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Archéologie des migrations
Archéologie des migrations Dominique GARCIA, Hervé LE BRAS Editions La Découverte / Inrap Chronique de Pedro Lima
Avec des contributions de :
Vincenzo Bellelli, Peter Bellwood, Sophie Bouffier, Patrice Brun, Vincent Carpentier, Isabelle Catteddu, Saša. ?aval, Ana Delgado Hervas, Jean-Paul Demoule, Jérôme Dubouloz, Bruno Dumezil, Rosa Fregel, Eva-Maria Geigl, Christian Grataloup, Julia Haines, Dirk Hoerder, Augustin Holl, Jean-Jacques Hublin, Claudia Moatti, Susan Peabody, Pascal Picq, Colin Renfrew, Anne Richier, Paul Salmona, Christophe Sand, Krish Seetah, Theresa A. Singleton, Marc Terrisse, Nicolas Weydert.
Présentation de l’éditeur :
Actes du colloque international « Archéologie des migrations » organisé par l’Inrap et le Musée national de l’histoire de l’immigration les 12 et 13 novembre 2015. Sous la direction de Dominique Garcia et d’Hervé Le Bras. Une coédition Inrap – La Découverte.
Au cœur de nombreux débats contemporains, la question des migrations est devenue un enjeu majeur, au point de faire oublier que les grandes vagues migratoires ne sont pas le propre de notre époque. Dans cet ouvrage collectif coédité par l’Inrap, l’évolution des mouvements de population et de leurs logiques se lit au fil des sources archéologiques, historiques, géographiques et démographiques les plus récentes.
L’archéologie apporte des informations essentielles sur ces mouvements de population à grande échelle qui se sont succédé de la préhistoire – avec les premiers Hominidés quittant l’Afrique – au XXIe siècle. Volontaires ou contraints, ces migrations ont induit diaspora, colonisation, métissage, intégration et ségrégation.
Confrontant les données archéologiques, historiques, génétiques, géographiques, démographiques et linguistiques, Archéologie des migrations propose un réexamen critique des sources disponibles. Cet ouvrage a pour ambition de mettre en perspective de nouvelles hypothèses scientifiques et d’aller au-delà de la simple observation des mouvements de population, en abordant notamment les contacts entre les migrants et les sociétés qu’ils rencontrent.
Éditions de la Découverte et Inrap
2017
24 euros
394 pages
La chronique par Pedro Lima, journaliste scientifique
Le 13 novembre 2015, le jour même où se déroulaient à Paris plusieurs attentats meurtriers, se tenait dans la même ville, au musée de l’Immigration situé au Palais de la Porte Dorée, la deuxième journée d’un colloque international intitulé « Archéologie des migrations », organisé, en partenariat avec cette institution, par l’Institut National de recherches archéologiques préventives (INRAP). Deux ans plus tard ou presque, ce même Inrap et les éditions de la Découverte prennent la salutaire initiative de partager avec le grand public, à travers un ouvrage portant le même titre que celui du colloque, la somme importante de connaissances et questionnements synthétisées lors de ces deux journées de riches et fructueuses présentations. Pourquoi salutaire? Car, comme le rappelle dans sa préface Dominique Garcia, président de l’Inrap et professeur des Universités spécialiste des sociétés protohistoriques de Méditerranée nord-occidentale, « si l’archéologie n’a pas la prétention de présager l’avenir, cette discipline éclaire, en revanche, l’évolution des territoires au travers du temps long et permet, à toutes et à tous, de s’en approprier l’histoire : celle de ses peuplements, de ses cultures et de son environnement ». Mieux comprendre collectivement d’où l’on vient pour savoir qui l’on est et où l’on veut aller, tel pourrait être, donc, le leitmotiv de ces 400 pages à la fois savantes, car reposant sur des recherches, des méthodologies et une rigueur scientifique irréprochables, et en même temps accessibles à toutes celles et ceux qui souhaitent se familiariser avec l’étude des migrations passées de notre espèce, Homo sapiens, voire même celles qui l’ont précédées, d’Homo erectus à Homo neanderthalensis.
L’aventure des déplacements humains débute en effet dès l’origine connue de ce genre à nul autre pareil, qui semble s’être déplacé non seulement mû par la recherche de nouveaux territoires de chasse, et donc de ressources nécessaires à sa survie, comme peuvent le faire d’autres espèces animales, mais aussi, et peut-être surtout, par une curiosité solidement ancrée dans son comportement et l’ayant conduit à occuper, bien au-delà du berceau africain, les continents eurasiatique, puis océanien et américain. Comment expliquer autrement les risques apparement démesurés pris par les Homo sapiens, il y a environ 60 000 ans, lorsqu’ils décidèrent de s’embarquer, depuis l’Asie du Sud-Est, sur de vraisemblablement frêles embarcations pour naviguer longuement jusqu’à l’actuelle Australie ?
