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La maîtrise du feu dans l’Europe paléolithique : à partir de quand ?
Une étude récapitulative, publiée en mars dans Proceedings of the National Academy of Sciences, passe au crible de nombreux sites préhistoriques d’Europe, cherchant vainement des traces de domestication du feu chez les premiers humains à y évoluer, pour constater, au fil du temps, une maîtrise grandissante de cet élément, largement utilisé par Néandertal.
L’étude
Contrairement aux outils de pierre, la cendre et le charbon de bois, seuls vestiges, souvent, d’anciens feux, sont facilement détruits et dispersés par les éléments, et donc rares dans les archives préhistoriques. De plus, les archéologues n’en recherchent souvent les traces que sur les sites ayant livré de l’outillage.
Pour combler ces lacunes, Paola Villa, conservatrice au Muséum d’histoire naturelle de l’Université de Boulder (Colorado), et Wil Roebroeks, professeur à l’Université de Leiden (Pays-Bas), se sont rendus sur des dizaines de chantiers de fouilles en Europe, ont collaboré avec les chercheurs impliqués, et ont exploré la bibliographie américaine et européenne en la matière, enquêtant sur la possibilité d’utilisation précoce et durable du feu au Paléolithique en Europe.
Au menu : recherche des cas de présence de charbon de bois, d’artéfacts en pierre chauffée, d’os brûlés, ou de sédiments soumis à de hautes températures, parfois étudiés au microscope pour y déceler des cendres. Les sites répertoriés par l’équipe ont été datés par plusieurs méthodes, telles que résonance paramagnétique électronique, paléomagnétisme ou thermoluminescence.
En sortie : une base de données de 141 sites d’occupation humaine – grottes ou sites de plein air – de l’Europe d’il y a 1,2 millions d’années à 35 000 ans. Avec attribution d’un indice de pertinence, les sites présentant au moins deux types d’indices étant interprétés comme « solides ».
Sans feu dans l’Europe des glaciations
Des données récentes provenant du site britannique de Happisburgh, vieux de 800 000 ans, indiquent que les hominidés de l’époque – Homo heidelbergensis, probablement – se sont adaptés à des environnements froids sans avoir recours au feu. Un constat généralisé : les sites très anciens d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne ne fournissent aucune preuve de maîtrise du feu, les tous premiers indices positifs provenant de deux sites, l’un au Royaume Uni, l’autre en Allemagne, vieux de « seulement » 400 000 ans. [ L’étude anglo saxonne ne mentionne pas le site de Terra Amata, en France, dont les foyers sont datés de – 400 000 ans ]
L’explication la plus simple, selon Roebroeks, est qu’il n’y avait pas, chez ces premiers occupants des latitudes nordiques d’Europe d’avant 400 000 ans, d’utilisation habituelle du feu, lequel n’était donc pas un élément essentiel de leur comportement. « Il est difficile d’imaginer ces gens affrontant des climats très froids sans feu, mais cela semble pourtant bien être le cas ». « Cela confirme le soupçon que nous avions, allant à l’encontre des opinions de la plupart des scientifiques qui pensaient qu’il était impossible, pour l’homme, de pénétrer dans les régions tempérées froides sans feu », renchérit Villa.
Les prédécesseurs de Néandertal auraient donc évolué en Europe du nord durant plus de 800 000 ans, sans maîtriser la flamme. « L’étude soulève la question de savoir comment les premiers hominidés européens ont réussi à survivre aux hivers », commente le paléoanthropologue Lawrence Straus, de l’Université du Nouveau Mexique à Albuquerque.
Néandertal, ‘pyrotechnicien’ averti
« Ce n’est que beaucoup plus tard, à partir de
– 400 000 ou – 300.000 ans, que le feu est devenu une partie importante du répertoire technologique des hominidés », disent les auteurs. Une analyse poussée leur a permis de construire un ensemble documentaire bien étayé sur l’utilisation du feu depuis – 400 000 ans, date qu’ils identifient comme le moment où les preuves commencent à s’accumuler sensiblement. Les premiers signes d’une utilisation courante proviennent du site de Beeches Pit, en Angleterre (- 400.000 ans, environ), avec des morceaux épars de pierre chauffée et d’os brûlés.
« C’est également à partir de là que l’on peut observer des cas spectaculaires de connaissances pyrotechniques chez Neandertal [ou chez des pré-néandertaliens ?] (…). Nous ne nous attendions pas à trouver autant de sites néandertaliens présentant des preuves claires et répétées d’utilisation durable du feu, car beaucoup d’archéologues croyaient qu’ils n’y avaient recours qu’occasionnellement », rapportent encore les deux chercheurs.
Selon Villa, l’une des utilisations les plus spectaculaires du feu par Homo neanderthalensis est la production d’une colle tirée de l’écorce de bouleau, utilisée pour fixer des outils de pierre sur des manches de bois. Sa fabrication nécessitant la combustion de copeaux d’écorce en l’absence d’air, on suppose que les artisans devaient creuser des trous dans le sol, y insérer l’écorce, mettre le feu à celle-ci puis couvrir hermétiquement le trou avec des pierres. « Pour ceux qui disent que les néandertaliens n’avaient pas de capacités mentales élevées… », ajoute malicieusement la chercheuse.
Ces feux nous éclairent-ils ?
Savoir quand, exactement, le feu a rejoint les acquis des hominidés est une question épineuse. Fournissant chaleur et lumière, rendant plus digeste la nourriture et boostant ainsi le bilan énergétique de l’organisme, et, de là, le processus intellectuel, le feu est souvent évoqué par les anthropologues comme un facteur clé ayant aidé les humains à évoluer.
Et surtout, beaucoup de scientifiques pensaient que la domestication de la précieuse flamme était une condition sine qua none pour quitter la chaleur africaine et affronter les températures souvent négatives du vieux continent. « Nous supposions que le feu devait être un élément de la boîte à outils de l’homme, pour survivre aux hivers des hautes latitudes », confirme l’archéologue Francesco d’Errico, de l’Université de Bordeaux. La présente étude semble montrer qu’il n’en est rien.
Elle est également en conflit avec, par exemple, les données provenant du site acheuléen de Gesher Benot Ya’aqov, en Israël, à partir desquelles des chercheurs proposent un contrôle du feu dès -780.000 ans. Sans parler du cas précédent, Roebroeks et Villa font valoir que des feux encore plus anciens allégués en Afrique pourraient être dus à la foudre, et avoir été récupérés par des hominidés par ailleurs incapables de les allumer. Distinguer des feux « capturés » de feux allumés est une vraie problématique en contexte archéologique ancien, conclut Laurent Straus, de l’Université d’Albuquerque.
C.R.
Sources :
Proceedings of the National Academy of Sciences,
ScienceDaily,
Nature.com
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