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Grotte Margot (1/2) – Visite et travail des chercheurs
Titre original : Grotte Margot – Des rhinocéros en Mayenne, Romain Pigeaud
Textes : Romain Pigeaud
Photos : Hervé Paitier
La grotte Margot (Thorigné-en-Carnie) est, depuis 2005, la deuxième grotte ornée de Mayenne.Trois rhinocéros gravés y ont été découverts. Récits de la résurrection du site des « grottes de Saulges » par Romain Pigeaud, l’un des découvreurs du site.
En 1998, sous la direction de Jean-Laurent Monnier, directeur de recherche, l’Unité mixte de recherches (UMR) 6566 du CNRS de Rennes lança leprogramme « occupation paléolithiques de la vallée de l’Erve », avec le soutien du Conseil général de la Mayenne.
Ça ne manque pas : à chaque fois, les touristes sont surpris. Ils circulent sur un terrain plat, au milieu des exploitations agricoles. Et puis tout d’un coup, la route plonge dans une vallée inattendue. C’est le « canyon » de Saulges, massif de 1,5 km sculpté par l’Erve, un affluent de la Sarthe, dans du calcaire carbonifère, vestiges d’une mer d’avant les dinosaures. 30 grottes y sont recensées ! De multiples activités sont possibles sur ce site mais nous nous intéresserons ici au premier habitant de la vallée : l’Homme préhistorique.
Les hominidés de la grotte Margot
Ce fut d’abord l’Homme de Neandertal, arrivé voici sans doute 200 000 ans. Puis, vers 35 000 ans, l’Homme de Cro Magnon, autant dire nous. C’étaient des chasseurs-cueilleurs semi-sédentaires, c’est à dire qu’ils suivaient les déplacements saisonniers des grands troupeaux de rennes, mais qu’ils avaient leurs quartiers dans la bonne et la mauvaise saison. Nous savons que les habitants du « canyons » de Saulges allaient souvent au bord de la mer : ils ont du rapporté une canine de phoque et des bigorneaux pour se faire des colliers. Il est probable qu’ils ne s’installaient dans le « canyon » que pour passer l’hiver. Toutefois ils ne vivaient pas dans les cavernes : il y fait trop froid, trop humide. Ils préféraient occuper les entrées des grottes ou camper sur la steppe, sous une tente de peaux. L’exception est la grotte de Rochefort (Saint-Pierre-sur-Erve), ou les hommes sont rentrés un peu plus profond : il devait singulièrement geler dehors pour qu’ils s’installent là-dedans !
Car c’était la période glaciaire : des glaciers recouvraient le nord de l’Europe; le sol était gelé en permanence. Et de drôles de bestioles foulaient le sol de nos contrées : mammouth, rhinocéros laineux, bison, aurochs, renne, bouquetin, glouton. Il y avait déjà des chevaux, sans quoi la Mayenne ne serait plus la Mayenne. Mais c’était des chevaux sauvages, à la crinière hérissée, un peu semblable aux chevaux de Przewalski actuels.
Des grottes que l’on croyait « épuisées »
Une dizaine de grottes du « canyon » furent fouillées à la charnière du XIXe et du XXe siècles. A cette époque, on recherchait surtout les beaux objets et les beaux fossiles. On pratiquait des terrassements plutôt qu’on ne fouillait. Des informations capitales furent à jamais perdus. Aujourd’hui, au contraire, on fouille méticuleusement une surface homogène, afin de retrouver des relations entre les objets, pour ressusciter des miettes de la vie quotidienne. Les fouilleurs de l’ancien temps ayant la réputation de ne pas faire de détail, le site était considéré comme perdu pour la science. En 1998, sous la direction de Jean-Laurent Monnier, directeur de recherche, l’Unité mixte de recherches (UMR) 6566 du CNRS de Rennes lança le programme « occupation paléolithiques de la vallée de l’Erve » Il ne s’agissait au départ que faire l’inventaire de ce qui pouvait être encore sauvé. Stephan Hinguant (Institut national de recherche préventives, UMR 6566 du CNRS) fut chargé des fouilles en stratigraphie, moi-même de l’étude de l’art paléolithique, en grotte et sur objet. A notre grande surprise, nous avons découvert un site quasiment vierge : les anciens fouilleurs n’avaient presque rien entamé des couches archéologiques.
