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Cosmogonies
Julien D’huy
La préhistoire des mythes
Préface de Jean-Loïc Le Quellec
Editions du Patrimoine
Présentation de l’éditeur
Comment expliquer les ressemblances troublantes que l’on observe entre des mythes dont l’aire de répartition fait parfois le tour de la Terre, alors même que les populations auprès desquelles ils ont été recueillis, distantes dans l’espace ou dans le temps, n’ont pu se côtoyer ? Se pourrait-il que cet air de famille relève non de convergences fortuites mais de véritables liens de parenté unissant des récits transmis de génération en génération au fil du peuplement humain de la planète ? En empruntant aux biologistes de l’évolution leurs méthodes statistiques de classification des espèces du vivant sous forme d’arbres phylogénétiques, cet ouvrage novateur entreprend d’étayer de manière rigoureuse une intuition fondatrice de la mythologie comparée.
De Polyphème à la Femme-Oiseau et à la Ménagère mystérieuse, en passant par le Plongeon cosmogonique, le Soleil volé et les mythes de matriarchie primitive, Julien d’Huy montre comment des récits apparemment disjoints les uns des autres se ramifient autour de troncs communs, qui s’enracinent dans les profondeurs de la Préhistoire. Suivant leur évolution, ponctuée d’altérations, d’emprunts et d’oublis, au gré des pérégrinations de notre espèce, il retrace la généalogie de grandes familles de mythes qui se sont propagées depuis des temps immémoriaux.
Mais la reconstitution de ce processus de transmission d’un patrimoine mythologique ouvre une perspective plus vertigineuse encore : reconstruire les protorécits dont les versions documentées sont issues ; autrement dit, faire à nouveau résonner les premiers mythes de l’humanité et appréhender la vision à travers laquelle nos lointains ancêtres donnaient sens au monde qui était le leur.
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Editions La Découverte
1576 pages
39 euros
Hominides.com
Dans les sociétés occidentales, nous sommes de moins en moins exposés aux mythes. Auparavant, les générations se « passaient le relais » et se racontaient ces histoires mêlant des dieux, des Hommes, des animaux fantastiques, des géants… Souvent, ces histoires permettaient de trouver une explication à des événements ou un passé : la création du monde, de l’humanité, l’organisation sociale, le patriarcat…
Le mythe se diffusait, de bouche à oreilles, puis à tout le clan, de proches en proches…
En examinant les milliers de mythes qui ont couvert la planète, il apparaît que l’on peut les relier les uns aux autres soit par l’histoire en elle-même, soit par les protagonistes, soit par les actions entreprises… Il y a comme un air de famille alors que certains mythes « frères » ont été identifiés à des milliers de kilomètres sans que les populations d’origine aient pu matériellement se rencontrer.
Comment deux mythes peuvent ainsi être aussi proches par leurs trames et aussi éloignés par leurs lieux de diffusions ?Pour expliquer cette proximité, Julien d’Huy reprend les différentes hypothèses émises par les chercheurs précédents sur la diffusion des mythes. Il faut les répertorier et les classer pour trouver les éléments qui les rapprochent. C’est le travail le plus fastidieux et compliqué de l’étude : fabriquer des statistiques sur des récits venant du passé. Mais c’est cette approche « mathématique » qui va permettre de regrouper les mythes qui peuvent apparaître très différents à première vue.
Un arbre peut ainsi se dessiner avec un récit commun, sorte de tronc, à partir duquel divergent des récits légèrement différents, les branches… qui elles-mêmes se divisent créant encore de nouveaux mythes… Cela rappelle très fortement les arbres phylogénétiques inspirés de l’évolution par sélection naturelle expliquée par Charles Darwin, ou les arbres de généalogie linguistique. Ces études vont permettre d’étudier différentes versions d’un même mythe.
Si l’on comprend comment les mythes ont évolué pour arriver jusqu’à nous, il est même possible, théoriquement, de retrouver les origines de ces récits… au Paléolithique ?
Un pavé de connaissances et de recherches tinstructif même si vous n’êtes pas, avant la lecture, un amateur de mythes.
C.R.
Les auteurs de Cosmogonies
Julien d’Huy est docteur en histoire (Institut des mondes africains). Ses travaux ont fait l’objet de nombreuses publications dans des revues scientifiques. Cet ouvrage est le premier à développer une approche systématique de la phylogénétique des mythes.
Sommaire de Cosmogonies
Premier mouvement / Le cycle de la terre
1. Polyphème
Une brève histoire des classements en mythologie comparée
Un exercice pour comprendre
La généalogie des mythes
2. De l’approche phylogénétique en mythologie comparée
Des mythes et des arbres
L’arborescence des mythes
Les arbres de Polyphème
Au-delà de l’arbre…
Comment s’est diffusé le mythe ?
Une évolution alternant stases et changements
Reconstruction du protorécit
Des mythes aux sociétés ?
Conclusion provisoire
Interlude. Le serpent gardien des eaux
Deuxième mouvement / Le cycle de l’eau
3. Le Plongeon cosmogonique
Une histoire partagée des deux côtés du détroit de Béring
L’interprétation géologique
L’interprétation psychanalytique
L’interprétation aréale
L’interprétation structurale
Une version sibérienne du Plongeon cosmogonique
Des mythes en rapport de transformation
4. Comment se transmettent les traditions mythologiques
Création du monde et catastrophes cosmiques
Un arbre de traditions ?
Reconstruction de protomotifs mythologiques
Autour du Plongeon cosmogonique
Conclusion provisoire
Interlude. Le serpent a-t-il volé le soleil ?
