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Préhistoire, nouvelles frontières
Préhistoire, nouvelles frontières Un livre sous la direction de Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos et Boris Valentin. Éditions de la MSH (Maison des sciences de l’homme) Chronique de Pedro Lima
L’archéologie préhistorique, inventée il y a à peine deux siècles, est une science récente ; c’est également une science en constante évolution dont les frontières restent pour bonne part indéterminées. Ce qu’elle est aujourd’hui devenue n’a plus guère à voir avec ce qu’elle a pu être. Progressant vite dans l’acquisition des savoirs, cette discipline est désormais le nom d’une science sachant rassembler autour d’elle des compétences exceptionnellement nombreuses (géologiques, climatologiques, écologiques, zoologiques, paléoanthropologiques, etc.).
Aussi l’ambition de cet ouvrage est-elle multiple. Interrogeant la provenance de cette discipline et l’évolution de ses rapports avec bien d’autres sciences, il s’agit tout d’abord de faire le point sur l’état des avancées en cours, d’en proposer comme une cartographie. Et, pour cela, quelques-uns des meilleurs spécialistes de la discipline ont été sollicités. Mais il s’agit tout autant, d’une part, de porter un regard critique sur l’épistémologie qu’elle déploie et, d’autre part, de mener une réflexion sur les défis qu’il lui faut relever afin de se rendre pleinement visible.
C’est pourquoi quatre axes de questionnements, réunissant une cinquantaine d’intervenants, ont ici été privilégiés : le rapport au temps (et à l’histoire plus récente), l’évocation de quelques récentes percées scientifiques, la confrontation aux autres sciences humaines, le partage du savoir au-delà des cercles savants.
En cela cet ouvrage, à l’instar de ce qu’a finalement toujours été la préhistoire, se veut résolument interdisciplinaire. Aussi mobilise-t-il des archéologues aux compétences multiples, des anthropologues, des historiens, des philosophes. Seule une telle interdisciplinarité peut nous permettre d’esquisser à petites touches les nouvelles frontières, dynamiques, mouvantes et toujours prometteuses, de la préhistoire.
– Un ouvrage de référence potentiel qui regroupe toutes les pointures actuelles en préhistoire, et qui fait intervenir philosophes, sociologues et écrivains reconnus.
– Un regard innovant qui remet en perspective une préhistoire débarrassée de ses clichés, de son anthropocentrisme et de son eurocentrisme- Un ouvrage illustré et pluridisciplinaire passionnant qui permet de repenser notre rapport au monde et au temps
Parution le 20 avril 2023
Éditions de la MSH (Maison des sciences de l’homme)
Collection 54 / préhistoire archéologie
25 euros, 468 pages
La chronique de l’ouvrage pour Hominides de Pedro Lima, auteur et journaliste scientifique
Rarement les termes de pluridisciplinarité et transversalité auront été aussi bienvenus pour désigner un ouvrage consacré à la « préhistoire », tant cette somme de 49 textes de contributrices et contributeurs (50 si on compte le préfacier), venus d’horizons très divers et placés sous la direction de trois auteurs principaux, également rédacteurs de l’introduction en forme d’ouverture, renouvelle notre approche de ce lointain passé. Tout en faisant un point rigoureux et érudit (mais jamais ennuyeux) sur les dernières connaissances acquises, ce livre aide en effet aussi (surtout?) à déconstruire plusieurs héritages encombrants de 200 ans d’une science en préhistoire trop européo-centrée. Une science également figée, jusque dans son intitulé même, autour de la prétendue rupture (temporelle et culturelle) qu’aurait constitué « l’invention de l’écriture », critère remis en cause par Jean-Loïc Le Quellec dont il interroge, comme de plus en plus de ses collègues, la validité universelle (Chapitre Il n’y a pas de « pré »-histoire). À quand, alors, la remise du terme de préhistoire aux oubliettes de la science (et de sa médiation !), pour le remplacer peut-être par « histoire ancienne », tout comme l’abandon du vocable « homme », avec ou sans majuscule, pour désigner l’humain et l’humanité toute entière (homme de Neandertal, ou de Cro-Magnon) ?
Au fil des chapitres, c’est bien une histoire humaine diverse et sur le temps long, faite d’évolutions biologiques et culturelles multiples survenues en de nombreux lieux qui se révèle, sous les nombreux regards croisés de l’archéologie, l’histoire, la paléogénomique, l’ethnologie, la philosophie, l’esthétique ou l’anthropologie, entre autres.
Le détour captivant par les arts rupestres foisonnants du Brésil, offert par un Denis Vialou, l’histoire passionnante de la naissance possible du compagnonnage entre chiens et humains il y a 20 000 en Sibérie, sans la rupture entre nature et culture que cette domestication sous-entend généralement, racontée par un Charles Stépanoff, ou encore le point de vue affuté d’un Philippe Descola (entretien avec Philippe Grosos et Boris Valentin) face aux images paléolithiques, entre totémisme et animisme, ne sont que trois exemples parmi d’autres de la richesse du contenu et de la force des concepts que le lecteur aura à découvrir au fil des 468 pages du livre, toujours avec un réel plaisir de lecture tant la langue employée allie, malgré la multiplicité des contributions, clarté et concision.
