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Les lézards de Pod Mrcaru, preuves vivantes de l’évolution…
Les acteurs d’une évolution accélérée
Il est assez fréquent d’entendre dire que l’évolution des espèces est improuvable car le processus est trop long et ne peut s’observer à l’échelle humaine.
Et il est vrai que la majeure partie du temps, le processus d’évolution est long et difficile à déchiffrer. C’était sans compter sur la nature (généreuse !) qui a fourni aux scientifiques un bel exemple d’évolution rapide et incontestable : les lézards d’une petite île, Pod Mrcaru. Commençons l’enquête…
Le lieu du crime !
L’île croate de Pod Mrcaru (0.03km2) est située dans la mer Adriatique à proximité de l’île de Pod Kopiste (0,09 km2). De très petite taille, l’île de Pod Mecaru est isolée et sans présence humaine.
La victime
Sur ce petit bout de terre vivaient tranquillement une espèce de lézard dont le doux nom scientifique est Podarcis melisellensis. Comme la majorité des lézards dans le monde cet animal est insectivore et la concurrence n’étant pas très rude, l’animal était bien installé sur l’île depuis fort longtemps. On peut même dire qu’il se la coulait douce… voir qu’il passait son temps à lézarder au soleil (il fallait la faire !).
Les origine du drame en 1971…
En 1971 des scientifiques, sous la direction du professeur Eviatar Nevo, décident de procéder à des expériences in-vivo sur l’île en introduisant 5 couples d’une autre espèce de lézard : Podarcis sicula. Cette espèce a été prélevée sur l’île voisine de Pod Kopiste. Le but de cette expérience était d’observer la compétition qui allait s’exercer entre les deux espèces.
Les scientifiques comptaient revenir régulièrement sur l’île afin de vérifier l’acclimatation de cette nouvelle espèce. Malheureusement c’est à ce moment que la guerre interne yougoslave de Croatie éclate, empêchant les scientifiques de continuer leurs expériences. Le projet tombe bien sûr dans l’oubli… et les lézards sont laissés sans surveillance.
33 ans plus tard…
Entre 2004 et 2006 une nouvelle équipe dirigée par Antony Herrel retourne sur l’île à six reprises pour reprendre les travaux et découvrir si l’espèce a réussi à survivre. Les études reprennent : non seulement les lézards Podarcis sicula ont proliféré mais certaines de leurs caractéristiques physiques sont modifiées. Les nouveaux lézards sont plus gros, leurs mâchoires plus imposantes, leurs pattes plus petites, leur estomac présentent également une valve inexistante dans l’espèce d’origine… Leur mode de vie et de comportement est également modifié : ils ont perdu en vélocité, défendent moins leur territoire et surtout ils sont devenus majoritairement herbivores ! C’est un type de spéciation radical mais surtout très rapide.
Quant aux anciens lézards autochtones de l’île (Podarcis melisellensis) ils ont été tout simplement supplantés par les lézards étrangers… La nouvelle population est estimée à 1000 individus ce qui est assez étonnant pour une île de si petite taille.
(Crédit: Anthony Herrel of the University of Antwerp)
Changement de régime alimentaire
Les scientifiques ont comparé le régime alimentaire de Podarcis sicula sur son île d’origine avec celui de la nouvelle île. Le lézard original était insectivore à 93-96 % et végétarien à 4-7%… Le lézard « nouveau » est végétarien à 34% au printemps et à 61% en été. Autre constat, les intestins de nos lézards sont habités par des nématodes (vers inconnus jusque là chez les lézards de la région). Ces vers pourraient aider au processus de digestion de la cellulose des végétaux.
Le coupable ? L’évolution !
Les lézards nouvellement introduits ont trouvé des sources différentes de nourriture que celles qu’ils consommaient sur l’île de Pod Kopiste. Entre 1971 et 2004, trente générations de lézards se sont succédé. Parmi elles, comme dans toute espèce, des variations (ou des mutations) ont été sélectionnées : possibilité de digérer des végétaux, mâchoires permettant de déchirer des plantes fibreuses… Les individus possédant de telles caractéristiques ont été largement avantagés par rapport aux autres car ils avaient des sources de nourriture à profusion. Ces individus ont pu ainsi se reproduire davantage que les autres et finir par supplanter la population d’origine qui avait moins de possibilités. C’est le principe même de l’évolutionnisme.
L’évolution en marche… accélérée
Afin de confirmer que ces lézards étaient bien issus des premiers 5 couples, les scientifique ont procédé à une étude plus approfondie. Les résultats confirment que les lézards originaux et les lézards introduits sont semblables sur le plan génétique.
C’est donc en seulement trente générations (et en 36 ans) que le processus d’évolution a permis l’apparition dans une population d’individus très différents et mieux adaptés à un nouvel environnement. Charles Darwin aurait apprécié cette preuve directe du processus d’évolution en harmonie avec ses théories. Il aurait, par contre, été étonné de la rapidité de sa mise en oeuvre. Il pensait, lui, que l’évolution se faisait majoritairement très lentement, de manière graduelle.
Par contre cette expérience inattendue valide la théorie des équilibres ponctués de Stephen Jay Gould et Niles Eldredge qui propose une évolution des espèces à différentes vitesses : parfois lente quand le milieu est stable et rapide dans les situations de stress dans un environnement changeant.
C.R.
Sources
Sciencedaily
Sciences et Vie Aout 2008 N° 1091