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Le temps sacré des cavernes
Gwenn Rigal Les éditions José Corti
Toutes les hypothèse pour expliquer l’Art pariétal depuis les débuts de la science préhistorique : art pour l’art, art pour la chasse, animisme, totémisme, les mythes…
Présentation par l’éditeur :
« Le Temps Sacré des Cavernes » est une synthèse claire et accessible de toutes les hypothèses proposées au fil du temps par la communauté scientifique pour répondre à la question de la signification de l’art des cavernes. Il vient combler un manque dans la littérature consacrée à ce sujet, aucun autre livre ne remplissant un tel cahier des charges. D’ordinaire, le survol théorique se révèle trop rapide ; à moins que l’auteur, théoricien lui-même, ne privilégie ses propres hypothèses au détriment des autres. Rien de tel ici. Fruit de plusieurs années de travail, « Le Temps Sacré des Cavernes » accorde à chaque théorie une attention égale, exposant au besoin les points de friction entre spécialistes.
Collection Biophilia n°10
Corti, novembre 16
95 illustrations de Magali LATIL et Philippe GUITTON
384 pages
Hominides.com
Gwenn Rigal a une nouvelle approche pour tenter d’expliquer l’art préhistorique : il commence par montrer le mode de vie des Homo sapiens il y a 40 000 ans. On peut ainsi découvrir leur régime alimentaire, la fabrication des outils, leurs pratiques sépulcrales, ainsi que les diverses techniques et innovations qu’ils ont utilisées comme la peinture, la sculpture, l’emploi d’ocre… De plus il ne faut pas oublier qu’à la même époque notre ancêtre Cro-Magnon partageait une partie de son territoire avec une autre espèce, Néandertal. Cette autre humanité avait ses propres codes, sa propre « culture »… Maintenant que nous en savons plus sur cet « artisan » aux multiples facettes, que nous sommes un peu plus « rentrés » dans sa peau, l’auteur aborde la deuxième partie de l’ouvrage, sur les explications de l’art préhistorique.
Si les spécialistes sont – presque tous – d’accord sur le comment et le quoi des représentations que l’on trouve dans l’art pariétal (dans les grottes), l’art rupestre (sur des roches exposées à la lumière) ou l’art mobilier (sur les « objets »), il reste un sujet beaucoup moins consensuel : le pourquoi de ces représentations animales et plus rarement humaines. Le sujet fait l’objet de vives discussions depuis les premières découvertes de grottes ornées : l’art pour l’art, la magie de la chasse, le totémisme, l’animisme… Les hypothèses se sont inlassablement succédées depuis plus de cent ans. Certaines ont été invalidées par de nouvelles découvertes alors que d’autres ont disparu pour renaitre plusieurs dizaines d’années plus tard. L’hypothèse du chamanisme est dans ce cas et elle fait un retour musclé depuis quelques années.
L’auteur répertorie toutes les hypothèses, sans prendre partie, mais en indiquant clairement les arguments « pour » et les « contre ». C’est un véritable travail de fond qui a été réalisé par Gwenn Rigal pour documenter cette évolution et l’affrontement des idées influencées par la religion, les époques, les protagonistes ou même un certain ethnocentrisme.
Ce livre est un véritable trésor et une mine d’informations pour qui s’intéresse au « pourquoi » de l’art préhistorique. Dans une langue et un style très abordables Gwenn Rigal réussit à faire un tour d’horizon complet de toutes les hypothèses sans jamais être ennuyeux ou rébarbatif. Plus on avance dans le livre, plus on a envie d’aller plus loin… Tous les lecteurs y trouveront leur compte : le néophyte comprendra facilement les enjeux et le spécialiste trouvera des références qu’il ne connaissait pas !
Si les manifestations artistiques des premiers hommes vous intéressent, ce livre va devenir l’un de vos préférés…
Indispensable !
CR
La première partie présente l’artiste. En se basant sur les publications les plus récentes, l’auteur établit un portrait précis de Cro-Magnon, évoquant tour à tour ses ancêtres, ses contemporains, son apparence, son régime alimentaire, son mode de vie, son équipement, ses relations sociales comme avec son environnement (animaux, éléments) et les traces qu’il a laissées en termes de pensée symbolique et de spiritualité.