Pedro Lima
Les auteurs de Préhistoire, nouvelles frontières
Sous la direction de :
Jean-Michel Geneste est conservateur général du patrimoine, il est notamment le coauteur de l’Atlas de la grotte Chauvet-Pont d’arc aux Éditions de la MSH.
Philippe Grosos est professeur de philosophie à l’université de Poitiers. Spécialiste d’art paléolithique et de préhistoire, il est notamment l’auteur de plusieurs livres aux Éditions du Cerf, notamment Des profondeurs de nos cavernes. Préhistoire Art Philosophie (2021).
Boris Valentin est professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur, avec Jean-Michel Geneste, de Si loin, si près. Pour en finir avec la Préhistoire (Flammarion, 2019).
Avec des contributions de :
Sylvie Beyriès, Étienne Bimbenet, François Bon, Vincent Charpentier, Sandrine Costamagno, Philippe Descola, Francesco d’Errico, Marc Groenen, Jean Guilaine, Emmanuel Guy, Jacques Jaubert, Frédéric Joulian, Marc-Antoine Kaeser, Rémi Labrusse, Jean-Loïc Le Quellec, Mathilde Lequin, Pascal Magontier, Martin Marquet, Bruno Maureille, Nicolas Mélard, Michel Menu, Baptiste Morizot, Patrick Paillet, Jean-Marc Pétillon, Catherine Perlès, Serge Pey, Yann Potin, Ina Reiche, Laurent Roturier, Jean Rouaud, Catherine Schwab, Ludovic Slimak, Charles Stépanoff, Stéphanie Thiébault, Ségolène Vandevelde, Denis Vialou
Sommaire de Préhistoire, nouvelles frontières
Sommaire
Préface
Ouverture
Laurent Roturier, directeur de la DRAC Ile-de-France
Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos et Boris Valentin
Partie I – Préhistoire : sonder le temps
La matérialité du temps long de la préhistoire paléolithique avant les datations de laboratoire
Marc Groenen
L’histoire à contre-courant
François Bon
«Préhistoire», mais pas seulement
Jacques Jaubert
Incertitudes frontalières : archéologie, préhistoire, protohistoire, histoire
Jean Guilaine
De l’histoire très ancienne (voir extrait en bas de page)
Boris Valentin
Temps, chronologie et rythmes en préhistoire
Catherine Perlès
La question du temps et de la durée en archéologie préhistorique
Jean-Michel Geneste
La fuliginochronologie : l’accès au « temps vécu »
Ségolène Vandevelde
Partie II – Préhistoire : percées en cours
Néandertal ou l’origine controversée des humanités passées
Bruno Maureille
L’esprit dans la matière. Penser Néandertal, penser Sapiens
Entretien avec Ludovic Slimak
L’ADN ancien, un voyage génétique au cœur de la préhistoire
Ludovic Orlando
Les apports de l’archéologie préventive à la connaissance du Paléolithique
Pascal Depaepe
Changements climatiques, activités humaines : une relation à double sens?
Stéphanie Thibault
L’alimentation d’origine animale au Paléolithique: dépasser le seul registre économique
Sandrine Costamagno
La civilisation du végétal chez les derniers chasseurs-cueilleurs préhistoriques du Sud-Est asiatique
Hubert Forestier Nouvelles frontières ou par-dela les frontières ?
Approche de la spatialité en préhistoire
Vincent Delvigne
Le travail de la peau, révélateur d’enjeux techniques, sociaux et symboliques
Sylvie Beyries
Écrire l’histoire des techniques : le cas des industries osseuses du Paléolithique récent
Jean-Marc Pétillon
Entre paléosociologie et paléohistoire : les unités D71 d’Étiolles
Elisa Caron-Laviolette
De la sépulture aux ancêtres: identifier l’invisible, reconstruire les dynamiques sociales
Fanny Bocquentin
Les premiers arts premiers et leur problématique muséalisation
Francesco d’Errico
Sur les traces de l’art gravé paléolithique : analyses et lectures
Nicolas Mélard
De l’œuvre d’art au vestige archéologique dans les grottes ornées : des documents uniques pour connaître les sociétés du passé
Diego Garate
L’art du relevé ou le relevé de l’art
Patrick Paillet
L’esprit des traces
Michel Menu
Déchiffrer la matérialité de l’art paléolithique pariétal in situ
Ina Reiche
Partie III – La Préhistoire : dons et contre-dons
La préhistoire, d’après l’histoire. Considérations actuelles sur un rendez-vous manqué (France, xx* siècle)
Yann Potin
Il n’y a pas de « pré»-histoire
Jean-Loïc Le Quellec
Face aux images paléolithiques
Entretien avec Philippe Descola
Le chien qui voyait la mort
Charles Stépanoff
Historicités non humaines et préhistoire des origines
Frédéric loulian
Prométhée à fourrure. Être l’invention de son ancêtre
Baptiste Morizot
L’altérité du préhistorique
Mathilde Lequin
L’humain avant l’humain. Une évolution en deux étapes?
