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Neandertal : à l’ouest rien de nouveau…mais la Berezina à l’est
Jean-Luc Voisin |
En 2008 une phalange de doigt ainsi qu’une molaire d’homininé avaient été découvertes dans une galerie d’une grotte appelée Denisova, dans le massif de l’Altaï. De cet os une séquence d’ADN mitochondrial (ADNmt) avait été déterminée. L’analyse de cette séquence avait montré que nous avions à faire à un nouveau groupe d’hommes, les denisoviens, différent des néandertaliens et des hommes modernes.
En 2010, une phalange proximale d’orteil a été découverte dans la même partie de la grotte, mais dans une couche daté d’environ 50 000 ans et qui serait plus ancienne que celle ayant contenu la phalange de doigt. C’est l’étude de cette phalange d’orteil, en particulier de son ADN, qui vient d’être publié dans le premier numéro de la revue Nature de cette année 2014.
Prüfer et ses collègues ont analysé l’ADNmt ainsi que l’ADN nucléaire (ADNn) de cette phalange d’orteil, puis les séquences obtenues ont été comparées à celles d’autres néandertaliens ainsi qu’à celle de Denisova. Les résultats sont passionnants car les auteurs arrivent à de nombreuses conclusions :
- Les néandertaliens seraient très proches des Denisoviens et leur séparation aurait eu lieu vers 300 000 ans.
- La séparation entre les hommes modernes et les Denisoviens aurait eu lieu il y a 400 000 ans.
- Cet individu, qui est une femme (présence de deux chromosomes X), présente un taux élevé d’homozygotie 1 ce qui montre que ses parents étaient fortement apparentés (cousins germains, demi frère, oncle et nièce, etc.).
- Le taux d’hétérozygotie (contraire d’homozygotie) de ce reste est extrêmement faible et correspond aux taux les plus faibles connus, tous organismes confondus.
- Des gènes néandertaliens sont bien présents dans les populations humaines actuelles non africaines mais à un taux faible (moins de 5%) confirmant ainsi la première étude sur l’ADNn publié en 2010.
- L’individu néandertalien à qui appartenait cette phalange d’orteil serait moins proche génétiquement des hommes actuels que l’enfant néandertaliens de Mezmaiskaya (site du Caucase)
- Des gènes de denisoviens seraient présents dans les populations humaines actuelles, essentiellement d’Océanie.
- Il y aurait eu des échanges géniques entre néandertaliens et denisoviens.
- Il y aurait eu aussi des échanges géniques entre un groupe humain encore inconnu et les denisoviens.
Ces conclusions amènent beaucoup de questions, surtout si l’ on prend aussi en compte la publication, dans la même revue quelques mois plutôt, concernant l’ADN trouvé dans un fémur de Sima de los Huesos (Espagne) qui montre que cet ADN est plus proche de celui des denisoviens que de celui des néandertaliens. Le problème vient du faite que définir une espèce et encore plus un groupe au sein du même espèce à partir de l’ADN est très délicat. En effet, combien faut-il de paires de bases 2 différentes, autrement dit de mutations, pour distinguer deux espèces (sans tenir compte du faite que toutes les mutations n’ont pas la même importance concernant leur conséquence) ? La seule définition de l’espèce (mais il en existe plusieurs) qui soit vraiment applicable considère que deux individus appartenant à la même espèce peuvent se reproduire et que leur descendance soit fertile. Pour faciliter la tâche on définit des caractères morpho-anatomiques qui permettent de différencier « facilement » une espèce par rapport aux autres. Pour les espèces fossiles, on estime que si les différences morphologiques et / ou géographiques sont suffisamment importantes entre deux individus, alors ils appartiennent à deux espèces distinctes. Cela reste un exercice difficile. En effet, entre un grand danois et un basset les différences sont énormes et si ces formes étaient connues uniquement à l’état fossile, il y aurait de forte chance pour qu’elles soient classées dans deux espèces distingues. En revanche, deux espèces d’oiseaux appartenant à un groupe nommé pouillot (le pouillot fitis et le pouillos véloce) et vivant dans nos régions, sont tellement semblables qu’en dehors du chant il est très difficiles de les différencier. En d’autres termes, si ces oiseaux étaient connus uniquement à l’état de fossiles, une seule espèce aurait été décrite.
