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Cosquer grotte
Grotte Cosquer
Images préhistoriques et « médecines » sous la mer
Jean CLOTTES, Jean COURTIN, Luc VANRELL
La découverte de la grotte Cosquer
Il convient de rappeler certains faits avant de présenter nos nouvelles découvertes. La grotte Cosquer (Marseille, France) fut découverte en 1985 par un plongeur (l’entrée d’origine se trouve à 37 mètres sous le niveau actuel de la mer), mais ses peintures ne furent mentionnées qu’en 1991, après que trois plongeurs eurent trouvé la mort dans la grotte où ils s’étaient perdus. La galerie remonte sur environ 120 mètres, jusqu’à une grande salle restée en partie au-dessus de l’eau. De nombreuses peintures et gravures pariétales s’y trouvent, ainsi que des vestiges sur le sol (des charbons des feux, des torches, quelques silex taillés). Il s’agit de la seule grotte au monde qui présente une entrée sous-marine et dont l’art rupestre a été préservé de la remontée générale des eaux après la fin de la dernière glaciation.
Description
D’emblée, il fut évident que la découverte de la grotte Cosquer était à la fois importante et originale. Elle se trouvait en Provence, près de Marseille, dans une région où l’on n’avait jamais encore découvert d’art paléolithique. Cela mettait en lumière un problème en principe bien connu, mais dont on parle peu, celui de la disparition sous la mer, depuis les temps glaciaires, d’un grand nombre de grottes autour de la Méditerranée et sur d’autres côtes. Plusieurs cavernes importantes se trouvent près de Cosquer. Certaines ont pu être – et furent probablement – habitées et ornées.
65 mains négatives
Malgré les destructions dues à la mer (voir ci-dessous), Cosquer fait partie des rares cavernes où l’on a répertorié plus de 150 figures animales. Les mains négatives se chiffrent actuellement à 65, ce qui place, pour l’Europe, Cosquer après Gargas (Hautes-Pyrénées) et peut-être avant El Castillo en Espagne. Elles sont toutes localisées du côté est de la grotte (fig. 1). Aucune n’est à l’ouest. Juste au bord d’un puits profond de 19 m – lieu en lui-même significatif –, elles sont toutes noires. Sur d’autres panneaux elles peuvent être noires ou rouges. Certaines ont été raclées ou surchargées de points et de barres. Seules des mains d’adultes sont attestées. Beaucoup ont des doigts incomplets (fig. 2) : elles ont été faites en pliant les doigts. Des mains négatives aux doigts incomplets ne se trouvaient jusque-là que dans de rares grottes, surtout dans les Pyrénées (Gargas, Tibiran, Fuente del Trucho). Maintenant, nous savons que ce phénomène est plus largement représenté qu’on ne le pensait. Le fait établi qu’à peu près à la même époque des mains négatives de ce type se trouvaient sur des sites distants de centaines de kilomètres devrait porter un coup mortel à la théorie des mutilations pathologiques : serait-il vraisemblable que des groupes humains aussi éloignés aient simultanément été affectés par les mêmes maladies mutilantes et aient réagi de la même manière, les immortalisant sur des parois de grottes au moyen des mêmes techniques ?
Nouvelles données (2022)
Lors d’une conférence l’archéologue préhistorien Jean-Pierre Bracco donne le nouveau décompte des mains négatives et positives dans la grotte Cosquer
Type de main | Nombre |
Mains négatives noires | 44 |
Mains négatives rouges | 25 |
Mains positives enfants | 3 |
Main positive adulte | 1 |
Des figures animales de la faune locale, de l’époque
Cosquer a déjà apporté beaucoup à notre connaissance de l’art pariétal. Les animaux marins, comme le nombre relativement élevé de caprinés, témoignent de l’influence de l’environnement proche sur les mythes. La grotte se trouvait à quelques kilomètres du rivage, dans un environnement de collines karstiques favorable aux bouquetins et aux chamois. Ce n’est pas une coïncidence si les artistes ont choisi de représenter la faune locale. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans la profonde vallée du Vicdessos (Pyrénées ariégeoises), où la faune chassée par les Magdaléniens de La Vache était surtout composée de bouquetins, la grotte de Niaux, sa voisine, comprend une majorité écrasante de bisons et de chevaux.
Etude approfondie de la grotte Cosquer : datations, périodes d’occupation
Dès le début, l’étude des superpositions de figures nous a montré qu’il y avait deux phases principales dans l’art de Cosquer, la première avec les mains négatives et les tracés digitaux, la seconde avec apparemment la plupart des peintures et gravures animales. Cela fut confirmé par les dates radiocarbone, 27 en tout, qui se regroupent pour la plupart en deux ensembles, l’un vers 19 000 BP et l’autre autour de 27 000 BP. Après Chauvet, Cosquer est le site d’art rupestre du monde où le plus de dates radiocarbone a été obtenu (Clottes & Courtin 1994, 1996, Clottes et al. 1996, 1997).