Tour d’horizon très complet des migrations humaines depuis la lointaine préhistoire jusqu’à la période contemporaine tout autant que précieux témoignage des débats qui agitent la communauté des archéologues et anthropologues spécialistes de ces questions (la génétique va-t-elle tuer les recherches archéologiques?), voici un livre particulièrement bienvenu. Car rappelant, loin de toute relecture idéologique ou politique à-posteriori de notre passé, une évidence qui résonne et doit nous faire réfléchir : l’homme est un migrant par nature, quelles que soient les raisons économiques, politiques et maintenant climatiques qui le poussent à se déplacer.
Pedro Lima
Sous la direction de Dominique Garcia et Hervé Le Bras
Dominique Garcia, archéologue et historien, est président de l’Inrap et professeur des Universités.
Hervé Le Bras, démographe, est directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche émérite à l’Institut National d’Études Démographiques (INED).
Sommaire de « Archéologie des migrations »
Préface
Introduction, par Dominique Garcia, Hervé Le Bras
Migrations préhistoriques – Migrations historiques – Migrations actuelles – De l’archéologie des invasions et des colonisations à celle des mobilités et des migrations – Exemples d’approches archéologiques des migrations anciennes – Idéologies et archéologie des migrations
Ouverture
1. Les théories des migrations, par Jean-Paul Demoule
Des faits et de l’interprétation – Qu’est-ce qu’une migration ? – La France immigrée – La France vient-elle du fond des âges ? – La génétique va-t-elle remplacer
l’archéologie
2. Homo : le seul singe migrateur, par Pascal Picq
Des primates et des forêts – Les plus anciens Hominidés et
les premiers Hommes – Homo erectus et l’Ancien Monde,
– Les migrations d’Homo sapiens
Première partie / Les migrations préhistoriques du paléolithique et du néolitique
3. Le peuplement de l’Europe vu par la paléogénomique, par Eva-Maria Geigl
La paléogénomique – Les Néandertaliens et les Dénisoviens – Les premiers Homo sapiens en Europe – Le peuplement à l’Holocène – le Mésolithique – Le Néolithique – L’âge du Bronze en Europe – Des maladies contagieuses – Sélection des phénotypes au cours du temps– L’origine
des langues indo-européennes – Conclusion
4. Homo sapiens rencontre Néandertal en Europe, par Jean-Jacques Hublin
Les racines africaines de l’homme moderne – Vers les moyennes latitudes – « Industries de transition » et derniers Néandertaliens– Un Néandertalien en nous ?
5. Migration et préhistoire, par Peter Bellwood
Gros plan sur les migrations préhistoriques – Les premières migrations d’Hominidés vers la Chine, Java et l’île de Florès – L’ennemi public numéro un du point de vue néandertalien – Fermiers, constructeurs de bateaux et familles linguistiques
6. Modélisation et simulation de la colonisation néolithique de l’Europe tempérée
par la culture à céramique linéaire, par Jérôme Dubouloz
Quelques données archéologiques de base – Quelques éléments du modèle – Quels résultats ?
7. Migrations et remplacement de la langue : la diffusion de la langue des agriculteurs et l’hypothèse anatolienne de l’origine des langues indo-européennes, par Colin Renfrew
La question des origines indo-européennes – La diffusion linguistico-agricole et l’hypothèse anatolienne – L’impact de l’ADN ancien
Deuxième partie / Migrations et mobilités protohistoirques et antiques
8. La formation de l’entité celtique : migration ou acculturation, par Patrice Brun
Brève histoire des idées sur l’origine des Celtes – Courte synthèse des sources archéologiques – Les surprenants résultats de la génétique – Conclusion
9. L’exemple des Grecs en Méditerranée, par Sophie Bouffier
Des Indo-Européens aux Doriens : le poids de la linguistique – Des migrations aux mobilités collectives ou individuelles, – Mobilités en réseaux – Nouvelles approches ?
