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Un Homo sapiens précoce identifié en Grèce et vieux de 210 000 ans
Ancien fossile, nouvelle étude, nouvelle datation et finalement nouvelle attribution ! Apidima 1 serait, de fait, le plus ancien Homo sapiens découvert en dehors de l’Afrique
Un petit point préalable sur l’évolution de notre espèce, Homo sapiens. Au vu des dernières publications et études il apparaît que les premiers Homo sapiens, datés de -300 000 ans, ont été identifiés au Djebel Irhoud il y a 2 ans, au Maroc. En dehors d’Afrique, les plus anciens restes d’Homo sapiens sont signalés en Israël et datent, au plus, de 194 000 ans. Selon les fossiles mis au jour il était admis jusqu’à présent que les premières vagues d’Homo sapiens à s’aventurer en Europe étaient datées entre -70 000 et – 60 000 ans. On peut également évoquer avec beaucoup de prudence les restes fossiles chinois de Dali qui sont plus polémiques et datés de 260 000 ans.
Photo : Adipima 1 Katerina Harvati, Université Eberhard Karls de Tübingen
Les découvertes d’Apidima 1 et 2
A la fin des années 70, des fragments de crâne ont été découverts encastrés dans les parois de la grotte Apidima, située à proximité de la ville d’Aréopoli (Péloponnèse). Les restes osseux ont probablement été emportés par une traînée de boue dans une fissure. Mélangés avec les sédiments, ils se sont retrouvés enchassés dans une résurgence profonde dans une grotte. Ce contexte géologique très particulier des fossiles rendait l’étude très compliquée. Il fallait les extirper de leur gangue de pierre en essayant de les conserver intégralement. Ils sont donc restés encastrés jusqu’au début des années 2000. Le morcellement des ossements ne facilitait pas non plus l’identification de l’espèce.
Le crâne le plus complet, Apidima 2, était également fortement déformé par la compression qu’il avait subie dans sa gangue rocheuse pendant des dizaines de milliers d’années. Toutefois, les chercheurs avaient assez d’éléments pour attribuer les restes osseux à un membre de la lignée néandertalienne.
Trouvé à trente centimètres du précèdent fossile, Apidima 1 est un simple morceau de la partie postérieure du crâne d’un autre individu. A l’époque, les chercheurs avaient conclu qu’il s’agissait de la même espèce ensevelie à la même époque, Néandertal. Il faut bien imaginer que trouver deux crânes ensemble à quelques centimètres de distance est une coïncidence exceptionnelle et il est difficile de supposer qu’ils ne sont pas de la même espèce ! Les deux spécimens étaient datés de -170 000 ans.
Pour Rainer Grün (Université Griffith, en Australie) . «Dans toute la Grèce, à la même période, un seul autre crâne a été mis au jour. C’est donc une merveille de la nature que vous en trouviez les deux ensemble. «
Une nouvelle étude
A la demande des scientifiques du musée d’Anthropologie de l’Université d’Athènes, une équipe de scientifiques sous la direction de Katerina Harvati (Université Eberhard Karls, Tübingen) a repris les études des fossiles en utilisant de nouvelles techniques.
Les équipes ont scanné les fossiles, puis deux des membres de l’équipe ont travaillé séparément sur des reconstructions virtuelles, chacune utilisant des protocoles différents pour tenter de réduire les risques d’erreur et de biais scientifique. Une fois les modèles construits, les scientifiques ont comparé les caractéristiques des reconstructions à celles de plusieurs crânes reconnus comme appartenant à l’espèce Homo sapiens ou Homo neanderthalensis, ainsi qu’à d’autres crânes eurasiens et africains d’espèces faisant l’objet d’un débat datant du Pléistocène moyen.
Si le crâne d’Apidima 2 était bien celui d’un Néandertalien, Apidima 1 est quant à lui proche des crânes d’hommes modernes, Homo sapiens. C’est ce résultat, inattendu, qui a le plus étonné l’équipe. Les chercheurs étaient conscients que ce petit morceau de crâne (sans sa face) n’était pas suffisant pour prouver l’appartenance du fossile à l’espèce Homo sapiens.
Pour les premiers chercheurs, cette proximité des fossiles impliquait également que les deux espèces d’hominidés avaient vécu probablement à la même époque dans la même région.
Une nouvelle datation des fossiles avec la méthode Uranium-Thorium a été une vraie révélation : Apidima 2 le Néandertalien est bien daté de 170 000 ans, mais Apidima 1, le premier Sapiens, est lui daté de 210 000 ans. Cela signifie premièrement que les deux espèces se sont succédé dans la région, peut-être à plusieurs reprises… et deuxièmement que les premiers Sapiens sont arrivés en Europe beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait… Plus exactement 150 000 ans de plus que les fossiles de H. sapiens les plus anciens jamais trouvés en Europe.
Photo : Adipima 2 Katerina Harvati, Université Eberhard Karls de Tübingen.
Katerina Harvati s’exalte « Apidima 1 « est le plus vieux que tous les autres spécimens d’Homo sapiens retrouvés hors d’Afrique ! ».
De nombreuses réactions à cette étude
Toute l’argumentation d’une première vague d’Homo sapiens africains arrivant il y a plus de 100 000 ans tient donc sur ce seul et unique fragment de crâne. Il est donc normal que tous les anthropologues donnent leur avis et émettent des doutes… ce qui est d’ailleurs une preuve de bonne santé scientifique…
L’anthropologue Chris Stringer lui même, qui a pris part à l’étude, indique qu’il est logique et sain d’être septique face à une telle annonce. Mais il rajoute que «Nous n’avons pas l’os frontal, les arcades, la face, les dents ou le menton, mais aucun d’entre eux n’aurait pu être moins moderne !»
Le paléoanthopologue Antoine Balzeau (CNRS) estime que le fragment pourrait appartenir à un Homo Sapiens mais qu’il manque beaucoup trop de données pour être aussi affirmatif que les auteurs de l’étude. Il rajoute que la proximité d’un autre crâne néandertalien ne va d’ailleurs pas dans le sens de la conclusion de l’étude.
Directeur de recherche au CNRS, Bruno Maureille, est encore plus tranchant et indique que Apidima 1 n’est probablement pas un crâne d’Homo sapiens et qu’il appartenait plus certainement à un Homo neanderthalensis.
Pour infirmer ou confirmer cette étude, il faudrait trouver d’autres crânes d’Homo sapiens aussi anciens en Europe.
C.R.
Sources
Nature
SciencePost
Sciences et Avenir
RTLs
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