Pendant l’été 2002 et surtout celui de 2003, après que l’un de nous (Jean Clottes) eut obtenu son diplôme de scaphandrier afin de pouvoir pénétrer dans la grotte, nous en avons fait une étude approfondie.
En premier lieu, nous avons procédé à un examen minutieux des parois et des voûtes, à l’aide de lampes LED, ce qui se fait de mieux pour découvrir des gravures fines, établir les superpositions et, plus généralement, étudier les traces d’activités humaines sur leurs surfaces. Au cours de ce travail, nous avons vérifié les fiches descriptives existantes (d’après les données recueillies précédemment) et les avons complétées en fonction des critères retenus, pour avoir un corpus homogène. Tous les dessins (fig. 3) ont été systématiquement mesurés, ainsi que leur hauteur par rapport au sol. Nous avons aussi noté leurs caractéristiques, celles de la paroi et du sol, les superpositions et la présence d’autres images voisines. Tous ont été situés avec précision et un croquis en a été fait sur la fiche. Ce travail systématique nous a permis de rectifier de nombreuses erreurs et de découvrir bon nombre d’images jusque-là non répertoriées. Ce travail, et toutes les conclusions que nous en avons tiré, vient d’être publié en détail dans un nouveau livre (Clottes, Courtin &Vanrell, 2005).
Une grotte ornée majeure de l’art du Paléolithique
Le total des figures atteint maintenant 177 animaux, de 11 espèces différentes – ce qui est assez inhabituel dans l’art du Paléolithique supérieur, puisque, si 14 espèces se trouvent à Chauvet, on n’en connaût que 6 à Niaux et 9 à Lascaux –, un humain à tête de phoque, 44 mains négatives noires et 21 rouges, 216 signes géométriques, 20 figures indéterminées et 7 divers (tels que traces, trous dans la paroi, etc.). Nous avons à présent 78 animaux de plus que dans notre premier livre (Clottes & Courtin 1994, 1996).
Nous pouvons affirmer à présent que Cosquer fut jadis l’une des plus importantes grottes ornées d’Europe, comparable à Lascaux, aux Trois-Frères, à Altamira ou à Chauvet. En effet, il ne nous reste qu’une petite partie de son art. L’exploration des galeries et des salles submergées a montré que les trois-quarts ou les quatre cinquièmes du réseau se trouvaient à présent sous l’eau. Parois et voûtes, en ces lieux, ont été corrodées par la mer, ainsi que par les algues et les mollusques, de sorte que ni peintures ni gravures n’y subsistent. Comme toutes les parties de la caverne accessibles dans les zones non inondées sont couvertes de gravures, de tracés digitaux et de dessins, nous pouvons en déduire qu’il en fut de même, plus ou moins, dans la majorité des zones submergées, car le niveau de la mer ne s’est pas arrêté par coïncidence juste avant les zones ornées. En conséquence, il a pu y avoir entre 400 et 800 figures animales dans la grotte.
Le bestiaire de Cosquer
Les animaux les plus figurés sont les chevaux (63) (fig. 4), puis les bouquetins (28), les bisons et aurochs (24), les cerfs élaphes (15). Les autres sont beaucoup plus rares : 4 chamois, 2 mégaceros, un félin, une antilope saïga. Les animaux marins sont assez communs (17), plus que dans toute autre grotte : 9 phoques, 4 poissons, 3 pingouins. Nous ajouterons que 20 animaux sont restés indéterminés et que 3 autres sont des animaux composites (à caractères appartenant à des espèces différentes).
A droite Fig. 4. Grotte Cosquer. Le protomé noir du Chv18 a été rapidement dessiné sur une paroi couverte de tracés divers. Cliché J. Clottes.
