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L’Enigme Denisova
L’Enigme Denisova
Silvana Condemi
François Savatier
Une critique de Jean-Luc Voisin
Après Néandertal et Sapiens La découverte d'une nouvelle humanité
Présentation de l’éditeur :
En décembre 2010, l’humanité recevait un incroyable cadeau de Noël : un ADN inconnu. Extrait d’une phalange mise au jour dans une grotte de Sibérie, il indiquait qu’il y a 50 000 ans, Sapiens a rencontré Néandertal, mais aussi un autre humain : Dénisova, une espèce définie pour la première fois par ses gènes et non pas par ses fossiles. Plus intrigant encore, ce frère oriental aurait peuplé une immense aire géographique, de l’Altaï aux Philippines.
Depuis quand ? D’où venait-il et comment vivait-il ? Et comment expliquer qu’en Nouvelle-Guinée, on porte aujourd’hui jusqu’à 5% d’ADN dénisovien ?
C’est pour répondre à ces questions que les auteurs ont mené une ambitieuse enquête scientifique. De l’« Homme de Pékin » cher à Teilhard de Chardin jusqu’aux dernières découvertes de la paléogénétique, en passant par le Pithécanthrope de Java et l’étrange « Homme dragon », ils nous content une épopée inédite et réécrivent la longue histoire du peuplement de notre planète.
Editions Albin Michel
313 pages
Jean-Luc Voisin
Denisova ? Qui est cet illustre inconnu ? Un individu ? Une nouvelle humanité ? Autant à l’Ouest rien de nouveau, mais quel révolution à l’Est !
Les auteurs (qui ne sont pas à leur coup d’essai) proposent ici le premier ouvrage en français (et aussi le premier mondial) sur une lignée humaine découverte en 2010 dans les massifs de l’Altaï (Russie). Depuis cette date, les débats et les recherches vont bon train au sein de la communauté des paléoanthropologues sur cette nouvelle humanité que sont les dénisoviens ! Etrangement, ces dénisoviens sont largement, voir totalement, méconnus du grand public.
Le livre, très bien écrit, se lit comme un roman policier et vous tient en haleine jusqu’à la dernière page Ainsi, cet ouvrage est organisé très simplement et commence par la surprise provoquée par la découverte de ce nouveau groupe humain, frère oriental de Néandertal. C’est une première dans le monde paléoanthropologique! En effet, le site de Dénisova était connu depuis les années 80, mais les restes osseux se limitaient soit à des fragments trop abîmés par la mastication des hyènes pour en tirer quelque chose soit à quelques dents de très grandes dimensions. C’est l’avènement de la paléogénomique qui permis de définir ce nouveau groupe humain ! En d’autres termes, les dénisoviens ont été découverts grâce à l’ADN fossile.
Bien que la définition d’une nouvelle humanité par la génétique soit une première en paléoanthropologie, les quelques fragments d’os pouvant s’y rapporter ne semblent pas casser trois pattes à un canard, alors pourquoi un ouvrage aussi épais ? Tout simplement parce que les découvertes à son sujet, aussi bien à partir des populations Sapiens actuels que fossiles révolutionnent notre vision de l’évolution humaine. Les auteurs réussissent la prouesse de présenter une montagne d’information très complexe en quelques pages très simples à lire sur le peuplement de l’Asie et sur frère oriental de Néandertal.
Les auteurs montrent ainsi que certaines populations actuelles comprennent jusqu’à 5% d’ADN dénisovien et que ces derniers occupaient un territoire allant de l’Altaï au Tibet actuel et à l’Asie du sud-est. On apprend aussi que des adaptations bien spécifiques à certaines populations humaines actuelles, en particulier celle des populations tibétaines à la très haute altitude sont hérités des ….. dénisoviens !
Les auteurs terminent leur ouvrage par l’analyse de certains fossiles asiatiques, en particulier chinois, qui n’entrent dans aucun cadre théorique satisfaisant et qui sont sources de débats sans fin depuis des décennies pour certains d’entre eux. Les auteurs montrent qu’ils sont très certainement dénisoviens et les font enfin renter dans un espace évolutionniste logique. Par cet intermédiaire on découvre ainsi les histoires rocambolesques d’un grand nombre d’entre eux. La vie après la mort de nombreux fossiles est tout sauf un long fleuve tranquille !