10. Les Étrusques : quelles « origines » ?, par Vincenzo Bellelli
Histoire de la recherche – Les sources historiques – Les études génétiques – Les données archéologiques – La perspective linguistique – L’identité religieuse – Conclusion
11. Migrations phéniciennes vers l’Extrême-Occident : communautés de diasporas et groupes familiaux, par Ana Delgado
Huelva et les débuts de la diaspora phénicienne – Communautés phéniciennes occidentales et groupes familiaux – Mémoires familiales, identités sociales et commémorations funéraires – Conclusion
12. Les paradoxes de l’immigration dans l’Empire romain, par Claudia Moatti
Les catégories juridiques – Des politiques migratoires ? – Les paradoxes de l’immigration
13. Migration Lapita, populations austronésiennes et premier peuplement de l’Océanie lointaine, par Christophe Sand
L’expansion austronésienne en Asie du Sud-Est insulaire – L’émergence de l’ensemble culturel Lapita dans l’archipel de Bismarck – La première expansion humaine en Océanie lointaine – La fin de l’expansion Lapita – L’enracinement des communautés Lapita – Conclusion
14. L’expansion bantoue : une nouvelle synthèse, par Augustin Holl
La première synthèse historique – Dynamiques des populations : apports de la bioanthropologie – Les dynamiques environnementales – Une nouvelle synthèse – Conclusion
Troisième partie / Les migrations à l’époque médiévale
15. Préambule, par Isabelle Catteddu
Plusieurs grandes vagues de migrations – Renouvellement des méthodes et des questionnements
16. Les « invasions barbares » : sources, méthodes, idéologies, par Bruno Dumézil
Le Barbare, un produit de l’ethnographie antique – Querelles modernes autour des ancêtres fondateurs – L’âge des nationalismes – L’ère du soupçon
17. L’immigration scandinave sur le continent au Xe siècle : un invisible archéologique ?, par Vincent Carpentier
Migration ou colonisation ? – Ce que l’archéologie dit ou ne dit pas, 258 – Perspectives nouvelles
18. Présences, expulsions et reconstitutions de communautés juives en France, par Paul Salmona
Présences antiques – Peleger et Sapaudus – Rues aux juifs et synagogues manquantes – Cimetières confisqués et pillés – Destins d’émigrés– Les juifs du pape – Une forte communauté en Lorraine – « Nouveaux chrétiens » – Une circulation importante des hommes et des
idées – La Shoah et le sauvetage – L’arrivée des juifs maghrébins – Conclusion
19. Présence arabo-musulmane en Languedoc et en Provence du VIIIe au XIIIe siècle,
par Marc Terrisse
Cadre historique et trouvailles archéologiques en Languedoc au VIIIe siècle – La Provence « sarrasine » au Xe siècle – Des communautés musulmanes à Marseille et Montpellier aux
XIIe-XIIIe siècles ? – La diaspora des juifs de culture islamique – Conclusion
Quatrième partie / Les migations aux époques moderne et contemporaine
20. De l’Afrique aux Amériques : archéologie de l’esclavage transatlantique et de la diaspora africaine, par Theresa A. Singleton
L’arrachement du lieu d’origine – La traversée – Une nouvelle vie dans un nouveau monde – Diasporas secondaires : migrations et transplantations ultérieures
21. S’affranchir ou s’enraciner ? Le droit français sur la migration des colonies à la métropole à l’époque de l’esclavage, par Sue Peabody
Le Sol libre en France sous l’Ancien Régime – Autres cas hors de France – Évolutions après la Révolution française – Le cas de Madeleine
22. Archéologie de l’engagisme : histoire, société et culture des travailleurs sous contrat et de leurs descendants sur l’île Maurice, par Krish Seetah, Rosa Fregel, Julia Haines, Diego Calaon et Saša ?aval
Les migrants sous contrat à Maurice– Les baraquements de Trianon – Le cimetière de Bois Marchand – La plantation de Bras d’Eau – ADN et diaspora migratoire – Conclusion
23. Le cimetière « italien » du quartier des Crottes à Marseille : entre intégration et rejet,
par Anne Richier et Nicolas Weydert
Marseille, « première ville italienne de France – Des archives écrites aux archives du sol – Les morts et les vivants : de l’anthropologie biologique à l’histoire sociale – Intégration ou aliénation ? – Conclusion
Conclusion
24. Migrations et contacts culturels, par Dirk Hoerder
Les migrations dans une perspective de longue durée – Mobilité et migrations jusqu’au XVe siècle – Bref survol des migrations de l’Époque moderne – Pour une étude transculturelle des interactions entre migrants et résidents : le métissage
25. Sociétés à pattes et sociétés à racines : une géohistoire des mobilités de l’Ancien Monde à demain, par Christian Grataloup
L’idée de migration est-elle une question d’échelle ? – Sans discontinuité sociétale, il est difficile de parler de migration – L’autochtone est-il l’inverse du migrant ? – Le puzzle contre le réseau – Une géographie nomade de l’Eufrasie – Structures des territoires racinés face aux peuples à pattes – De l’altérité absolue à l’Autre relatif
A venir
Un extrait de « Archéologie des migrations »
Les racines africaines de l’homme moderne
Si jadis on a pu soutenir l’idée que les différentes populations actuelles étaient issues de formes archaïques locales dans les différentes régions du monde, l’origine africaine récente des hommes modernes s’est aujourd’hui largement imposée. Elle est démontrée à la fois par les données de la paléontologie et par celles de la génétique [Stringer, 2014]. Sur le plan anatomique, l’homme moderne s’enracine au sein de formes africaines plus primitives d’Homo sapiens. La dénomination de «moderne», très largement utilisée, est quelque peu trompeuse. Son utilisation à propos de fossiles qui datent de moins de 200 000 ans suggère en effet une apparition rapide autour de cette date d’une forme humaine presque identique à celle de l’homme actuel. D’une part, rien n’indique qu’un tel saut évolutif ait vraiment eu lieu (Weaver, 2012], d’autre part, les hommes modernes qui vivaient il y a 100 000 ou 150 000 ans sont encore bien différents de nos contemporains du simple point de vue anatomique.
