisova 2 et Denisova 11 sont plus jeunes que prévu par rapport aux couches dans lesquelles ils ont été trouvés. Ces divergences peuvent indiquer des incertitudes dans les estimations d’âge obtenues par génie génétique, ou que certains fossiles ont été déplacés de leur site de dépôt initial.
Toutefois, pour les chercheurs, la vision globale de la chronologie à Denisova est maintenant plus lisible. Les dépôts de sédiments à Denisova étaient intermittents, mais ils se sont réalisés du stade isotopique 9 au stade isotopique 2. Le site a été occupé par des Dénisoviens et des Néandertaliens durant les périodes froides et chaudes, sur une période comprise entre - 200 000 et -50 000 ans.
Source :
Nature
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