La seconde partie, consacrée aux interprétations, propose au lecteur un travail d’analyse critique aussi exhaustif que possible : l’art pour l’art, zoocénose, culte de l’ours, magies d’envoûtement, de fertilité, de destruction et d’apaisement, zodiaque préhistorique, chamanisme, totémisme, dualisme primordial, rites d’initiation, code de chasse préhistorique, enseignement de la chasse par rabattage, enfin mythes liés à la Genèse et à la fertilité. Le lecteur, ainsi éclairé, pourra enfin se forger son intime conviction.
L’auteur, Gwenn Rigal
Gwen Rigal est guide-interprète dans les répliques des grotte de Lascaux II puis Lascaux IV.
Sommaire de Le temps sacré des cavernes
Préface de Romain Pigeaud
Introduction
Chapitre I
Mise en garde
1 • Méfiez-vous de l’art, de la culture et de la religion
2 • Le piège du temps long
3 • Invariants et évolutions culturels
Chapitre II
Néandertal et Cro-Magnon, premiers européens
1 • Le Paléolithique inférieur
2 • Le Paléolithique moyen
3 • Le Paléolithique supérieur
4 • Bye-bye Néandertal
5 • Néandertal, une âme d’artiste ?
Chapitre III
Chasseur noir, cœur nomade
1 • Portrait-robot
2 • Un coureur des steppes
3 • À la carte ce soir
4 • Un isolement tout relatif
Chapitre IV
Armé pour survivre
1 • Feu !
2 • Déballage du matériel
3 • Le choix des armes
4 • Tenue correcte exigée
5 • Un fidèle compagnon
Chapitre V
Un bon sauvage ?
1 • L’union fait la force
2 • L’Homme est un loup pour l’Homme
3 • Les rapports hommes femmes
4 • Une société égalitaire ?
Chapitre VI
Symbolisme et Sacré
1 • Art mobilier et objets de parure
2 • Les Sépultures
3 • La grotte, espace symbolique
4 • La grotte, espace sacré
5 • Musique et mise en scène
6 • La Nature sacrée
Chapitre VII
Epistémologie et théories liées à la chasse
1 • Un peu d’histoire de la Préhistoire
2 • La zoocénose
3 • L’hypothèse magique
4 • Autres hypothèses cynégétiques
5 • Discussion
Chapitre VIII
Animisme et Totémisme
1 • Une hypothèse animiste : le culte de l’ours
2 • L’hypothèse chamaniste
3 • Discussion
4 • L’hypothèse totémiste
5 • Discussion
Chapitre IX
Un espace organisé
1 • Une structure unique
2 • Des sous-ensembles régionaux
3 • Autant de structures que de grottes
4 • Une proto-écriture ?
Chapitre X
L’hypothèse mythique
1 • Une hypothèse fragile
2 • Des mythes rescapés de la Préhistoire ?
3 • Le temps mythique de la Genèse
4 • Le temps cyclique de la reproduction
Chapitre XI
La fin de l’art des cavernes
Conclusion
Index et bibliographie
Un extrait de Le temps sacré des cavernes
Introduction
« Depuis treize ans que j’exerce le métier de guide-interprète à Lascaux II, un nombre incalculable de visiteurs est passé dans le rayon de ma lampe-torche. Ils se pressent chaque année par centaines de milliers à Montignac, charmante petite bourgade du Périgord Noir, pour venir admirer les peintures de la « Chapelle Sixtine de la Préhistoire », reproduites à quelques centaines de mètres de l’original sur la colline de Lascaux. Originaires du monde entier, de tous âges et milieux sociaux, plus ou moins intéressés par la Préhistoire, les gens que j’accompagne en visite ont parfois une idée bien à eux des Hommes de Cro-Magnon, nourrie de préjugés forgés par la machine médiatique et la culture populaire, mêlés à quelques réminiscences de cours d’histoire. Ainsi, certains imaginent nos ancêtres chasseurs-cueilleurs comme de petits bonshommes poilus s’exprimant par borborygmes et cherchant la protection des grottes pour y installer leurs campements.