Sur le plan comportemental, on a aussi essayé de définir une forme de « modernité». En Europe, le remplacement final des Néandertaliens par des populations d’hommes anatomiquement modernes venues d’Afrique s’est accompagné de changements culturels majeurs que l’on a parfois qualifiés de révolution. C’est le passage du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur, avec notamment le développement de l’art figuratif rupestre et mobilier, l’éclosion d’une typologie variée d’objets en pierre taillée aux formes stéréotypées, l’apparition d’armes de jet légères qui peuvent projeter à grande distance et la multiplication des objets en matière animale dure (os, ivoire, bois de cervidés). En Afrique cependant, le passage du « Middle Stone Age » au « Later Stone Age» est beaucoup moins brutal. La production de pointes d’armes de jet aux formes géométriques précède de beaucoup cette transition, comme la fabrication d’objets de parure en coquillages percés connus dès 80 000 BP1, au moins du Maroc jusqu’à l’Afrique du Sud [d’Errico et al., 2009]. Cette émergence progressive d’une « modernité comportementale » s’explique en grande partie par la continuité biologique des populations dans toute ou bien une partie de l’Afrique qui contraste avec la situation observée en Eurasie.
Cependant, alors même que les différences anatomiques entre les populations africaines et européennes étaient déjà bien établies, les productions d’outillages lithiques des deux côtés de la Méditerranée ne présentaient pas encore de différences notoires. C’est notamment le cas quand des hommes modernes apparaissent pour la première fois au Proche-Orient, il y a entre 120 000 et 100 000 ans. Dans les gisements de Shkul et Qafzeh (Israël), ils ont laissé les premières inhumations volontaires connues, parfois avec des dépôts d’objets, mais aussi des industries moustériennes que rien ne distingue vraiment de celles des Néandertaliens qui reviennent dans cette région vers 80 000 ans. C’est probablement de cette période que datent les premiers échanges génétiques entre les deux groupes. Une petite portion d’ADN moderne est passée dans le patrimoine génétique des Néandertaliens et elle reste toujours détectable plusieurs dizaines de milliers d’années plus tard chez les Néandertaliens de l’Altaï [Kuhlwilm et al., 2016].
La distribution géographique et le devenir de ces premiers hommes modernes du Proche-Orient sont incertains. Plusieurs indices archéologiques suggèrent leur présence sur une longue période dans la péninsule Arabique. Dès avant 100 000 BP, cette région livre en effet des outillages évocateurs de ceux qui sont connus à la même époque à l’ouest de la mer Rouge [Rose et al., 2011]. Aucun reste humain n’a été pour l’instant découvert en association avec ces outillages paléolithiques, mais de nombreux chercheurs sont convaincus que les hommes modernes sont déjà présents depuis longtemps entre mer Rouge et golfe Persique et peut-être même au-delà vers l’est. Cette première dispersion des hommes modernes hors d’Afrique a été facilitée par de brefs épisodes climatiques humides qui ont vu le Sahara et les déserts de la péninsule Arabique se couvrir de végétation [Iennings et al., 2015]. Le plus spectaculaire de ces épisodes qui commence il y a environ 130 000 ans pourrait bien expliquer l’arrivée des hommes de Skhul et Qafzeh dans le sud du Levant, en association avec des faunes connues auparavant plus au sud. Il sera suivi de plusieurs autres qui ont accru les échanges de populations entre Maghreb, Afrique subsaharienne et sud du Proche-Orient…
BP indique un nombre d’années avant le présent (comptées à partir de l’année 1950).