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Un rhinocéros peint dans la grotte de Villars
par Brigitte et Gilles DELLUC
Deux missions récentes ont permis de mieux connaître les figures et signes de la grotte de Villars (Dordogne), sensiblement contemporaine de Lascaux. La découverte d’une figure de rhinocéros, non loin de la scène homme-bison, permet encore plus de rapprocher les deux grottes.
L’étude
Deux missions récentes ont permis de mieux connaître les figures et signes de la grotte de Villars (Dordogne), sensiblement contemporaine de Lascaux. La découverte d’une figure de rhinocéros, non loin de la scène homme-bison, permet encore plus de rapprocher les deux grottes. Une opération de relevés d’art rupestre, intitulée « Micro-analyses et datations de l’art pariétal de la grotte de Villars dans son contexte archéologique », est en cours 1. Durant les missions 2009 et 2010, elle a permis aux auteurs de la présente note de reprendre les relevés des figures et des signes de la grotte, publiés par eux il y a presque quarante ans, avec des moyens modernes (éclairage par LED, photographie numérique et traitement d’images, microscopie à grossissement 30), en tenant compte des résultats de la fluorescence X 2. En même temps, des datations C14 (entre 18 470 et 18 790 + ou – 130 BP) 3, exécutées sur les objets d’os recueillis par le Spéléoclub de Périgueux lors des premières explorations, confirment les attributions stylistiques 4.
Pour le moment, les résultats peuvent être présentés sous trois rubriques :
1 – Analyses des ponctuations noires du Carrefour, des salles des Cierges et des Peintures
Quelques ponctuations ne sont plus visibles et devaient donc être non paléolithiques (fumée de lampes à carbure, guano). En revanche, on note deux nappes de points noirs non signalées jusqu’ici (Carrefour et salle du Chaos), quelques autres ponctuations noires et, même, à l’extrême fond de la salle des Peintures, de petites traces rouge vif. Tout près, a été découvert, dans l’éboulis terminal, un petit grattoir sur bout de lame en silex gris qui peut être considéré comme un ex-voto, classique dans les grottes ornées 5. Ainsi, en Dordogne, à Lascaux, Bernifal et le Pigeonnier.
2 – Le Recoin du Balcon
C’est la première partie d’une diaclase étroite très concrétionnée qui longe la galerie principale, jusqu’à la rejoindre au niveau du Balcon. Remarquée par B. et G. Delluc et C. Versaveau le 19 mai 1984, après la publication de la monographie, elle a été présentée à D. Vialou le 8 juin suivant, et reconnue à nouveau par D. Genty en 2009. Elle a été fréquentée par les Paléolithiques : ponctuations noires (charbon), nombreuses traces brunâtres de frottement et concrétions cassées.
3 – Une nouvelle figure
Enfin, a été effectué un nouvel examen des traces de dessins dans la diaclase située au fond de la salle des Peintures, en face et à une dizaine de mètres du panneau portant la scène homme-bison. Ce tracé, d’aspect bleuté compte tenu de la calcite qui le recouvre, avait été considéré comme indéchiffrable, même sur les clichés infra-rouges 6 (fi g. 1). Il s’agit en fait de l’avant-train d’un rhinocéros tourné vers la gauche (fig. 2a et 2b).
Ce diagnostic spécifique s’appuie sur cinq arguments anatomiques :
1 – la saillie accentuée du garrot (saillie des apophyses épineuses dorsales) ;
2 – la longueur de l’encolure oblique en bas et en avant ;
3 – le port bas de la tête ;
4 – le chanfrein très concave vers le haut et l’avant ;
5 – la ganache très convexe vers le bas et l’arrière. Les cornes, nasale et frontale, sont à leur emplacement normal mais sont confuses. Un court trait marque peut-être l’oreille.
Le trait du dos est bien visible et paraît même épaissi par du pigment (comme à Lascaux, aux Trois-Frères et à la grotte Chauvet). Les membres antérieurs sont déjetés en avant, comme il est classique dans l’art du temps de Lascaux. L’abdomen et l’arrière-train sont totalement occultés par les concrétions et sont reconstitués ici 7 (fi g. 3).
Le rhinocéros, habituellement rhinocéros laineux (Rhinoceros tichorhinus de Cuvier ou Coelodonta antiquitatis de Blumenbach), compagnon fréquent du mammouth, tient une place particulière dans l’art pariétal :
1 – Il est rare et, comme ici, habituellement réduit à un unique exemplaire et dans quelques grottes seulement. Ainsi aux Bernous, à Lascaux, La Mouthe, Font-de-Gaume, Combarelles I et II, aux Trois-Frères et à Los Casares, sans compter les rochers de Siega Verde 8 ;
2 – Dans trois cas, il est, au contraire, très abondant : 8 exemplaires à Margot (selon R. Pigeaud), 11 à Rouffignac et 65 à Chauvet.
3 – Surtout, Lascaux et Villars, ornées à la même époque, sont les deux seules grottes connues recelant une scène narrative homme-bison (fi g. 4a et 4b). À Lascaux, au fond du Puits, s’ajoute un rhinocéros, au contact même de la scène ; à Villars, il prend place au fond même du secteur orné, à une dizaine de mètres de la scène et sans fi gure ni signes intermédiaires.
La nouvelle figure de Villars vient donc compléter, dans le fond de cette grotte, la scène homme-bison. En outre, à Villars comme à Lascaux, la scène est complétée par un cheval. Ce quatuor homme-bison-rhinocéros-cheval correspondait sans doute à une histoire mythique dont le sens nous échappera toujours.
B. et G. D. 9
* Les documents iconographiques présentés dans cette rubrique sont archivés à la SHAP.
1 . Projet ANR-07-BLAN-0011. Muséum national d’Histoire naturelle. Département de Préhistoire. UMR 7194 (Histoire naturelle de l’Homme préhistorique) et USM 103 (Préhistoire et Paléoanthropologie).
2 . Obtenus en 2009 par L. Beck, F. Tereygol et D. Genty sur une dizaine de tracés.
3. H. Valladas (GifA 10053, 10117 et 10118). Des datations sur charbons de paroi sont en cours.
4. DELLUC, 1974. Les objets sont désormais exposés sur place.
5. DELLUC, 2010.
6. DELLUC, 1974, fi g. 57, p. 54.
7. On connaît la toison des rhinocéros laineux grâce aux exemplaires retrouvés congelés en Sibérie.
8. Il est rare aussi dans l’art mobilier : gravé sur pierre à La Ferrassie, aux Rebières et à Corbiac (Dordogne), à Gourdan (Haute-Garonne) et à La Colombière (Ain) ; modelé en argile à Dolni Vestonice (Tchéquie). Ses vestiges osseux ou dentaires sont quasi absents dans les gisements de nos régions.
Références bibliographiques
DELLUC (B. et G.), « La grotte ornée de Villars (Dordogne) », Gallia-Préhistoire, 17,
n° 1, 1974, p. 1-67, 63 fi g.
DELLUC (B. et G.), « Note sur une lame de silex ex-voto découverte dans la grotte de
Villars », BSHAP, t. CXXXVII, 2010, p. 132-133, ill.