Nouvelles données (2022)
Lors d’une conférence l’archéologue préhistorien Jean-Pierre Bracco donne le nouveau décompte des représentations animales dans la grotte Cosquer
Représentations | Nombre |
Cheval | 84 |
Bouquetin | 34 |
Bison | 28 |
Cerf | 15 |
Phoque | 14 |
Chamois | 7 |
Poisson | 4 |
Pingouin | 4 |
Mégacéros | 3 |
Saïga | 2 |
Félin | 1 |
Les autres découvertes de la grotte Cosquer
Outre l’inventaire de l’art, les nombreux détails qui s’y rapportent (animaux, signes particuliers), ainsi que ceux relatifs à l’utilisation de la grotte et aux gens qui la fréquentèrent, nous pouvons citer les résultats suivants de nos recherches :
– un certain nombre de gravures animales – vues en 1992 mais non étudiées jusqu’ici – se trouvent sur la paroi inclinée près du Grand Puits à présent submergé. Elles sont difficiles d’accès en raison de la profondeur de l’eau à leur pied. L’abaissement du niveau de la mer lors de notre seconde campagne de 2003 nous a permis de passer plus de temps en ces lieux et de photographier de près ces gravures, ainsi que les mains négatives noires toutes proches. Contrairement à ce que nous pensions au début, nous avons constaté que les gravures étaient antérieures aux mains, car l’une de ces dernières en surchargeait certaines (fig. 5). Cela signifie qu’une partie des animaux ont été figurés durant la Phase 1 par les Gravettiens, entre 26 000 et 28 000 BP, ce qui constitue un important fait nouveau ;
– outre le phallus déjà décrit (Clottes, Courtin, Collina-Girard, 1996), d’autres symboles sexuels, mâles et femelles, ont été observés. En particulier, plusieurs trous naturels des parois ont été marqués de noir pour les transformer en organes sexuels féminins (fig. 6) ;
– parmi les rares objets découverts dans la grotte se trouvent une coquille de Pecten dans laquelle était placé un gros fragment de braise (fig. 7), une boulette d’argile pétrie avec empreintes distinctes de doigts et d’ongles, et aussi une plaquette de calcite façonnée et utilisée comme lampe de fortune (fig. 8) ;
– des empreintes d’enfants ont été observées dans le mondmilch (surface molle et altérée du calcaire) de parois hautes, à 2,20 m environ du sol (fig. 9). Cela signifie que des enfants avaient accès aux profondeurs de la caverne et qu’ils ont été tenus à bout de bras ou placés sur l’épaule d’adultes pour pouvoir imprimer leur main en hauteur sur la surface de la roche. Il ne s’agit donc pas là d’un geste fortuit mais d’une action délibérée ;
– quant aux adultes eux-mêmes, certains devaient avoir plus de 1,85 m, à en juger par la hauteur de certaines gravures et l’impossibilité d’utiliser des échelles sur les lieux particuliers où elles se trouvent ;
– des stalactites et stalagmites cassées ont été observées en de nombreux endroits (fig. 10). Il ne s’agit ni d’un vandalisme gratuit ni d’une destruction visant à faciliter le passage d’un endroit à un autre, car la plupart se trouvent en des lieux où elles ne gênaient pas. En majorité, les extrémités cassées n’ont pas été retrouvées. Enfin, nous avons soigneusement examiné les concrétions situées dans des parties hautes de la caverne, galeries restées inaccessibles aux préhistoriques et dépourvues de toutes traces ainsi que de charbons : ces concrétions ne furent jamais brisées. Cela prouve que les cassures constatées ne peuvent pas avoir eu des causes naturelles, telles que des tremblements de terre ;
– dans toute la caverne, les surfaces des parois au-dessus de l’eau ont été raclées et portent des milliers de traces de ces activités (fig. 11). L’argile rouge a été utilisée comme pigment de fortune pour réaliser les mains négatives. Le mondmilch blanchâtre a été enlevé, parfois sur plusieurs centimètres d’épaisseur. D’après les superpositions de gravures et de peintures avec ces traces, nous pouvons dire que cela fut fait au cours des deux principales périodes de fréquentation de la grotte. Très peu de traces subsistent au pied des parois et des voûtes aux surfaces raclées, même lorsque le sol est intact. L’on doit en conclure que le mondmilch a été récupéré pour des buts précis.
Nous avons fait des recherches sur l’emploi, au cours de l’histoire, du carbonate de calcium provenant de poudre de concrétions cassées (voir Shaw, dans Hill & Forti, 1997 ; Clottes, Courtin & Vanrell, 2005). Les utilisations les plus anciennes en pharmacopée se trouvent en Chine (stalactites et stalagmites, aux 4e et 1er siècles avant JC). Encore au 19e siècle en Chine et au 18e en Europe (y compris pour le mondmilch), on en faisait usage pour toutes sortes de maladies et de traitements : favoriser la sudation lors de fièvres, traiter les maladies du cœur (avec des régimes pauvres en calcium), arrêter les saignements et les diarrhées, soulager la toux, favoriser la lactation des nourrices, ressouder les membres cassés, assécher les abcès et guérir ulcères et blessures. De nos jours, le carbonate de calcium (CaCo3) est employé contre l’ostéoporose (en conjonction avec la vitamine D), pour aider à la régénération osseuse et pour les problèmes de croissance, pour les femmes enceintes et celles qui allaitent, contre la fatigue, etc.
