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Origines de l’Homme, origines d’un homme
Origines de l'Homme, origines d'un homme
Les mémoires d'Yves Coppens
Yves Coppens
Odile Jacobs
Une chronique de Pedro Lima
Présentation de l’éditeur
« Quatre-vingts ans de souvenirs, de rencontres, de voyages, d’initiatives, de résultats, de succès, de joies, de plein de petits plaisirs et de tout petits malheurs, de grands éblouissements.
La paléoanthropologie et l’archéologie ont le devoir scientifique et philosophique de reconstituer l’histoire de l’homme ; elles ont démontré que nos racines étaient animales, prouvé notre cousinage avec les grands singes, déclaré notre origine unique, tropicale et africaine, montré la logique de notre déploiement progressif à travers le monde, et expliqué comment conscience et connaissance ont peu à peu donné à ce drôle de petit mammifère que nous sommes des traits comportementaux que l’on n’avait pas encore vus poindre le long des 4 milliards d’années d’histoire de la vie et qui sont le libre arbitre et la liberté, la responsabilité et la dignité. » Y. C.
Au travers de ses propres Mémoires, et à la lumière des découvertes les plus fondamentales qui ont rythmé sa vie, ce sont, en quelque sorte, les Mémoires de l’humanité que nous restitue ici Yves Coppens, conjuguant le savoir du scientifique, son humanité et le talent de l’écrivain.
Collection Préhistoire Archéologie
Éditions Odile Jacobs
464 pages
La chronique par Pedro Lima, journaliste scientifique et auteur
C’est dans une langue alerte, précise et avec une pointe d’humour toujours prête à surgir, fidèle donc, en cela, au personnage qu’il est, qu’Yves Coppens a choisi de retracer la grande et la petite histoire de sa vie de chercheur. Tricotant, pour cela, les éléments personnels avec ceux de l’histoire évolutive de notre lignée, celle des homininés, à la compréhension desquels il a consacré une bonne partie de sa carrière de paléontologue. Même si, et cela ne sera pas la moindre des surprises pour le lecteur qui n’aurait retenu de la riche carrière d’Yves Coppens que son statut de « père de Lucy » (expression qui suscite immanquablement chez lui un sourire amusé), il n’est pas seulement question d’Australopithèques et autres Homo erectus dans les 450 pages de ce récit enlevé. Car s’il a bien-sûr vécu les époques dorées de la paléo-anthropologie africaine (1960-1980 et 1990-2010), on apprend que la carrière scientifique d’Yves Coppens a débuté, non pas dans les déserts, mais du côté des mégalithes de sa Bretagne natale, comme par exemple le menhir de Locmariaquer, que l’alors jeune étudiant à l’Université de Rennes devenu bien plus tard professeur au Collège de France a du plaisir à faire revivre… Avant qu’il ne s’oriente, à la faveur d’un recrutement au CNRS en 1956 et d’une affectation au laboratoire de paléontologue des vertébrés du Muséum, vers l’étude des proboscidiens fossiles, dont le mammouth dit « de l’Atrikanova » importé en France en 1912 depuis la lointaine et froide Sibérie. Puis vient le temps du terrain de fouilles africain, qui sera pour Yves Coppens, qui s’intéresse de plus en plus aux origines de l’homme autant qu’à celles des éléphants, tchadien avant de devenir éthiopien. Au Tchad, une première bonne étoile conduit l’équipe à laquelle il appartient à déterrer en 1961, sur le site de Yaho (« un paradis »), un crâne partiel d’hominidé baptisé Tchadanthropus uxoris. Une découverte, retentissante à l’époque, et annonçant, avec quatre décennies d’avance (paradoxalement si l’on considère que le nom de Coppens serait plus tard associé à « l’East Side Story » de nos origines), les trouvailles majeures d’hominidés de son collègue Michel Brunet, Abel puis Toumaï, réalisées toutes deux dans ce même pays situé à l’ouest, donc, de la barrière naturelle que constitue la vallée du Rift. La bonne étoile d’Yves Coppens ne le quitte pas lorsqu’il investit, à partir de 1972, le triangle de l’Afar en Éthiopie. Là, avec les pionniers Maurice Taieb, Donald Johanson et Jon Kalb puis des collègues de plus en plus nombreux au fil des années, il participe en 1974 à l’une des plus belles aventures paléo-anthropologiques contemporaines, largement médiatisée depuis : celle de la découverte, puis l’étude, des 52 ossements d’une petite Australopithèque baptisée Lucy. Cette mission, comme toutes les autres, est racontée avec force détails et anecdotes amusantes qui incarnent, tout autant que les articles publiés dans les grands revues, l’histoire de cette quête de nos origines. On découvre aussi, au fil des pages, un Yves Coppens très fidèle en amitiés et en relations, consacrant de nombreux portraits, situés en fin de chaque chapitre, à celles et ceux qui ont marqué son parcours. Ajoutons au tableau scientifique et humain, extrêmement riche, le rôle que le savant a aussi souhaité joué dans la société, en médiatisant largement ses connaissances et en s’engageant sans retenue dans la protection de Lascaux à travers la présidence de son Conseil scientifique, et vous obtenez un ouvrage passionnant, riche d’enseignements et résolument optimiste.
