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Le Festival Objectif Préhistoire à Pech Merle du 4 au 6 octobre 2024
Le Festival Objectif Préhistoire à Pech Merle du 4 au 6 octobre 2024
Une immersion visuelle dans notre lointain passé
Par Pedro Lima, auteur et journaliste scientifique, membre du jury.
Pour toutes celles et ceux qui en ont fait l’expérience depuis son lancement en 2012, le Festival Objectif Préhistoire, dont la troisième édition se tenait après une interruption de dix ans au musée du Pech Merle (Lot) du 4 au 6 octobre 2024, possède une aura et un magnétisme particuliers. Cela tient, entre autres, à l’organisation parfaite et à la qualité de la sélection de films proposée par le duo d’organisateurs Clémentine Brandeis et Bertrand Defois (conservateur du musée), auquel ce bel événement doit presque tout. Une organisation portée, aussi, par une équipe de bénévoles passionnés parmi lesquels figure Maryse David, fille du découvreur de la célèbre grotte ornée paléolithique située sous nos pieds, André David, qui la révéla en 1922 en compagnie de sa soeur Marthe et de leur ami André Dutertre. La très attachante et dynamique Maryse, héroïne du beau documentaire de Jacques Tournebize consacré au Pech Merle, en sélection, signera même son ouvrage consacré à une cavité au pied de laquelle elle a passé sa vie. Présence précieuse, et trait-d’union émouvant entre le site paléolithique orné et le rassemblement qui se déroule ici.
Ce lien avec la cavité ornée contribue fortement à l’esprit qui règne durant le week-end du festival. Consacré à la préhistoire et à la façon dont elle est mise en images dans les dernières productions audiovisuelles, il se déroule en effet sur les lieux même où, il y a 29 000 ans, Homo sapiens réalisait l’une de ses plus belles créations graphiques. Objectif Préhistoire (seul festival uniquement dédié à cette période) perpétue ainsi, avec les outils techniques modernes, un intemporel de l’esprit humain qui consiste à inventer des images, qu’elles soient enregistrées sur les parois rocheuses, sur pellicule ou dans des disques durs. Entre deux projections, la visite du Pech Merle par plusieurs réalisatrices et réalisateurs avec les membres du jury, et l’émotion partagée devant le toujours bouleversant panneau des Chevaux ponctués, illustraient à merveille ce lien à travers les millénaires.
Le public, venu nombreux lors de cette édition en forme de renaissance, ne s’y est pas non plus trompé, profitant d’une sélection de 19 films d’une grande qualité, éclectique du point de vue des formats et des périodes abordées. Et appréciant particulièrement les riches échanges, à l’issue des projections, avec les réalisatrices, réalisateurs, productrices et spécialistes présents. Moments d’humour, en particulier lors des hilarantes virgules et dessins animés intercalés entre les films, ont ainsi alterné avec des connaissances partagées et de nombreuses émotions. Émotion palpable lorsqu’apparaissait à l’écran du très beau documentaire «Téviec, meurtre au Mésolithique» le regretté préhistorien Grégor Marchand, ou lorsqu’on suivait la découverte de l’incroyable grotte Chauvet avec ses découvreurs dont Éliette Brunel (De l’exploration spéléologique à la découverte de la grotte Chauvet), émotion encore quand les archéologues filmés avec empathie par David Geoffroy exhumaient des sables de la côte normande, sur le site du Rozel, les pas d’un petit enfant néandertalien (Néandertal, dans les pas d’une autre humanité), émotion toujours lorsque surgissaient dans de somptueux paysages glacés les silhouettes évanescentes et presque fantomatiques d’Homo heidelbergensis dans le superbe film d’Emma Baus «Tautavel, vivre en Europe avant Néandertal », émotion enfin, parmi tant d’autres, lorsque le très jeune réalisateur Léon François disait son amour naissant pour la préhistoire à l’issue de la projection de son court métrage d’animation «Vertiges», bluffant de maîtrise et de sensibilité. Ce ne sont que quelques instantanés, parmi tous les coups de cœur de cette édition, dont les moments d’échanges entre et après les projections constituent aussi le sel et le plaisir…
La liste, nécessairement restreinte, des films nominés et primés, ci-dessous, dans différentes catégories et au terme d’échanges passionnants pour lesquels je remercie chaleureusement mes trois collègues du jury Geneviève Pinçon, Jean-Michel Geneste et Tahar Ben Redjeb, ne minore en rien toute la passion, l’engagement et le travail fournis par les équipes, réalisatrices et réalisateurs en tête, en charge de la création des 19 documents présentés.