Et si Cro-Magnon passait son temps libre à peindre des animaux sur les parois de sa maison, c’était – pensent-ils – pour les inscrire au menu du lendemain. Ou alors par souci esthétique, en guise de papier peint préhistorique. Lors de chaque visite, l’une de mes premières tâches consiste donc à faire tomber quelques clichés : non, les Cro-Magnon n’habitaient pas au fond des grottes. Non, ils n’étaient pas particulièrement petits et leurs traits n’étaient pas plus simiesques que les nôtres. C’étaient au contraire des Hommes pleinement modernes, sur le plan physique autant qu’intellectuel, et qui s’exprimaient dans des langages parfaitement articulés, quoique inconnus de nous.
Ces quelques évidences s’imposent d’elles-mêmes dès la fin du laïus introductif, lorsque les gens accèdent enfin à la grotte et qu’ils se retrouvent projetés au milieu du fabuleux bestiaire polychrome de la Salle des Taureaux, prisonniers d’un imaginaire vieux de 20.000 ans qui leur parle autant qu’il leur échappe. Ce décor impressionnant, qui porte la marque d’une humanité pleine et entière, calme les derniers doutes en même temps qu’il provoque de nouveaux questionnements. Et c’est à ce moment-là, précisément, que mon métier devient frustrant.
Car les questions que l’on me pose alors démarrent invariablement par « comment ? » et par « pourquoi ? ». « Comment ? », j’en fais mon affaire. Les réponses, d’ordre technique, existent la plupart du temps. « Pourquoi ? », en revanche, me laisse souvent démuni. Ces gens, qui ne possédaient pas d’écriture, sont morts il y a 20.000 ans et les réponses à nos questions ont disparu avec eux. Certes, des scientifiques, préhistoriens, archéologues, ethnologues, historiens de l’art et autres mythologues se penchent sur cette épineuse question de la signification de l’art des cavernes depuis plus d’un siècle maintenant.
Et leurs travaux ont permis d’accoucher de nombreuses hypothèses et aussi de quelques certitudes. Mais exposer ces travaux dans le cadre étroit d’une visite de 40 minutes n’est pas sérieusement envisageable. Du coup, la frustration naît de devoir à chaque fois broder une nouvelle variation sur le thème : « Personne n’en sait rien. Mais le mystère confère certainement à ces œuvres un supplément d’âme. », quand tout ce qu’on aurait envie de répondre, c’est : « La question est passionnante. Plusieurs théories ont été élaborées au fil du temps, qui toutes se basent sur des indices vraiment troublants. Resserrez donc ce plaid, dégustez tranquillement votre thé et laissez-moi vous raconter…. ».
Vous y êtes ? Alors, commençons.
De récentes datations réalisées dans la grotte d’El Castillo, dans le nord de l’Espagne, feraient remonter les débuts de l’art des cavernes, plus précisément dénommé art pariétal du Paléolithique supérieur européen, à plus de 40.000 ans (Pike, 2012). Par art pariétal, il faut entendre art réalisé sur paroi – de grotte ou d’abri. Et par Paléolithique supérieur, on se réfère à une période de la Préhistoire qui démarre en Europe avec l’arrivée de l’Homme moderne (40.000 BP 1 environ) et s’achève en même temps que le dernier âge glaciaire (12.000 BP environ).
Durant toute cette période longue de près de 30.000 ans, les Hommes préhistoriques ne cesseront de graver, dessiner, peindre, sculpter et modeler. On sait aujourd’hui que l’art en grotte n’était qu’une des multiples expressions artistiques de Cro-Magnon, mais c’est celle qui s’impose à nous aujourd’hui, beaucoup d’œuvres réalisées à l’air libre ayant depuis longtemps disparu.
