Accueil / Accueil – articles / Une ancienne carte en relief à Fontainebleau, vraiment ?
Une ancienne carte en relief à Fontainebleau, vraiment ?
Une ancienne carte en relief à Fontainebleau, vraiment ?
Une publication dans une revue anglaise tente de démontrer que les Hommes du Paléolithique avaient réalisé une carte en 3D de la région.
Le préhistorien Boris Valentin répond à nos questions
De l’art pariétal dans la forêt de Fontainebleau
Si vous vous êtes déjà promené dans la forêt de Fontainebleau vous avez marché dans le sable, au milieu des pins, et pris un bon bol d’air…. mais vous avez certainement aussi grimpé, escaladé et pris en photo des milliers de blocs de grès.
Vous êtes-vous douté que sous quelques blocs, des hommes ont gravé la roche il y a plusieurs milliers d’années.
Depuis 1860 les préhistoriens ont identifié des gravures symboliques abstraites de nombreuses époques, et notamment du Mésolithique, mais également des représentations dont la plus connue est constituée d’un sexe féminin et de deux chevaux (- 21 000 ans). Cet ensemble pubis+vulve, surnommé « l’origine du Monde » et taillé dans la roche, a été réétudié dans le cadre d’un programme de recherche coordonné par le préhistorien Boris Valentin professeur d’archéologie (Université Paris I Panthéon-Sorbonne).
Une carte 3D ?
En décembre 2024 les géologues Médard Thiry et Anthony Milnes publient un article dans la revue Oxford Journal of Archaeology. Les auteurs ont identifié, à proximité de l’Origine du Monde, une carte de la région reproduite dans la cavité avec les collines, les rivières, les vallées… Pour Médard Thiry il apparaît que cette carte 3D a été réalisée par l’Homme et gravée au même moment que l’Origine du Monde.
PALAEOLITHIC MAP ENGRAVED FOR STAGING WATER FLOWS IN A PARIS BASIN SHELTER https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ojoa.12316