Pedro Lima
L’auteur, Yves Coppens
Découvreur mondialement connu de nombreux fossiles humains célèbres dont Lucy, Yves Coppens est paléontologue. Professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, il a également été professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Il est notamment l’auteur de Pré-ambules , du Genou de Lucy , de L’Histoire de l’homme , d’ Yves Coppens raconte l’homme et, plus récemment, du Présent du passé et de Pré-textes , qui ont été de très grands succès
Sommaire Origines de l’Homme, origines d’un homme
Table
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIER LIVRE
La coupole de granite
Préface
OUVERTURE – Quelques petits sesterces pour les « commissions »
CHAPITRE 1 – Des petits pots pour le sel
CHAPITRE 2 – Des haches dans le porte-monnaie
CHAPITRE 3 – De grosses pierres pour les morts
CHAPITRE 4 – De somptueuses ramures pour le dernier voyage
CIIAP!TRE 5 – De tendres bêtes pour la table
CHAPITRE 6 – De petites pierres pour la pêche à pied
En guise de première conclusion «chauvine»
PORTRAITS Les lettres, les sciences et les arcs
ORIGINES DE L’HOMME, ORIGINES D’UN HOMME
DEUXIÈME LIVRE
Le sable et la cendre
Préface .
OUVERTURE – Encore de petits (et de grands) pots pour la transition
CHAPITRE 1 – L’homme du Tchad qui ne veut pas dire son âge
CHAPITRE 2 – La Voie lactée
CHAPITRE 3 – Lucy ou la hanche de l’Afrique
CHAPITRE 4 – D’autres terres africaines
CHAPITRE 5 – Un bouquet de quelques petites idées
CHAPITRE 6 – Mouillage
Conclusion du deuxième livre .
PORTRAITS – Lamarck, Darwin et Homo faber
TROISIÈME LIVRE
Le savant dans la cité
Préface .
OUVERTURE – Out of Africa, encore quelques fouilles pour la transition
TABLE
CHAPITRE 1 – D’autres terres d’ici et d’ailleurs
D’Asie et d’Amérique – Le sablier inversé
D’Europe et d’Océanie – Le grand écart .
CHAPITRE 2 – Le chaînon manquant
CHAPITRE 3 – Construire et gérer
CHAPITRE 4 – Séduire et transmettre
CHAPITRE 5 – Un autre bouquet de quelques petites idées .
CHAPITRE 6 – A côté
Conclusion du troisième livre
PORTRAITS – La couronne, la kippa, le képi
CONCLUSION GÉNÉRALE – La grande histoire de l’Homme. La petite histoire d’un homme .
Un extrait de Origines de l’Homme, origines d’un homme
Les paninés et les homininés avaient évidemment des ancêtres communs, or on venait d’apprendre qu’ils se trouvaient, là, en Afrique tropicale, et là seulement, dans un milieu forcément forestier étant donné leur anatomie supposée. Les paléontologues qui avaient travaillé sur l’Afrique miocène avaient décrit la forêt équatoriale comme un milieu couvert, dense et continu l’un océan (Atlantique) à l’autre (Indien). Or on savait que la première cassure de la vallée du Rift était certes très ancienne, mais qu’elle avait été réactivée vers 8 millions d’années! Et cette faille, c’était certes un trou de 6 000 kilomètres du sud au nord et par suite un chapelet de lacs, mais c’était aussi une muraille soulevant la lèvre occidentale du trou sur 1 700 kilomètres et jusqu’à plusieurs milliers de mètres d’altitude.