Le texte est accompagné d’une iconographie de très grande qualité, des cartes, des photos des schémas et des dessins originaux de l’illustrateur Benoît Clarys. Ce dernier a réussi l’exploit de représenter les caractéristiques morphologiques « types » des deux grandes populations dénisoviennes, celles du nord et du sud, à partir non seulement des caractères osseux mais aussi (ce qui est totalement nouveau) à partir des profils de méthylation de l’ADN et bien sûr du génome lui-même.
Pour conclure, je recommande vivement la lecture de cet ouvrage aussi bien aux néophytes de la préhistoire qu’à des lecteurs beaucoup plus aguerris dans ce domaine !
Jean-Luc Voisin
UMR 7268 ADES, Aix-Marseille Université/EFS/CNRS, Faculté de Médecine – La Timone, 27 Bd Jean Moulin, 13385 Marseille Cedex 05, France
Les auteurs
Silvana Condemi est paléoanthropologue, directrice de recherche au CNRS à Aix-Marseille Université.
François Savatier est journaliste au magazine Pour la Science où il couvre notamment les sciences du passé.
C’est le troisième ouvrage du Duo après Néandertal, mon frère (2016) Grand prix du livre d’archéologie 2017 et Dernières nouvelles de Sapiens (2021)
Sommaire de « L’énigme Denisova »
Prologue
PARTIE I
LE TROISIÈME HOMME
1. L’énigme
Quand une phalange jette un froid .
Vague après vague
Svante t’es Bo
Coup de théâtre nucléaire
Impertinence paléogénétique
Un frère asiatique ?
2. Dans la grotte de Denisova
L’Altaï, un carrefour, déjà
Maudites hyènes mâchouilleuses !
Frigo à ADN
Dur à croire pour les durs à cuire
Un coup de ZooMS sur Denisova
Le premier métis de l’Histoire
3. Dénisova, une espèce humaine ?
Un mot passe-partout
Lions d’Asie et d’Afrique
La spéciation en question
De l’espèce en paléontologie
Le concept d’espèce d’après l’ADN
La différence génétique Sapiens/Néandertal
Une espèce dénisovienne ?
4. Dénisova par ses gènes
Dénisova avec gènes, mais sans gêne
Premières bribes de réponses
Les frères de Dénisova
Une question de profondeur
Une forme humaine inconnue
Des dénisoviens sans os
5. Un immense empire à l’est
Papous métissés
Le Collège de France à la rescousse
Quand Dénisova aide Sapiens
PARTIE II
LES ORIGINES
6. Avant Dénisova : l’étrange Homo erectus
Le premier Pékinois
Plusieurs H. erectus en Asie ?
Alerte météorite !
Une science influencée par les génocides
Dénisova à l’ombre d’H. erectus
7. Le système Terre, fabrique de Dénisova
Le système Terre
Glaglagla…
Les immenses variations subtropicales
Des vagues débordent du chaudron
8. Dénisova, fils du métissage
Le métissage, constante de l’évolution humaine
Pister les formes humaines généralistes
Des stades biologiques aux stades culturels
Une première vague généraliste ?
Et une deuxième vague avérée
Le cas problématique de la Chine
9. L’ancêtre de Dénisova et de Néandertal
H. heidelbergensis en Afrique
À la poursuite des bifaces
Le feu, père de l’ingénieur
La culture, mère de l’anatomie humaine
Sur la piste de l’H. heidelbergensis
Un net parallélisme évolutif
10. Le fils de l’Est
Si l’éléphant et le lion pouvaient parler
Sur la route indienne
Pluie de feu
Comment l’Extrême-Orient fut dévasté
Une Asie du Sud-Est vide ?
Une troisième vague dissoute dans la forêt ?
11. L’empire du Bambou
L’hypothèse bambou
Le couteau suisse asiatique
Le milieu du monde est en Chine
La pierre taillée, un indicateur peu clair en Chine
Du feu en Chine, comme partout
La chronologie de Dénisova
PARTIE III
Dans la peau de Dénisova
12. Portrait-robot de Dénisova
Bouddha et Dénisova dans les montagnes
L‘abominable dénisovien des neiges
Quand la « police scientifique » s’en mêle
Le phénotype d’un drôle de type
13. À la recherche des fossiles dénisoviens perdus
Dali, surréaliste ou réaliste ?