Au fond des grottes obscures, Cro-Magnon a donc tracé des animaux – essentiellement des grands herbivores – et des signes. On y trouve aussi un nombre appréciable de symboles sexuels, notamment des vulves, quelques humains et c’est à peu près tout. Pas de paysages, aucun contexte. Pourquoi ? Et comment expliquer que cet art ait pu conserver autant d’invariants sur une aussi longue durée et sur un aussi vaste territoire, qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural ? Pensez qu’il s’est écoulé autant de temps entre Chauvet et Lascaux qu’entre Lascaux et nous. Les premiers dessins de la grotte Chauvet, en Ardèche, remonteraient à 37.000 ans, tandis que les peintures de la grotte périgourdine de Lascaux seraient plus récentes d’au moins 15.000 ans.
Et même si neuf grottes ornées sur dix découvertes à ce jour l’ont été en France et en Espagne, dans ce que l’on nomme l’Arc franco-cantabrique (Charente, Dordogne, Lot, Pyrénées, Pays basque, Cantabrie, Asturies), les échelles géographiques demeurent malgré tout impressionnantes : des pays aussi éloignés les uns des autres que l’Angleterre, l’Italie, la Bosnie, la Roumanie et la Russie possèdent tous un art des cavernes glaciaires.
Et partout, on note les mêmes types de sujets. L’homogénéité apparente de ces œuvres suggère qu’il a existé un fonds culturel commun à toute l’Europe pendant le Paléolithique supérieur. Selon le préhistorien et ethnologue André Leroi-Gourhan (1976), il s’agirait de la première « civilisation européenne ». Dotée de régionalismes marqués, certes, mais tout de même puissamment structurée par ses invariants culturels.
Même si la question fait aujourd’hui débat à propos de quelques sites bien précis, comme El Castillo en Espagne ou La Roche-Cotard en France, l’essentiel de la communauté scientifique s’accorde sur l’une de ces constantes : l’art pariétal serait bien l’œuvre exclusive de l’Homme anatomiquement moderne, également appelé Homo sapiens ou Homme de Cro-Magnon.
Il y a 40.000 ans, lorsque se forgeaient les premières œuvres d’art en Europe, un Homme pourtant presque aussi moderne que lui quittait la scène : Homo neanderthalensis, l’Homme de Néandertal (Galvan, 2014). On a longtemps sous-estimé les Hommes préhistoriques, Néandertal davantage encore que Cro-Magnon. Or, si les preuves d’un art pariétal attribuable à Néandertal font pour le moment défaut, on sait désormais que tous deux étaient des Hommes au sens plein du terme, au point d’ailleurs de figurer ensemble au rang de nos ancêtres directs. Seul le sujet de ce livre m’amènera donc à m’intéresser à sapiens plus qu’à son proche parent, à travers les œuvres qu’il nous a léguées.
En me proposant de vous aider à décrypter quelques pans de l’art des Cro-Magnon, je cède à un vieux fantasme longtemps refoulé car risqué, surtout au vu de ma modeste position d’amateur éclairé. Pour être légitime, ma parole se fondera donc presque exclusivement sur les travaux scientifiques consacrés à ce sujet et toute erreur subsistante devra évidemment m’être imputée.
Je tâcherai aussi de procéder par ordre et consacrerai la première partie de ce livre à l’émergence d’un comportement moderne chez l’Homme, c’est-à-dire essentiellement aux premières traces de pensée symbolique, dont l’Art pariétal n’est qu’un avatar tardif. Ce long préambule s’attellera aussi à dresser le portrait-robot le plus précis possible de l’Artiste, à partir des rares vestiges laissés à notre disposition. Et ce n’est qu’après complétion de cet indispensable travail préliminaire que nous irons débusquer ensemble, au fond des grottes, certaines des œuvres d’art les plus anciennes de l’humanité.
1 Before Present (BP) : Afin de disposer d’un point de référence universel, les scientifiques expriment toutes leurs datations par rapport au présent (et non par rapport à Jésus-Christ). Comme le « présent » est une notion mouvante, qui se déplace chaque année, l’année 0 a été placée par convention en 1950. Ainsi, une date de 20.000 BP signifie en fait « 20.000 ans avant 1950 «