Les grottes de Saulges
J’ai étudié la grotte Mayenne-Sciences (Thorigné-en-Charnie), découverte en 1967 par une équipe de spéléologues dirigée par Roger Bouillon. J’ai pu tripler le nombre de représentations connues et obtenir deux dates carbone 14 autour de 25 000 ans. Stephan Hinguant a retrouvé des indices d’un niveau très ancien (entre 50 000 ans et 1 million d’années) dans la grotte de La Chèvre (Saint-Pierre-sur-Erve), avec des canines de tigre à dents de sabre ! Dans la grotte de Rochefort, qu’il fouille depuis 2001, il a d’abord mis au jour une cave médiévale, puis un dépôt funéraire gaulois et une occupation mésolithique (environ 7300 ans). Depuis 2005, il exhume un habitat solutréen (environ 20 000 ans)? Le Solutréen est un faciès culturel célèbre pour ses « feuilles de laurier », de fins couteaux ou pointes en silex spectaculairement symétriques. Encore très mal connu, il n’est identifié en France qu’à l’ouest du Rhône, et sinon en Espagne et au Portugal. La vallée de l’Erve est l’une de ses manifestations les plus septentrionales. Il s’agit de la plus grande fouille en grotte pour le Paléolithique supérieur, et le deuxième site fouillé aujourd’hui en France pour ce faciès culturel. Outre 21 fragments de plaquette gravée, dont certaines portent un décor animalier, des restes issus du façonnage d’outils en silex sont visibles. Les ossements sont également très bien conservés: Stéphane Hinguant et son équipe ont ramassé les vestiges d’une abondante faune chassée, indicatrice d’un période glaciaire (renne, cheval, rhinocéros laineux, ours brun et ours des cavernes … ) mais aussi des objets en os décorés, comme une côte d’ours gravée de traits parallèles. Les restes osseux présentent des fracturations intentionnelles et de nombreuses traces de découpes, typiques d’activité de boucherie . Pour Stephan Hinguant, même si aucun aménagement de sol ni aucune structure (de type foyer par exemple) ne viennent pour l’instant confirmer l’existence d’un niveau d’habitat, les éléments mis au jour accréditent la pratique d’activités domestiques dans la cavité. Un saupoudrage d’ocre rouge à la surface du cailloutis sur lequel se sont installés les hommes pourrait d’ailleurs témoigner d’un niveau de circulation Pareil saupoudrage, souvent présent dans les site paléolithique, pourrait avoir eu un but prophylactique , l’ocre étant un excellent désinfectant».
La grotte Margot
Avec mon équipe, nous recherchons depuis 2002 des traces de décor sur les parois de la grotte Margot. Nous travaillons la nuit, fin de ne pas gêner l’exploitation touristique. Au début, nous ne trouvions rien. Cela pouvait sembler normal, étant donné que la cavité est fréquentée depuis toujours, aménagée et ouverte aux touristes depuis les années 1870. Et puis, en examinant les graffitis modernes, certain datés, nous nous sommes aperçu que ceux datés d’avant 1870 se situaient à plus de deux mètre au-dessus du sol actuel. Or, c’est à cette date que fut abattu le plancher stalagmitique de couverture. En effet, lorsqu’il était en place , il fallait ramper pour avancer dans la grotte. Pour permettre aux touristes de cheminer debout, on avait décidé de le briser. Nous avons donc supposé que ce plancher constituait le sol d’origine de la grotte au Paléolithique supérieur.
Il fallait donc pratiquer les recherches beaucoup plus haut que ce que nous avions fait auparavant Et, en juillet 2005, nous avons trouvé : de vestiges de peinture noire, rouge et brune, mais surtout de gravures de toute beauté, très détaillées. En 2006 et 2007, nous en avons découvert de nouvelles. Ce qui porte à 98 le nombre d’unités graphiques connues à ce jour. Et il y en a certainement d’autres qui nous attendent!
Nous travaillons avec des lampes fluorescentes , c’est-à-dire ou un éclairage semblable à la lumière du jour, et qui ne réchauffe pas les parois. Nous avons utilisé ces lampe d’abord en éclairage rasant (pour voir les gravures patinées), puis de face (pour observer les peintures). Lorsque c’est nécessaire, nous employons un éclairage en lumière ultraviolette, pour faire réapparaître des tracés évanouis. Puis, chaque image est mesurée et photographiée. Les clichés, une fois imprimés, servent de patron aux relevés manuels, réalisés par calque sur support rigide devant l’original. Ceux ci sont ensuite scannés et retravaillés sur ordinateur..
Le décor comprend, entre autres, 7 chevaux, 6 rhinocéros laineux, 2 oiseaux, 2 anthropomorphes, 1 sexe féminin, 2 bovidés (dont un probable bison), 2 cervidés (dont un probable renne), 1 main négative noire aux doigts tronqués, deux mains positives brune, 1 main positive noire. Nous distinguons pour le moment deux périodes de décoration pour la grotte Margot : l’une attribuable à la période du Gravettien (29000 – 23 000 ans). Elle n’est représentée que par des peintures résiduelles et les mains négatives et positives. Nous attribuons l’autre période au Magdalénien supérieur et final (12000 – 9000 ans). Il s’agit de gravures de petite taille, et d’une grande finesse d’exécution. Les graveurs recherchent alors un plus grand réalisme dans le rendu de l’anatomie et des pelages, ainsi que dans l’expression du mouvement.