Il y a plus de 27 000 ans, dans les profondeurs de la caverne, des hommes ont raclé la poudre des parois et emporté des morceaux de concrétions, sans doute parce qu’ils croyaient que ces matières minérales étaient porteuses de pouvoir surnaturel. Le fait que cataplasmes et médicaments marchaient dans certains cas n’a pas pu passer inaperçu, ce qui explique la pérennité de cette pratique. Il se peut que, dans la grotte Cosquer, associés à un art pariétal abondant, nous ayons les premiers exemples concrets d’utilisation de médicaments spécifiques dans l’histoire du monde.
Jean CLOTTES, Jean COURTIN, Luc VANRELL
Remerciements
Notre projet a été subventionné par le Ministère de la Culture et par la Fondation Leakey. Nous les remercions chaleureusement, ainsi que tous ceux qui nous ont aidés, que ce soit pendant les expéditions et les plongées, ou en nous donnant des informations. Nous remercions aussi Les Editions du Seuil (Paris), pour avoir publié si rapidement notre travail en un aussi beau volume.
Bibliographie
CLOTTES J. & COURTIN J., 1994. – La Grotte Cosquer. Peintures et gravures de la caverne engloutie. Paris. Le Seuil.
CLOTTES J. & COURTIN J., 1996. – The Cave Beneath the Sea. Paleolithic Images at Cosquer. New-York, Harry Abrams.
CLOTTES J., COURTIN J. & COLLINA-GIRARD J., 1996. – La Grotte Cosquer revisitée. INORA, 15, p. 1-2.
CLOTTES J., COURTIN J., COLLINA-GIRARD J., ARNOLD M. & VALLADAS H., 1997. – News from Cosquer Cave : climatic studies, recording, sampling, dates. Antiquity, 71, n° 272, p. 321-326.
CLOTTES J., COURTIN J. & VANRELL L., 2005. – Cosquer redécouvert. Paris, Le Seuil.
HILL C. & FORTI P., 1997. – Cave Minerals of the World. Huntsville, National Speleological Society.
Légendes des figures
Fig. 1. Grotte Cosquer. Main négative M11, réalisée par crachis de la peinture sur la main apposée contre la paroi. Cette main était maculée d’argile. Cliché Jean Clottes.
Fig. 2. Main droite rouge MR3, aux quatre doigts raccourcis. Cliché J. Clottes.
Fig. 3. Exemple de relevés. .
Fig. 4. Le protomé noir du Chv18 a été rapidement dessiné sur une paroi couverte de tracés divers. Cliché J. Clottes.
Fig. 5. Les projections charbonneuses de la main M9 recouvrent les nombreuses gravures fines animales de cette paroi inclinée, démontrant ainsi leur attribution à la Phase 1, gravettienne. Cliché J. Clottes.
Fig. 6. Creux naturel marqué de noir pour en faire un symbole sexuel féminin. Cliché L. Vanrell.
Fig. 7. Fragment de Pecten et charbons. Cliché L. Vanrell.
Fig. 8. La plaquette charbonneuse utilisée comme lampe. Dessin J. Courtin.
Fig. 9. Grotte Cosquer. Main d’enfant délibérément imprimée sur la surface molle de la paroi, à 2,20 m de haut. L’enfant a dû être porté par un adulte. Cliché Jean Clottes.
Fig. 10. Stalagmites volontairement tronquées. Noter le caractère irrégulier des tranches et leur reconcrétionnement. Cliché J. Clottes.
Fig. 11. Grotte Cosquer. Raclages nombreux, destinés à récupérer la poudre blanche des parois, au-dessus des dessins de pingouins. Cliché Jean Clottes.
CLOTTES J., COURTIN J. et VANRELL L., 2005. — Images préhistoriques et « médecines » sous la mer. INORA (International Newsletter on Rock Art), 42, p. 1-8
Texte et images publiés en 2010 avec l’autorisation de Jean Clottes.
Type | Technique | Période | Occupation | Restes humains |
Grotte ornée | Peinture, gravures, empreintes | Paléolithique supérieur | 19 000 et 30 000 ans BP | Non mais des empreintes de mains. |
Dimensions | Nombre de représentations | Outils | ||
– 120 mètres de longueur – entrée actuelle à 37 mètres sous le niveau de la mer | 563 entités graphiques (Chiffres Jean-Pierre Bracco 2022) | Pas d’outils taillés | ||
Localisation | Accessibilité | Date de la découverte | Particularités | |
proximité de Marseille (France) | Ne se visite pas. | 1985 | Un nombre impressionnant de mains négatives. |