En ce qui concerne l’ADN très peu de chose a été réalisée sur la variabilité génétique inter et intra spécifique et donc, pour l’instant, définir des groupes sur des différences concernant le nombre de mutation restent pour le moins très conjecturel. Il faut aussi garder présent à l’esprit que les néandertaliens, les denisoviens et autres groupes humains plus ou moins hypothétiques appartiennent au genre Homo et donc les différences sont faibles et portent sur des régions particulières a fort taux de mutations car souvent elles correspondent à de l’ADN dit non codant (n’oublions pas qu’entre un chimpanzé commun et nous, il existe moins de 5% de différences génétiques). En outre, aujourd’hui on ne connait que très peu d’individu fossile dont l’ADN a été séquencé, surtout en ce qui concerne l’ADNn ce qui limite notre connaissance concernant la variabilité génétique des Homininés du Pléistocène.
A mon avis, ces études montrent qu’une différentiation génétique a existé très tôt au sein des populations humaines eurasiatiques du Pléistocène, sans doute dû au faite que la densité de population était très faible, ce qui renforce les relations consanguines et la dérive génétique. Ainsi, les Devisoniens et l’autre groupe humain encore inconnu sont bel et bien des néandertaliens mais particulier, c’est-à-dire qu’ils correspondraient à une différenciation régionale. Cela permettrait d’augmenter la variabilité génétique des néandertaliens et donc de sortir du paradoxe découvert par Prüfer et collègues comme quoi les néandertaliens auraient eu une des variabilités génétiques les plus faibles du monde animale.
Dans ce cas de figure, l’ADN du fémur provenant de Sima de Los Huesos (Espagne) montrant plus d’affinité avec les Denisoviens, au moins en ce qui concerne l’ADNmt, pourraient suggérer que, malgré les petites tailles des populations, des déplacements de personnes sur des distances importantes avaient lieu. Cela ne veut pas dire qu’un même individu ait fait le déplacement de l’Espagne à la Sibérie ou inversement mais que des populations avaient suffisamment de contact entre eux pour que des flux géniques important aient pu avoir lieu. En d’autres terme, cela montre que très tôt les populations humaines avait des échanges importants. Cela est démontré, au moins, chez les néandertaliens, pour qui les déplacements pour obtenir de la matière première pouvaient atteindre les 100 km. Ces distances ont considérablement augmenté au Paléolithique supérieur, traduisant des contactes commerciaux de plus en plus importants.
En d’autres termes, ces articles sont importants, mais la notion d’espèce y est souvent encore trop souvent perçue comme quelque chose de fixe sans presque aucune variabilité génétique comme cela était perçu, mais à partir de critères morpho-anatomiques, depuis Linné jusqu’à la moitié du XXe siècle.
Sources
Jean-Luc Voisin
Docteur en Paléontologie Humaine du Muséum National d’Histoire Naturelle
Site de Jean-Luc Voisin
Homozygote se dit d’un gène qui, chez un individu (animal ou végétal), sera représenté par deux allèles (des variantes de ce gène) identiques. Ainsi, plus le taux d’homozygotie est fort et plus la variabilité génétique est faible.
L’ADN correspond à deux très longues chaînes, enroulée en double hélice, de petites molécules appelées nucléotides. Chaque nucléotide porte une structure moléculaire appelée base. Ces dernières sont au nombre de 4 et leur succession le long de la chaîne n’est pas aléatoire code pour une information. Une mutation correspond au remplacement d’une de ces bases par une autre
Source
The complete genome sequence of a Neanderthal from the Altai Mountains
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