Cette orogenèse, ajoutée au soulèvement de l’Afrique orientale ( Ethiopie, Kenya), avait évidemment entraîné une répartition différente des précipitations et une circulation différente des masses d’air. Les pluies venues de l’Atlantique continuaient d’arroser l’ouest de la faille mais moins l’est. Et le système des moussons , rebondissant sur la muraille de la Rift et sur les hauteurs, elles aussi nouvelles, de l’Himalaya, avait entraîné à l’est un climat aux saisons très tranchées. Sécheresse et saisonnalité avaient fait de l’Est africain, de la muraille du Rift à l’océan Indien, un pays et un paysage de plus en plus sec. Or nous venions de fouiller vingt ans cet Est africain et d’y recueillir des milliers de restes de pré-humains et d’humains anciens mais pas le moindre chicot, pas le moindre bout d’os de préchimpanzés ou de chimpanzés anciens 1. Par ailleurs, les chimpanzés actuels (faute de préchimpanzés ou de chimpanzés anciens que l’on ne connaît pas encore) étaient tous dans la forêt, de l’autre côté de la fameuse Rift Valley.
La conclusion s’imposait : les ancêtres commun des préchimpanzés-chimpanzés-préhumains-humains étaient partout mais leurs descendants, par suite de tous ces caprices géophysiques et consécutivement environnementaux, s’étaient retrouvés par hasard, les uns dans un milieu couvert, les autres dans un milieu de plus en plus découvert. Les premiers s’étaient de mieux en mieux adaptés à la forêt ; les seconds à la savane et à la prairie (avais-je dit) ; les premiers étaient évidemment les paninés, les seconds, les homininés. Ébloui par cette évidence, sans être vraiment dupe d’une solution aussi simple, j’en fis part le lendemain à mes collègues, et cette réflexion apparaît évidemment à la fin de mon texte, prononcé en 1982 et publié en 1983. Comme j’allais enseigner l’année suivante à New York, j’ai trouvé amusant d’appeler cette hypothèse l’ « East Side Story ».
Un collègue hollandais, Adriaan Kordandt, avait dès 1972 attiré l’attention sur cette séparation est-ouest entre chimpanzés et hominidés que créait la Rift Valley, mais il n’en avait pas la démonstration, n’ayant alors pas les fossiles ou, quand il en avait, il n’en avait pas la détermination. Pour expliquer l’ absence des chimpanzés à l’est, il avait par ailleurs proposé que, comme les chimpanzés ne nagent pas, c’était la chaîne des lacs de la Rift qui les avait arrêtés. En fait, il est simple de répondre qu’il y avait suffisamment de place entre les lacs pour passer d’ouest en est s’ils l’avaient souhaité ! L’explication était pour moi ce qu’on appelle l’habitat theory (à tort parce que ce n’est pas une théorie) et qui fait le constat que les animaux inféodés à un habitat n’en sortent pas, mais peuvent par contre étendre leur zone d’occupation si l’habitat grandit ou la réduire si l’habitat rétrécit. Les chimpanzés n’avaient ainsi rien à faire en terrain découvert. Ils ne se posaient pas de question !
Et puis les découvertes incontestables de Michel Brunet, à l’ouest de la Rift (au Tchad) en 1994 d’abord (Australopithecus bahrelghazali de 3,5 millions d’années), puis en 2001 (Sahelanthropus tchadensis de 7 millions d’années), ont retiré l’exclusivité orientale à mon hypothèse. J’acceptai d’ailleurs volontiers les conséquences de ces découvertes et cosignai, à la demande et grâce à la courtoisie de Michel Brunet, comme je l’ai déjà dit précédemment, l’annonce de ces découvertes et la dénomination des deux hominidés nouveaux.
L’East Side s’effaçait, mais la « Story » demeurait ! Les ancêtres communs ( que je place aujourd’hui plus généreusement vers 10 millions d’années) n’en étaient pas moins tropicaux, africains et forestiers et leurs descendants ne s’en trouvaient pas moins, par hasard, les uns dans un milieu de forêt dense, les autres dans un milieu dit mosaïque de forêt claire et de prairie. On me fit un mauvais procès, en jouant sur le fait que le côté où se développèrent les homininés était moins sec que je l’avais prétendu et que, au lieu d’être de la savane, c’était de la forêt claire ! En fait, l’histoire restait la même : les homininés s’étaient mis debout (en permanence) pour s’adapter, à un changement climatique, à un assèchement du paysage, les obligeant à se nourrir à la fois dans les arbres (fruits) et au sol (tubercules), ce qui était nouveau, et du même coup à continuer à pratiquer l’arboricolisme tout en innovant la bipédie (permanente).
1. J’appelais la Rift Valley la « ligne de partage des os » !
de Denis Vialou