Casse-tête chronologique et grosse tête
Quand Dénisova prend la grosse tête
Maba le malchanceux
Penghu, un dénisovien sous la mer
De probables dénisoviens, qui se la joue Solo
14. Dénisova retrouvé, son corps et son visage !
Le corps d’une femme du Nord .
Harbin, l’Homme venu du froid
Un mâle robuste
Un Homme dragon, vraiment ?.
Du portrait-robot au portrait vrai.
15. Dénisova vivant
Un peu d’ordre dans le marigot
Du portrait paléontologique à la nature morte
Table des matières
Au nord, la steppe
Néandertal et Dénisova n’ont pas disparu.
Bibliographie
Remerciements
Des mêmes auteurs
Crédits
Annexes
Un extrait du livre « L’énigme Denisova »
…Il serait trop long de détailler ici les nombreux traits qui séparent Néandertal de Sapiens, alors contentons-nous de présenter brièvement sa tête, car, comme nos lecteurs le découvriront à la fin de ce livre, les caractères du crâne de Dénisova, une fois celui-ci identifié, joueront un rôle crucial dans la caractérisation de la morpho-espèce dénisovienne.
Mais n’avançons pas trop vite : selon Marcellin Boule, le crâne néandertalien serait « bestial ». Pourquoi ? Il est surtout en forme de « ballon de rugby », c’est-à-dire tout en longueur, tandis que le crâne sapiens est en « ballon de foot », c’est-à-dire tout en hauteur, comme une maison. De fait, les os crâniens de Néandertal sont allongés vers l’avant, tandis que ceux de Sapiens se développent en hauteur. Par ailleurs, la face néandertalienne est à l’avant du crâne – on dit « en museau » –, tandis que celle de Sapiens est à l’aplomb du front, sous la boîte crânienne.
Ressentez-vous à quel point ces quelques traits néandertaliens sont étranges ? Sans doute serez-vous d’accord avec nous pour, à partir de son crâne seulement, faire d’H. neanderthalensis une morpho espèce distincte d’H. sapiens. Mais n’êtesvous pas subjectifs ? L’étrangeté imaginée à partir de ces différences n’est peut-être guère supérieure à celle – bien réelle – que ressent, qui sait, un aborigène australien en contemplant les nez étroits et les visages blafards des Européens ?
Le cas de Néandertal illustre le fait qu’en paléoanthropologie, le choix des traits osseux à retenir pour caractériser une morpho-espèce joue un rôle tout à fait central. Il est si crucial qu’il est toujours l’objet d’âpres et longs débats sur l’origine et l’évolution des caractères : furent-ils produits par la spéciation sans bénéfices adaptatifs ou sont-ils le résultat d’adaptations à des conditions particulières ? Les chercheurs s’affrontent aussi intensément sur l’interprétation de chaque caractère. Après avoir étudié et réétudié tous les traits osseux de Néandertal, les paléoanthropologues l’ont élevé au rang d’espèce. Avec Dénisova, nous sommes dans une impasse, parce que les quelques dents et fragments osseux disponibles semblent dénués de traits spécifiques.
Bref, nous sommes dans un moment singulier de la paléoanthropologie : pour la première fois dans l’histoire des sciences, une forme se distingue par ses gènes et par rien d’autre. Dès lors, s’agit-il d’une espèce ?
Le concept d’espèce d’après l’ADN
Oui, mais le sens de la notion d’« espèce génétique » est très technique : il revient à considérer que les individus d’un groupe appartiennent à une même espèce si les variations génétiques à l’intérieur de ce groupe sont nettement moindres que les variations génétiques entre ce groupe et tous les autres.
Voilà qui semble clair, mais qui est aussi relatif ! Pour nous donner une première notion de ce que cela signifie, rappelons les proportions d’ADN partagées entre les formes vivantes.
Nous avons par exemple de l’ordre de 35 % d’ADN commun avec Narcissus jonquilla, la jonquille, mais pratiquement 98,8 % d’ADN commun avec Pan troglodytes, le chimpanzé.
Toutefois, cette façon de comparer les ADN est biaisée, car ce sont surtout les gènes, c’est-à-dire les séquences d’ADN présidant à la synthèse de protéines. Un génome est donc fait d‘« ADN codant des protéines » et d’« ADN non codant »...