Vive Objectif Préhistoire, et rendez-vous pour la quatrième édition en 2026 !
Palmarès de l’édition 2024
– Grand Prix du Jury
Tautavel. Vivre en Europe avant Néandertal, d’Emma Baus
– Prix de l’approche originale ex-aequo
Téviec, meurtre au Mésolithique, d’Hubert Béasse, et Néandertal, dans les pas d’une autre humanité, de David Geoffroy.
– Prix de la médiation scientifique
Thorin, le dernier Néandertalien, de Pascal Cuissot.
– Mention du Film court
Préhistorex : Mythologie préhistorique, d’Ismahein Marzougui.
Le palmarès avec les commentaires du jury
Grand Prix du Jury
Le Festival Objectif Préhistoire décerne un seul prix du jury qui est attribué à un film documentaire long métrage réunissant un ensemble de qualités scientifiques, médiatiques et esthétiques.
Pour être nominés dans cette catégorie, les films doivent posséder des critères incontestables de communicabilité : une fluidité de lecture et de partage avec le plus large public. Le ou les sujets archéologiques traités qui peuvent être des sites, monuments, vestiges, études et fouilles doivent être présentés avec un niveau scientifique irréprochable et de grandes qualités cinématographiques et esthétiques. Le film doit constituer un apport conséquent à l’actualité scientifique ou une contribution originale à la connaissance.
Nominés : «Néandertal, dans les pas d’une autre humanité», «Sapiens ou la naissance de l’art», «Tautavel. Vivre en Europe avant Néandertal».
Lauréat : «Tautavel. Vivre en Europe avant Néandertal».
Ce documentaire réunit aux yeux du jury un ensemble remarquable de qualités. Il présente sous un jour nouveau, à travers des approches originales les nombreuses études qui se déroulent à Tautavel depuis plusieurs décennies et concernent une humanité antérieure à l’homme de Néandertal. Le films passe en revue dans le même temps la riche série de fossiles humains et leurs contextes environnementaux et culturels. Le film élargit d’un point de vue comparatif la série de Tautavel en conduisant le spectateur à Atapuerca près de Burgos dans le gisement de la Sima de los Huesos où ont été découverts presqu’une trentaine de squelettes antérieurs à l’Homme de Néandertal.
Les questions soulevées par une pratique systématique du cannibalisme dans ces deux gisements y sont abordées avec précision et clarté par les archéologues et les paléontologues. L’esthétique générale des représentations graphiques et des animations humaines est légère et le texte de la voix off est à la fois dynamique, précis et sobre.
Prix de l’approche originale
Ce prix récompense le regard de l’autrice ou l’auteur, la créativité et la sensibilité de la mise en images et de la narration, sans qu’elles ne nuisent à la compréhension et la progression du documentaire.
Nominés : «Téviec, meurtre au Mésolithique», «Néandertal, dans les pas d’une autre humanité», «Cosquer, Homo Sapiens et la mer».
Lauréat : «Téviec, meurtre au Mésolithique», «Néandertal, dans les pas d’une autre humanité».
Le jury a été sensible à ces deux films très créatifs d’Hubert Béasse et de David Geoffroy, qui ont su se faire oublier et se fondre au sein d’équipes de fouilles archéologiques, et ont démontré des qualités formelles, une mise en images élégante et une narration particulièrement réussies. Concernant «Téviec, meurtre au Mésolithique», le jury a apprécié le cadre de l’intrigue avec des illustrations de qualité au fil du film, mais aussi le traitement des archives anciennes ignorées de tous, utilisées de façon très dynamique. La mise en perspective des fouilles anciennes et récentes est très habile et permet au public de comprendre à la fois l’histoire des recherches et le site dans sa globalité, le Mésolithique n’étant pas encore très familier pour le grand public. «Néandertal, dans les pas d’une autre humanité» porte sur un sujet original, puisqu’il s’agit de fouiller le sable, une matière non solide par essence pour y mettre au jour des empreintes de pas, les traces de cette humanité ancienne. Le film montre comment les archéologues arrivent à trouver, consolider et prélever pour archiver toutes ces traces si éphémères. Le propos et les images sont accompagnées d’une musique originale, en référence au film « 2001 l’odyssée de l’Espace », un écho au premiers pas sur la lune ! Enfin, le jury a pu noter l’approche sensible du sujet, aussi bien par le réalisateur que par les archéologues interviewés.
