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La datation U-Th des peintures pariétales espagnoles est-elle surestimée ?
Randall White remet en cause la datation à 64 000 ans de certaines peintures espagnoles qui étaient attribuées à Néandertal.
De l’art pariétal espagnol très ancien ?
En février 2018, une étude publiée dans la revue Science par D.L. Foffman avait jeté un pavé dans la mare… Selon cette étude, les plus anciennes peintures pariétales dans le monde remontaient à –64 000 ans en Europe. La méthode de datation Uranium-Thorium avait été appliquée sur trois ensembles de peintures en Espagne : La Pasiega, Maltravieso et Ardales. Non seulement elles étaient donc plus vieilles que les peintures de la grotte Chauvet (-40 000 ans) mais elles pouvaient être attribuées à l’homme de Néandertal qui était le seul hominidé connu à cette époque dans la région…
Une telle révolution dans les pratiques culturelles préhistoriques avaient obligé de nombreux préhistoriens à se positionner sur ce sujet. Si pour certains il n’y avait rien d’extraordinaire à ce que Néandertal soit un artiste pariétal, d’autres remettaient en cause l’unique méthode de datation utilisée.
A gauche, la représentation rectangulaire en forme d’échelle.
Les anciennes peintures pariétales espagnoles attribuées aux Néandertaliens ont donc déclenché
Une controverse préhistorique
Dix-huit mois après, le débat est relancé dans une tribune publiée dans le Journal of Human Evolution. Un groupe international de 44 chercheurs, dirigé par l’archéologue Randall White de l’Université de New York, conclut que les estimations d’âge controversées, dérivées de la datation Uranium-Thorium, devraient être confirmées de manière indépendante par d’autres techniques de datation. Il préconise d’utiliser les datations radiocarbone et la thermoluminescence, qui estime le temps écoulé depuis la dernière exposition des sédiments à la lumière.
En attendant de nouveaux éléments, « il n’y a toujours aucune preuve archéologique convaincante que les Néandertaliens aient réalisé les peintures pariétales du sud-ouest de l’Europe » soutiennent les scientifiques.
Pourquoi la remise en cause de cette datation
Dans un premier temps, les critiques sur les estimations d’âges avançaient que Hoffmann et son équipe avaient daté par erreur des dépôts naturels de la grotte et non les représentations elles-mêmes. C’est maintenant la fiabilité de la datation Uranium-Thorium (U-Th) qui est remise en cause.
Cette méthode mesure et compare les différents taux de Thorium et d’Uranium radioactif. C’est la dégradation progressive de ce dernier dans le temps qui permet d’estimer l’âge du support. Donc, plus la proportion d’Uranium est faible, plus l’âge est ancien.
Les signataires de la réponse de Randall White indiquent que l’eau qui coule dans les grottes et s’infiltre dans les roches pourrait être à l’origine d’une réduction de la teneur en Uranium. Ce dernier aurait été comme « lessivé » et laisserrait donc penser que sa désintégration est plus ancienne. Les résultats à – 64 000 ans seraient donc faussés par ce processus de lixiviation.
Un cas retient l’attention des chercheurs : la figure rectangulaire de la grotte de La Pasiega a fait l’objet de plusieurs prélèvements en vue d’une datation U-Th. A gauche, elle a été datée de 65 000 ans, alors qu’à droite la datation est seulement de 3 100 ans ! Cela met en doute la fiabilité de la méthode et/ou des prélèvements.
Les scientifiques associés à Randall White ont également comparé des peintures pariétales rectangulaires similaires trouvées dans d’autres sites. Dans la grotte espagnole d’Altamira, les datations au radiocarbone ont indiqué un âge d’environ 15 400 ans et, dans une grotte située sur la même colline que La Pasiega, un rectangle a été daté de 13 940 ans, a ajouté l’équipe.
Pour les auteurs de cet article, les datations à 65 000 ans de cet art pariétal sont tellement en opposition par rapport aux autres études qu’il faut absolument appliquer d’autres méthodes pour confirmer ou infirmer l’hypothèse.
L’équipe dirigée par le géochronologue Dirk Hoffmann (Institut Max Planck Leipzig, Allemagne) s’en tient à son analyse originelle et proposera prochainement une réponse à la critique au Journal of Human Evolution.
Pour appuyer sa tribune, Randall White souligne que «c’est probablement la première fois que 44 chercheurs en art pariétal s’entendent sur quelque chose» !
C.R.
Sources :
Still no archaeological evidence that Neanderthals created Iberian cave art
ScienceDirect
Les cosignataires de la tribune :
Randall White Gerhard Bosinski, Raphaëlle Bourrillon, Jean Clottes, Margaret W.Conkey, Soledad Corchón Rodriguez , Miguel Cortés-Sánchez, Marcode la Rasilla Vives, Brigitte Delluc, Gilles Delluc, Valérie Feruglio, Harald Floss, Pascal Foucherl, Carole Fritz , Oscar Fuentes, Diego Garate, Jesús González Gómez, Manuel R.González-Morales, María González-Pumariega Solis, Marc Groenen , Jacques Jaubert, María Aránzazu Martinez-Aguirre, María-Ángeles Medina Alcaidev, Oscar Moro Abadia , Roberto Ontañón Peredoy, Elena Paillet Man Estier, Patrick Paillet , Stéphane Petrognania, Romain Pigeaud , Geneviève Pinçon , Frédéri Plassard, Sergio Ripoll López , Olivia Rivero Vilá, Eric Robert , Aitor Ruiz-Redondo, Juan F.Ruiz López, Cristina San Juan-Foucher, José Luis Sanchidrián Torti, Georges Sauvet, María DoloresSimónVallejo, Gilles Toselloa, Pilar Utrilla, Denis Vialou, Mark D.Willis
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