Pour Hominides.com nous demandons au préhistorien Boris Valentin comment aborder le sujet… qui fait polémique.
Hominides.com : Scientifiquement parlant l’analyse proposée dans la revue anglophone est-elle recevable ?
Boris Valentin : Cette publication n’aurait jamais été acceptée dans une revue scientifique française et c’est ça qui est très embarrassant, sans compter le « buzz » autour d’un site fragile que nous tâchons de protéger.
Cet article n’aurait jamais été publié ici, car, pour commencer, la démonstration n’est absolument pas faite que ce sont des humains, et non des causes naturelles, qui sont à l’origine du réseau de fentes présenté par le géologue. Quant à interpréter ce réseau comme une carte, c’est une vue de l’esprit… Quand on regarde des rochers ou des nuages, nous pouvons imaginer bien des choses. Cela s’appelle la paréidolie.
C’est un retour 60 ans en arrière, avant Leroi-Gourhan et tous ceux qui, après lui, étudient l’art paléolithique méthodiquement, en le décrivant avec soin, en disciplinant leur imagination, en ne se prononçant que sur ce qu’on peut démontrer..
H : Y a-t-il des points positifs dans cet article qui semble respecter peu de principes scientifiques ?
BV : La science commence toujours par des intuitions, et l’auteur de cet article en a beaucoup. Certaines se sont révélées utiles par le passé à la recherche archéologique. C’est lui, en effet, qui a remarqué que, dans la même cavité, le pubis sculpté suintait en cas de grosses pluies et que cela résultait bien, dans ce cas, d’aménagements volontaires. Pour cela, nous avons conduit, avec lui et plusieurs autres archéologues, une étude approfondie des stigmates qu’ont laissés ces aménagements du pubis.
H : Pour le spécialiste que vous êtes, est-il possible que des hommes du Paléolithique aient pu réaliser une « vue aérienne » de la région ?
BV : L’hypothèse n’a rien d’absurde et l’auteur se réfère légitimement à de nombreux cas ethnographiques, par exemple à celui des Aborigènes du désert australien, chez lesquels l’art est essentiellement à visée cartographique.
Il cite aussi des cas archéologiques. Pour la dalle du tumulus de l’âge du Bronze à Saint-Bélec (Finistère), les archéologues ont bien démontré d’abord que les gravures et piquetages étaient d’origine humaine et ensuite, par des méthodes statistiques raffinées, que ces tracés coïncidaient avec l’environnement géographique proche.
A contrario, cette démonstration n’a pas été faite pour les quelques pseudo-cas paléolithiques auxquels se réfère le géologue Médard Thiry. Ces pseudo-cas, qui correspondent tout de même à de vrais tracés humains sur pierre ou sur os, sont des entrelacs, certes volontaires, mais pour lesquels on pourrait proposer toutes sortes d’autres hypothèses.
J’en arrive donc à la pseudo-carte en région de Fontainebleau. Premier grave problème : rien dans la publication ne prouve que les fentes ont été creusées par des humains. Et si on arrivait à le démontrer, second problème, aucune clef d’interprétation n’existe pour ce genre d’entrelacs. Le géologue propose des rapprochements visuels approximatifs avec la géographie locale. Mais ce pourrait être tout aussi bien la description des vaisseaux sanguins d’un animal dépecé par les chasseurs-cueilleurs, d’un filet pour la chasse, d’une végétation…. Que sais-je encore… L’imagination peut entraîner loin… L’art paléolithique regorge d’entrelacs énigmatiques, dans les grottes ornées aussi, et nous n’avons aucune méthode pour les décrypter, mieux vaut le reconnaître avec modestie.
H : Comment déterminer que ces gravures de sillons sont faites par un humain et non le résultat d’un écoulement de l’eau ou d’un autre type d’érosion ?
BV : Au minimum, il faut des photos plus détaillées que celle du géologue, du genre de celles qui illustrent l’autre étude sur le pubis, collective cette fois. Selon les standards de l’archéologie actuelle, il faudrait surtout comparer ces photos à d’autres illustrant des sillons tracés expérimentalement par un humain. Et aussi à des sillons dont on présume qu’ils sont naturels. L’article n’en montre qu’un seul, c’est très insuffisant, et rien d’expérimental
H : Médard Thiry laisse entendre que la « carte 3D » et la gravure sexe féminin sont contemporaines. Est-il possible de le prouver ?
BV : Admettons qu’on ait pu prouver que c’était une carte 3D…. Eh bien, puisqu’on ne peut pas dater directement des gravures avec des méthodes comme le Carbone 14, rien ne peut démontrer que la « carte » a été gravée à la même époque que la frise au pubis distante de 7 mètres environ. En archéologie, on a appris à ne pas confondre l’espace et le temps. Deux faits proches ne sont pas nécessairement contemporains.
D’ailleurs, les abris gravés de la région de Fontainebleau recèlent des gravures d’époques très diverses, depuis le Paléolithique jusqu’à nos jours, et plusieurs époques sont souvent superposées. On le reconnaît par des styles différents. Le pubis est bordé par un cheval dont le style évoque clairement Lascaux il y a 21 000 ans. Quant au réseau de fentes, même s’il était d’origine humaine, rien ne permettrait de le dater.

Boris Valentin
La page de Boris Valentin sur le site de l’UMR Temps
https://umrtemps.cnrs.fr/membre/valentin-boris/
A lire, une page de Boris Valentin et collaborateurs : « Rochers ornés d’Ile-de-France » (Grands sites archéologiques – Archéologie.culture.fr)
https://archeologie.culture.gouv.fr/fr/rochers-ornes-dile-de-france
L’art rupestre à « l’Origine du monde » sur radiofrance
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/carbone-14-le-magazine-de-l-archeologie/l-art-rupestre-a-l-origine-du-monde-9333627
Quelques ouvrages de Boris Valentin
VALENTIN B, 2024 De Courbet à Lascaux Une origine du monde préhistorique, DITS, Inst.national D’histoire De L’art
64 pages
GENESTE J.-M., VALENTIN B., 2018 : Si loin, si près. Pour en finir avec la préhistoire. Paris, Flammarion, 287 p.
VALENTIN B. 2018 (2ème édition) : Le Paléolithique. Paris, Presses Universitaires de France (Que-Sais-Je ? n°3924), 128 p.
GENESTE J.-M., GROSOS P., VALENTIN B (dir.), 2023 : La préhistoire : nouvelles frontières, Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 468 p.

Crédits : Emilie Lesvignes





Repenser l’histoire depuis l’art paléolithique




Acheter sur RAkuten

Art rupestre d’Afrique australe
Renaud Ego