Troisième mouvement / Le cycle du feu
5. Le vol du feu
Soleil caché, soleil volé
Le feu à la source du soleil
Conclusion partielle
6. Les mythes de matriarchie primitive
Le matriarcat originel : un récit patriarcal
Une symbolisation fondatrice
Faire du mythe à partir du mythe
Se libérer des mythes ?
7. La maîtresse des animaux
Retour à Polyphème
Dans la caverne obscure
En résumé
Interlude. Du mythe au conte
Quatrième mouvement / Le cycle de l’air
8. Le récit de la Femme-Oiseau
Une alliance avec la surnature
Un peu de structuralisme pour rejoindre la phylogénétique
Une femme-oiseau aquatique
L’approche aréologique
Approche statistique des mythes de la Femme-Oiseau
Différentes interprétations du récit
9. La Ménagère mystérieuse
La Ménagère mystérieuse et la Femme-Oiseau : un groupe de transformation ?
Analyse statistique de la Ménagère mystérieuse
Exogamie et patrilocalité
La Femme donatrice
Final en mythe majeur
La sortie d’Afrique et le peuplement de l’Eurasie
Le peuplement des Amériques
Un lien entre les peuples
Annexes
Annexe de la première partie
Arbre bayésien
Arbre de parcimonie
Calcul de l’effet de la distance depuis trois origines possibles du mythe de Polyphème
Calcul de la corrélation entre nombre de nœuds et longueur des branches
Annexe de la deuxième partie
Base de données sur laquelle s’appuie l’approche phylogénétique
Effet de la distance géographique sur la variabilité des mythes
Méthode de construction des arbres de tradition
Annexe de la troisième partie
Le récit du Soleil volé : corpus
Méthode de construction des arbres
Utilisation du logiciel Structure
Les mythes d’origine du feu et de la matriarchie
Annexe de la quatrième partie
Base de données sur laquelle s’appuie l’approche phylogénétique des traditions liées à la sexualité (partie F du corpus de Yuri Berezkin) et analyses subséquentes
Méthode de construction des arbres de la Femme-Oiseau
Méthode de construction des arbres de la Ménagère mystérieuse
Remerciements
Bibliographie.
Un extrait de Cosmogonies
Faire du mythe à partir du mythe (page 213-214)
La matriarchie primitive n’a sans doute jamais eu d’autre existence qu’imaginaire, et les travaux qui défendent l’hypothèse de sa réalité archaïque relèvent du mythe scientifique. Bachofen et ses épigones
n’en ont pas moins continué d’inspirer des théories matriarcales jusqu’à nos jours. Parmi celles-ci, on peut citer l’hypothèse d’une ancienne hypothèse européenne « gynocratique » postulée par l’archéologue et préhistorienne américaine d’origine lituanienne Marija Gimburas dans
les années 1950, la réévaluation du rôle des femmes dans les textes sacrés par la théologie féministe ou encore les « études matriarcales» développées dans le sillage du féminisme de la deuxième vague des années 1970.
L’existence d’un ancien matriarcat était largement acceptée par les féministes de cette période, aiguillonnant leur désir d’émancipation (Ellen 2000: 3; Zerilli, 2005: 101). Les études matriarcales proprement dites furent inaugurées par l’ouvrage de l’artiste et historienne d’art Merlin Stone, When God Was a Woman (1978). Ces théories sont restées d’actualité tour au long des années 1970 et 1980. Le débat n’est pas épuisé et la féministe allemande Heide Gôttner-Abendroth (2017) l’a récemment relancé: elle définie comme matriarcales les sociétés matrilinéaires, matrilocales, égalitaires et vénérant une divinité féminine, bien que les femmes n’y exercent pas le pouvoir en tant que tel. La subsistance de ces îlots « matriarcaux » à travers le monde serait ainsi la preuve d’une humanité matriarcale originelle (caractérisée par une organisation non hiérarchique plutôt que par une domination féminine), qui aurait progressivement été supplantée par le patriarcat. Cependant, cette tentative de sauver l’hypothèse d’un matriarcat primitif en modulant ses critères de définition se heurte au fait que la chercheuse « ne peut en trouver, dans le monde actuel, que des « restes », puisque chacun des critères est interprété – sans preuve
comme survivance d’un état ancien où [ils] auraient été présents au sein d’une société véritablement « matriarcale »» (Le Quellec et Sergent, 2017, 766).
Si le matriarcat, au sens d’un système social où les femme détenaient l’ensemble des pouvoirs politiques, religieux, symboliques
et économiques dont les hommes les auraient privées par la suite, n’a pratiquement aucune chance d’avoir existé (Héritier, 2002; Testart,
2010), comment expliquer la permanence et le succès de l’hypothèse matriarcale dans l’imaginaire occidental ?
Sans doute tiennent-ils aux échos que cette théorie suscite dans nos sociétés : reliant le combat actuel pour l’égalité encre les sexes à un lointain passé, elle légitime ce combat et envisage son issue victorieuse en suggérant que la domination masculine ne se serait pas imposée de route éternité. Ce qui est donc recherché dans le passé par les tenants de cette hypothèse relève de l’altérité, la possibilité d’un monde autre, plutôt que de l’identité.
Le mythe se trouve ainsi remotivé, réapproprié au gré de préoccupations sociétales. Son message premier – qui était de justifier la domination des hommes sur les femmes par les abus et les mésusages du pouvoir commis par ces dernières lorsqu’elles en disposaient – n ‘est plus compris et reçoit une nouvelle interprétation. Ce phénomène est bien connu en mythologie comparée : un mythe est un lieu vide, que remplie la culture de l’époque…