Les premières sépultures
par Frédéric Belnet
En partenariat avec Historia
Les sépultures de la préhistoire. À partir d’un certain stade d’évolution, l’Homme préhistorique enterre ses morts, au moins en certaines occasions. Chargées de mystère, ces tombes paléolithiques sont également riches d’enseignement… pourtant difficile à déchiffrer !…
Des tombes difficiles à identifier
Pas de tumulus, pas de pierre tombale, pas de croix ni d’épitaphe, bien évidemment, pour ces sépultures préhistoriques, que rien ne permet au profane de reconnaître ni même de déceler… Tout l’art des archéologues consiste à distinguer, parmi les fossiles humains, le corps intentionnellement déposé dans un endroit protégé, du corps tombé là où la mort l’a surpris (ou là où l’ont déposé charognards ou éléments).
Selon le Pr Bernard Vandermeersch, anthropologue, « il semble que le meilleur critère soit la préservation du squelette en connexion« . Autrement dit, un squelette où tous les os sont à leur place anatomique les uns par rapport aux autres – ce qui, hélas!, peut aussi se produire fortuitement.
Les préhistoriens doivent donc s’appuyer aussi sur d’autres indices – lorsqu’ils sont disponibles : dalle ou pierres tapissant l’intérieur de la tombe, terre d’une nature différente de celle du sol et servant à remblayer la fosse… Mieux encore, la présence, sur le corps ou à proximité, d’ocre (pigment à usage rituel), de restes de fleurs ou d’objets manifestement destinés à accompagner le défunt dans son ‘voyage’ – os d’animaux, outils, coquillages… –, témoigne d’une inhumation volontaire.
Différents types de sépultures
Les spécialistes classent ces tombes en sépultures primaires (inhumation définitive, faite en une seule fois, et donc susceptible de fournir un squelette complet), ou secondaires (ossements placés ou déplacés à différentes reprises). Ces sépultures, d’autre part, peuvent être simples (un seul défunt), doubles (deux défunts) ou multiples (plusieurs morts, le plus souvent inhumés à des dates différentes).
Les sépultures, une mine d’informations
Quel qu’en soit le type, chacun de ces sépulcres livre aux préhistoriens une mine d’informations. Sur le mort lui-même, mais aussi sur ses semblables et son environnement, et ce dans divers domaines : biologie et santé, outils et objets utilisés, organisation sociale, spiritualité, faune et flore contemporaines… . L’analyse détaillée des fossiles humains fournit de précieuses indications sur la morphologie et l’anatomie des représentants de tous sexes et de tous âges, et la paléopathologie permet d’en étudier les blessures, les maladies et les affiliations génétiques. La structure matérielle de la fosse, les outils lithiques ou objets mobiliers qu’elle renferme, renseignent sur la culture technologique des populations. La présence, dans les sépultures (entre autres), de vieillards diminués et d’individus invalides de longue date, montre la solidarité du clan envers les plus faibles. Le simple fait d’enterrer ses morts témoigne aussi de la cohésion du groupe, de son souci de ne pas laisser le défunt à l’abandon. Les objets placés en offrande suggèrent la croyance en un ‘au-delà’.
Les plus anciennes tombes
En 2023 le paléoanthropologue Lee Berger annonce qu’il a identifié deux sépultures sur le site de Rising Star en Afrique du Sud. Les corps appartiennent à l’espèce Homo naledi. Estimé à plus de 200 000 ans ces sépultures seraient donc les plus anciennes du paléolithique.
Quelles sont les plus anciennes et les plus remarquables de ces tombes préhistoriques ? Le site surnommé La Sima de los Huesos (‘le gouffre aux os’), près d’Atapuerca, dans le nord de l’Espagne, recèle les ossements d’une trentaine d’Homo heidelbergensis (ancêtres des Néandertaliens) vieux de 300 à 400 000 ans. Toutefois, si l’absence de marques de dents de charognards et l’absence d’indices d’une quelconque catastrophe naturelle suggèrent que les corps y ont été déposés intentionnellement, cet aven n’est cependant pas unanimement considéré comme une sépulture (collective).
Si l’on écarte ce cas, toutes les inhumations du Paléolithique sont tantôt l’œuvre d’Homo neanderthalensis, tantôt celle d’Homo sapiens, l’Homme anatomiquement moderne. C’est à ce dernier que l’on doit les plus anciennes tombes (incontestées) connues : dans la grotte de Skhül (photo à droite) , près du mont Carmel, en Israël, on découvre, au début des années 1930, dans des fosses peu profondes, les squelettes – tous en position repliée – de 3 enfants et 7 adultes, parmi lesquels celui d’un homme (baptisé Skhül V par les archéologues) surmonté d’une mandibule de sanglier. L’ensemble date d’environ 100 000 ans. À Qafzeh, toujours en Israël et toujours dans les années 1930, René Neuville, Consul de France et préhistorien, découvre un site qui, fouillé jusque dans les années 1960, livre 25 dépouilles dans des sépultures simples (exceptés une femme et un enfant de 6 ans, inhumés ensemble). Toutes ont quelque 92 000 ans d’âge.
L’Homme de Néandertal – décidemment loin d’être la ‘bête humaine’ longtemps dépeinte – n’est pas en reste, puisqu’on lui connaît au moins 38 sépultures – toujours situées à des endroits qui sont également pour lui des lieux de vie, curieusement. Les 8 individus présents dans la nécropole de la Ferrassie (à droite) – 2 fœtus parfois accompagnés d’outils de pierre, 4 enfants dont l’un sur une dalle, une femme et un homme inhumés séparément mais ‘tête contre tête’– sont vieux de 60 à 75 000 ans. À Shanidar, en Irak, il y a 50 000 ans, un Néandertalien est inhumé sur ce qui semble être ‘un lit de fleurs’ de plusieurs variétés [ En 2023 une étude attribue les dépôts funéraires de fleurs à des abeilles fouisseuses ]. À La Chapelle-aux-Saints (Corrèze), étudié par le célèbre paléoanthropologue français Marcelin Boule, un véritable ‘Mathusalem’ néandertalien (peut-être 50 à 60 ans), soigneusement enterré voici environ 45 000 ans, perclus d’arthrite et édenté, n’a pu arriver à cet âge respectable qu’aidé et nourri par les siens : les représentants d’une humanité différente de la nôtre, mais partageant manifestement avec nous un respect particulier face à la vieillesse et à la mort…
Frédéric Belnet,
journaliste scientifique
Nos premières fois Nicolas Teyssandier Avec « Nos premières fois », le préhistorien Nicolas Teyssandier nous livre un inventaire très particulier, celui des premières fois de l’Humanité, « nos » premières fois culturelles, techniques, matérielles : le premier outil, bien sûr, mais aussi le premier couple, le premier bijou, le premier meurtre, le premier chat, le premier dieu ou encore le premier mot…Ces premières fois qui constituent notre mémoire collective prennent ici la forme d’un grand récit qui s’appuie sur les connaissances le s plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine. En savoir plus sur Nos première fois |
Bertrand Roussel