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Nouvelle radio-datation de la Grotte du Renne à Arcy-sur-Cure
Nouvelle radio-datation de la Grotte du Renne à Arcy-sur-Cure
France – Mis en ligne à la mi-octobre sur le site de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), les résultats d’une nouvelle radio-datation de la Grotte du Renne, dans l’Yonne, remettent en question l’attribution d’objets châtelperroniens à Néandertal.
La nouvelle étude
C’est un panel de 31 nouvelles dates concernant des artéfacts de la Grotte du Renne, à Arcy-sur-Cure (Yonne), qui vient d’être fourni par l’équipe du Dr Thomas Higham, directeur de l’unité de radio-datation de l’université d’Oxford (Royaume-Uni). De nouvelles méthodes de filtrage permettant de purifier les échantillons (outils en os, parures de dents animales) avant leur datation au radiocarbone, afin d’éviter leur contamination par des éléments actuels, ont été utilisées.
Résultats : un tiers des dates fournies pour des artéfacts du niveau Châtelperronien du site tombent en dehors des fourchettes admises pour cette culture ! Certains objets dateraient de 21 000 ans – époque ou l’homme de Néandertal avait disparu depuis longtemps – ou de 49 000 ans – bien avant l’apparition du Châtelperronien.
Une question d’interprétation
Pour les auteurs de cette nouvelle étude, il y aurait eu un mélange des couches archéologiques – processus naturel ou erreurs lors des fouilles ? – déplaçant des artéfacts « récents » faits par Sapiens, qui a fréquenté le site après Néandertal, vers des niveaux longtemps associés à ce dernier. « Ce site a des problèmes », dit le Dr Higham, qui a déjà 20 datations de gisements Sapiens ou néandertaliens à son actif. « Toute preuve issue de la Grotte du Renne doit être considérée avec une extrême prudence », conclut-il.
Randall White, archéologue à l’université de New York, va plus loin : selon lui, seul un autre site châtelperronien a fourni – et en moins grand nombre – des ornements, et les allégations selon lesquelles Néandertal était capable de tels expressions symboliques reposaient essentiellement sur les preuves de la Grotte du Renne. Un site qu’il estime désormais « disqualifié ».
Mais, pour João Zilhão, archéologue à l’université de Bristol, « la nouvelle étude prouve exactement le contraire de ce que clament ses auteurs » : selon lui, le taux d’un tiers de dates « hors sujet » peut être dû, malgré tout, à des contaminations d’échantillons, les deux autres tiers étant en cohérence avec l’hypothèse d’une paternité néandertalienne de la culture châtelperronienne.
Un enjeu fondamental
Le préhistorien français André Leroi-Gourhan étudia la Grotte du Renne entre 1949 et 1963, recensant 15 niveaux d’occupation humaine, étagés entre 45 000 et 28 000 ans BP. Il attribua les artéfacts des couches les plus récentes à Homo sapiens, mais ceux des couches anciennes à Néandertal, tout comme les outils d’os et les ornements d’ivoire de facture châtelperronienne des strates intermédiaires, où il trouva également une trentaine de dents néandertaliennes.
On se pose depuis longtemps la question de savoir si Homo neanderthalensis a inventé de lui-même la culture châtelperronienne, vieille de 40 000 ans environ, ou s’il l’a « empruntée » à l’homme moderne. Mais, récemment, certains chercheurs posent carrément la question de savoir si Néandertal était même seulement utilisateur de ce savoir-faire.
Or, la fabrication d’outils sophistiqués et de parures est le signe d’une expression symbolique très humaine. Notre cousin d’évolution continue donc toujours d’osciller, suivant les écoles, entre bestialité et humanité…
L’avis de Marylène Patou-Mathis
Ces nouvelles dates suscitent, une fois de plus, une réflexion sur la réalité des couches archéologiques dégagées lors des fouilles, qui, comme on le sait depuis longtemps, ne correspondent quasiment jamais, surtout en grotte, à des niveaux d’habitats, mais à un palimpseste de sols. En outre, comme le prouve les analyses taphonomiques, il y a toujours au sein des assemblages sédimentaires des remaniements dues à des agents multiples, tant climato-édaphiques que biologiques. Il n’est donc pas étonnant que les 31 dates proposées, selon les pièces, de 21 000 et de 49 000 ans, apparaissent incohérentes avec une attribution à la culture Châtelperronienne, mise en évidence par André Leroi-Gourhan et son équipe. Il est donc raisonnable, comme l’exprime le Dr Higham, d’être prudent sur l’attribution des outils en os et des éléments de parures découverts dans la grotte du Renne, à Néanderthal, mais aussi à l’Homme anatomiquement moderne. Conclure, à partir de ces nouvelles dates, que les Néanderthaliens n’ont pas réalisé certaines de ces pièces, c’est partir du postulat, voire du vieux présupposé, qu’ils étaient incapables de les réaliser. Une fois de plus, ce serait confondre nécessité et savoir-faire. Les Néanderthaliens maîtrisaient parfaitement la taille de la pierre (ils ont même utilisé le débitage laminaire comme à Seclin) et, d’après les études tracéologiques et le site de Romani en Espagne, celle du bois végétal, peut-être, tout simplement, n’ont-ils pas eu besoin de l’os ou du bois de cervidés pour fabriquer leurs armes et leurs outils. Par ailleurs, d’une part, les comportements techniques à eux seuls ne peuvent caractériser un Humain et, d’autre part, de nombreuses expressions symboliques ou métaphysiques ne laissent aucune traces matérielles.
Dr Marylène PATOU-MATHIS, HDR, DR CNRS
C.R.
Sources
DailyMail
News.sciencemag
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