Prix de la médiation scientifique
Comprendre les traces que nous ont laissé les humains du passé nécessite aujourd’hui de croiser des regards et des disciplines multiples, qui font de plus en plus appel à des techniques de pointe, souvent très complexes. Pour retenir les films nominés et celui primé dans cette catégorie, nous avons été sensibles, avec mes collègues du jury, au travail de pédagogie et d’explication dont leurs auteurs ont su faire preuve, en décortiquant avec clarté le processus de la recherche ou en mettant à la portée de tous les connaissances acquises durant parfois des décennies sur un seul site.
Nominés : «Terra Amata : Nice il y a 400 000 ans», «Sapiens l’agriculteur» et «Thorin, le dernier Néandertalien».
Lauréat : «Thorin, le dernier Néandertalien».
Le film lauréat remplit particulièrement les critères de ce prix, d’autant plus s’agissant d’un site et de vestiges peu spectaculaires, voire austères, dont le potentiel scientifique est révélé au spectateur.
Mention du film court
A l’unanimité, les membres du jury ont décidé d’attribuer une mention spéciale «du film court». Si la programmation du Festival comprend essentiellement des documentaires entre 52 et 90′, elle accorde néanmoins une importance particulière aux courts métrages. Utilisant des techniques cinématographiques diverses (reportages, films d’animation, 3D), les films courts participent également, moyennant souvent un budget modeste, à la richesse et la diversité de la production documentaire. Ils investissent également d’autres circuits de diffusion, notamment Youtube, participant ainsi à médiation de l’archéologie auprès d’un public parfois différent de celui des chaînes de télévision. Nous espérons que cette mention permettra d’offrir au lauréat une visibilité accrue.
Nominés : «Tocas des origines», «Préhistorex : Mythologie préhistorique».
Lauréat : «Préhistorex : Mythologie préhistorique».
Ce court-métrage nous invite au Mané Lud à Locmariaquer pour visiter un monument mégalithique extrêmement riche en gravures. En 2005, une grande étude a été menée par Serge Cassen et son équipe pour tenter de décoder ces signaux venus de la préhistoire. Combinant un inventaire des principales gravures, des illustrations et animations à vocation pédagogique, ce court métrage constitue une excellente introduction tout public à la connaissance de ce mégalithe.
Préhistorex est une chaîne Youtube créée en 2023. Spécialisée sur les mégalithes bretons, elle a déjà produit et réalisé 13 vidéos et totalise plus de 1200 abonnés.
Sélection officielle du Festival 2024
Néandertal, premier artiste de l’humanité, un film de Thibaud Marchand (52’), 2023.
Sapiens ou la naissance de l’art, un film de Pascal Goblot (70’), 2022.
Téviec, meurtre au Mésolithique, un film de Hubert Béasse (52’), 2022.
Pech Merle, un siècle d’histoire, un film de Jacques Tournebize (60’), 2022.
Cosquer, Homo Sapiens et la mer, un film de Vincent Perazio (92’), 2023.
Jean Guilaine ou la mer partagé, un film de Marc Azéma (52), 2023.
Sapiens l’agriculteur, un film de Charles Antoine de Rouvre (52’), 2023.
Préhistorex : Mythologie préhistorique, épisode Youtube de Ismahein Marzougui (14’), 2023.
Thorin, le dernier néandertalien, un film de Pascal Cuissot (52’), 2024.
Terra Amata, Nice il y a 400 000 ans, un film de Philippe Afchain (7’), 2023.
Néandertal, dans les pas d’une autre humanité, un film de David Geoffroy (52’), 2022.
Les derniers secrets de l’humanité, un film de Jacques Malaterre (90’), 2023.
Tautavel. Vivre en Europe avant Néandertal, un film de Emma Baus (90’), 2024.
De l’exploration spéléologique à la découverte de la grotte Chauvet, un film d’Eliette Brunel (33’), 2024.
Carnet de fouilles : la fouille d’Aurignac, épisode Youtube de Stéphane Kowalczyk (32’), 2023.
Cosquer : des origines à la surface, un film de Jean-Claude Flaccomio (52’), 2022.
Tocas des origines, un film d’animation de Pascale Binant (4’), 2023.
Vertige, un film d’animation de Léon François (3’), 2024.
Composition du jury
Geneviève PINÇON : préhistorienne et Directrice du Centre National de Préhistoire.
Jean-Michel GENESTE : archéologue du Paléolithique.
Tahar BEN REDJEB : ancien archéologue à la DRAC Hauts de France, Directeur du Festival du film d’archéologie d’Amiens.
Pedro LIMA : journaliste scientifique et auteurs d’ouvrages sur l’art pariétal paléolithique.