Tracé de la gravure par T. Devièse, R. Pigeaud. Grotte margot – Saulges
Les chevaux sont représentés en pelage d’hiver, avec barbe et toison. Ils possèdent la crinière hérissée du cheval sauvage, telle qu’on peut l’imaginer en regardant les chevaux de Przewalski actuels. Deux d’entre eux semblent s’opposer, tels deux étalons qui se jaugeraient avant l’affrontement. Le plus détaillé et le plus complet des trois rhinocéros laineux possède, lui, un œil très expressif. Il est doté d’un énorme garrot et d’une crinière très développée. Le rhinocéros laineux est un animal assez rarement représenté dans l’art des cavernes, à l’exception des grottes de Rouffignac et de Chauvet. Deux anthropomorphes appartiennent sans doute à l’époque magdalénienne. Le premier est un homme sans tête et sans bras. qui semble marcher vers un gouffre autrefois à la verticale (aujourd’hui aménagé en escalier de pierre pour les visites modernes). Le second, très stylisé, est pour nous un exemple classique de représentation féminine schématique, appelé vénus de Gônnersdorf-Lalinde, du nom des deux sites (allemand et périgourdin) où elles sont les mieux caractérisées. Il s’agit d’un corps de femme parfois vêtu, souvent nu dont la tête et les jambe sont seulement suggérées par un tracé effilé qui ne comprend pas toujours les seins. On le reconnaît surtout à la torsion vers l’avant du bassin, plaçant le buste légèrement en avant et le massif fessier très en arrière (stéatopyge). La vocation de tels tracés n’est pas d’être réaliste, mais de suggérer l’essence de la féminité et, au-delà, un code graphique dont le sens nous échappe.
D’où venaient les hommes de la vallée de l’Erve: sont-ils venus du SudOuest par la vallée de la Loire, ou bien d’Europe de l’Est, par le Rhin et la Seine? Que cherchaient-ils à nous dire, en laissant des animaux sur les parois de leur grotte? Autant de questions passionnantes qui se posent au chercheurs. Loin du cliché romantique de l’Homme des cavernes isolé dans sa vallée, sans aucune idée de ce qu’il peut y avoir de l’autre côté de la colline, les préhistoriens s’aperçoivent de plus en plus du maillage serré des réseaux de communication qui existait dans la France du Paléolithique supérieur. Par exemple, c’est un fait notable qu’aucun gîte de silex n’est présent dans les environs. L’Homme préhistorique a donc dû quitter sa vallée pour
se fournir en matières premières. De même, la présence d’une canine de phoque perforée, ainsi que des coquillages marins ramassés à l’état frais sur la plage, est un bon indicateur de relations avec le bord de mer. Ainsi, l’étude de la Préhistoire en Mayenne n’est ni anecdotique, ni folklorique. Elle entre dans les problématiques actuelles de la recherche et a son rôle à jouer dans l’étude de l’évolution des sociétés humaines.
Article originellement paru dans Maine Magazine.
Publication avec l’autorisation de l’auteur Romain Pigeaud.
Romain Pigeaud est Docteur en Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle (USM 103-UMR 5198 du CNRS), spécialiste de l’art paléolithique, associé à l’UMR 6566 du CNRS (Rennes).
A suivre : Les relevés et photos de la Grotte Margot
Grotte Margot – Photographie – Relevés – Représentations
De nouvelles représentations découvertes en 2007
Les études continuent dans la Grotte Margot et les chercheurs ont pu découvrir de nouvelles gravures sur les parois.
Lors d’une conférence donnée à l’Institut de Paléontologie Humaine, Romain Pigeaud a expliqué les méthodes utilisées pour relever les peintures et gravure de l’art pariétal (calques, photographie…).
Afin de visualiser le travail effectué il nous a présenté les dernières découvertes réalisées dans la Grotte de Margot.
Fait rarissime dans l’art paléolithique ce sont deux oiseaux qui sont représentés.
Le premier est certainement une corneille ou un freux (famille des corvidés) et le deuxième un cygne (famille des ansérinés).
En savoir plus :
Retrouvez le corvidé ainsi que de nombreuses autres représentations sur la page consacrée aux
Représentations de la Grotte Margot, photographies et relevés
Hominides.com remercie Romain Pigeaud, Clélia Dufayet, la Mairie de Saulges et l’Office du Tourisme de Saulges pour leur aide et leur accueil sur les sites de la vallée de l’Erve.
Hominides.com remercie Le Musée de Préhistoire de Saulges qui a permis la réalisation de cette page.
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Laurent Carozza, Cyril Marcigny