Etienne Bimbenet
De l’aurochs à la vache : retour sur la naissance d’une si tardive antiquité
Philippe Grosos
Le beau et la bête. Considérations sur l’art paléolithique
Emmanuel Guy
Préhistoire rupestre d’une immensité continentale à peupler : le Brésil
Denis Vialou
Préhistoire: un savoir paradoxal?
Rémi Labrusse
Flamboiement de la métaphore
Jean Rouaud
Préhistoires, langues à clics et poésie sonore
Serge Pey
Partie IV – Partager la préhistoire
Comment la préhistoire s’est imposée au musée d’Archéologie nationale
Catherine Schwab
Le musée national de Préhistoire et ses publics : visées culturelles
Nathalie Fourment et Catherine Cretin
Les musées, l’émerveillement archéologique et le respect de l’altérité préhistorique
Marc-Antoine Kaeser
La Cité de la Préhistoire en Ardèche
Patricia Guillermin
L’art paléolithique de plein air de la vallée de Côa (Portugal) : savoir communiquer
Luis Luis
Reproductions d’art pariétal paléolithique en Europe
Pilar Fatás Monforte
Du cinéma à l’art rupestre
Entretien avec Martin Marquet
Ni fiction, ni documentaire
Pascal Magontier
La voix des temps sans mots
Entretien avec Vincent Charpentier
Frontières ouvertes
Jean-Michel Geneste, Philippe Grosos et Boris Valentin
Les auteurs
Un extrait de Préhistoire, nouvelles frontières
De l’histoire très ancienne
Boris Valentin
…
Aperçu sur l’histoire contingente des derniers chasseurs
Pour illustrer ce que l’on gagne à se défaire de ces deux illusions d’optique très liées l’une à l’autre – le mirage téléologique et la fausse linéarité procédant de l’extrapolation d’un point d’observation limité – référons-nous à mon champ de recherche, l’histoire des chasseurs-collecteurs en Europe occidentale, entre -15 000 et -7000, durant ce que l’on appelle en Europe la fin du Paléolithique récent et le Mésolithique. C’est alors qu’une des plus grandes révolutions symboliques se produit en Europe occidentale : la fin de deux cents siècles de figuration animalière et aussi d’art des grottes vers -14 500. C’est dans son contexte historique spécifique que doit s’apprécier ce bouleversement idéologique et il convient de retracer ces circonstances sans être obsédé, comme on le fut, par ce qu’il adviendra 6000 ans après avec le succès local de l’abstraction dans le Mésolithique de certaines régions (fig. 1). Aucune nécessité ne conduit de l’un à l’autre et, d’ailleurs, il existe un art animalier mésolithique dans quelques régions, comme les alentours de la Baltique (fig. 2) ou la façade orientale de l’Espagne.
Or, malgré cette pluralité des trajectoires historiques à l’échelle même du continent européen, on continue à parler du Mésolithique au singulier alors qu’il conviendrait plutôt de se référer aux Mésolithiques si l’on considère aussi la diversité dans le domaine des techniques (Valentin 2018). Du reste, à la même échelle européenne, il n’y a pas non plus d’homogénéité à partir du dernier maximum glaciaire vers -22 000 quand se met en place un Paléolithique récent méditerranéen anticipant sur certains choix mésolithiques et affichant en cela de nets contrastes avec les traditions plus septentrionales, celles des steppes et forêts claires. Mais, ces milieux étant très étendus jusqu’au début de l’Holocène, le Paléolithique récent européen paraît plus monotone que le Mésolithique des mêmes régions, tout particulièrement varié, peut-être parce que ce dernier coïncide avec une diversification des écosystèmes et un élargissement des terres habitées (hautes latitudes et altitudes ainsi que beaucoup d’îles).
À l’échelle planétaire, la diversité du Paléolithique récent est bien plus prononcée et elle s’accroît également au début de l’Holocène avec divers modes de sédentarisation chez les chasseurs-cueilleurs puis les toutes premières pratiques agricoles et pastorales. Notons que certains utilisèrent autrefois le terme « Mésolithique » dans son sens peut-être le plus efficace – celui d’une véritable transition économique – pour désigner ces sédentarisations quand elles mènent à des Néolithisations. Toutes n’y conduisent pas, comme on le constate avec le fameux Jōmon japonais, ce qui ajoute encore de la diversité…
Collection 54
Publications de différentes disciplines des sciences humaines et sociales
Créée en 2013 et dirigée par Michel Wieviorka, la collection « 54 » est un lieu de publication pour des auteurs de monographies dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Elle offre une place au sein du catalogue des Éditions de la Maison des sciences de l’homme à des ouvrages qui se distinguent par leur traitement, leur originalité, leur regard. Elle s’enrichit d’environ 5 ou 6 titres par an, en anthropologie, histoire, histoire des sciences, philosophie, sociologie, sociologie politique, traduction…
Bertrand Roussel