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Il y a 54 000 ans des Homo sapiens en France
Les premières traces d’Homo sapiens en France. C’est dans la grotte Mandrin dans la Drôme qu’une dent d’enfant a été retrouvée avec des outils probablement fabriqués par Homo sapiens.
La grotte Mandrin dans la vallée du Rhône est situé sur la commune de Malataverne. Surplombant la vallée elle offre bien sur un abri contre les intempéries, un accès à l’eau de la rivière mais également un panorama intéressant pour un chasseur. Les troupeaux de bisons, de chevaux et de cervidés, qui empruntaient ce corridor naturel entre le nord et le sud, étaient une proie très visible pour les hominidés. Depuis1990 la cavité est fouillée par des équipes de chercheurs. La stratigraphie représente plus de 3 mètres d’épaisseur divisés en 12 couches archéologiques. Une nouvelle étude d’une équipe internationale dirigée par le paléoanthropologue Ludovic Slimak a été publiée dans Science Advances le 9 février 2022.
Comparaison d’une partie des différentes dents retrouvées dans la grotte Mandrin.
Etude « Modern human incursion into Neanderthal territories 54,000 years ago at Mandrin, France »
La dent d’Homo sapiens provient de la couche E
Une stratigraphie : beaucoup de restes fauniques, peu de restes humains
Les découvertes de la grotte Mandrin vont de la fin du Paléolithique moyen à l’émergence du Paléolithique supérieur. Au total, depuis 30 ans le site a délivré près de 60 000 objets lithiques et plus de 70 000 ossements d’animaux (cheval, bison, cerf…). Cette richesse montre l’occupation humaine de la cavité de manière régulière pendant des milliers d’années. A l’inverse les restes d’hominidés sont plus rares : les chercheurs n’ont découvert « que » 9 dents qui ont appartenus à un minimum de 7 individus. Ces restes étaient repartis dans plusieurs couches (de la C à la G). Si la majorité des artefacts et des ossements étaient attribués à Néandertal, les chercheurs avaient noté quelques éléments étonnants.
La couche E en sandwich
Contrairement aux autres couches, la E présentait une industrie lithique spécifique caractérisée par de petites pointes de silex standardisées, dont certaines ne mesuraient que 1 cm de longueur. Ce type de taille correspond à une industrie peu fréquente appelée le Néronien. Fait remarquable, avant et après la couche E qui contenait les outils Néroniens, les chercheurs ont trouvés des industries plus traditionnelles et anciennes du Moustérien.
Le Moustérien est la culture lithique de l’Homme de Néandertal. Cette alternance de cultures lithiques montre que pendant une période ce n’est pas forcément des néandertaliens qui occupaient la grotte Mandrin. « C’est la première fois que l’on démontre une interstratification, un “gros mot” pour dire qu’on a une succession Neandertal-sapiens-Neandertal-sapiens », souligne Ludovic Slimak.
Les outils préhistoriques retrouvés dans la couche E peuvent être attribués à Homo sapiens.
En étudiant et comparant les restes dentaires des couches G à C les chercheurs ont trouvé des différences. « Certaines des dents étaient un peu étranges« , a déclaré le le paléoanthropologue Clément Zanolli. « Certaines étaient typiquement néandertaliennes, mais il y avait une dent qui n’était probablement pas néandertalienne. » Lorsque le paléoanthropologue a scanné les dents avec une micro tomographie pour examiner la structure interne, il a découvert que huit dents appartenaient à des Néandertaliens et qu’une dent provenait sans équivoque d’un Homo sapiens.
La dent de la couche E, une molaire, était une dent de lait qui avait dû appartenir à un enfant Sapiens entre 2 et 6 ans.
Il y a 54 000 ans dans la grotte Mandrin…
Pour les chercheurs quoi de plus logique de trouver une dent d’Homo sapiens au milieu d’une couche d’outils du néronien. Ce qui les interpelle le plus c’est la datation de cette couche archéologique. En effet la couche E a été datée avec plusieurs méthodes de datations. Les résultats indiquent que la dent d’Homo sapiens et les outils néroniens ont été abandonnés sur une période compte entre 56 800 et 51 700 ans. C’est beaucoup plus tôt que les autres Homo sapiens en Europe…
Les plus anciens sites européens d’Homo sapiens sont limités à 3 sites italiens (Grotta Cavallo , Riparo Bombrini, Grotta di Fumane) et un site Bulgare (Bacho Kiro). Ils sont datés entre – 45 et – 43 000 ans.
A noter il existe également en Grèce un site (Apidima) qui a délivré un morceau de crâne daté à – 120 000 ans mais dont l’attribution à Homo sapiens est fortement contestée.
Il y a environ 54 000 ans une population d’Homo sapiens s’est donc aventurée dans la vallée du Rhône, s’est installée sous la grotte Mandrin, a fabriqué des outils. Et l’un de ses jeunes membres a perdu l’une de ses dents de lait. Elle a ensuite disparue, remplacée par des néandertaliens…
Ludovic Slimak précise pour Science et Avenir « Partout ailleurs, quand Sapiens arrive, les autres populations – Néandertiens, Denisoviens… – tirent leur révérence définitivement. Ici, ce n’est pas le cas. Et nous avons des éléments diagnostics dans toutes les couches pour le prouver. »
Artefacts néroniens de la couche E.(A) De haut en bas : Pointe en os pointue avec encoches latérales, canine de cerf rouge travaillée, serre d’aigle avec stries et galet avec une ligne gravée séparant la roche en deux parties inégales. (B) Détails de la pointe en os montrant des traces de travail par un outil en silex. (C) Détails des canines de cerf montrant des traces d’abrasion par un outil lithique. Ces marques peuvent avoir été faites pour extraire délibérément la canine ou pour modifier sa morphologie.
Les réactions
Chris Stringer déclare « Les découvertes de la grotte Mandrin vont enrichir également les recherches sur les contacts génétiques et culturels possibles au cours de la période. Elles permettront ainsi de cartographier les routes possibles de l’Asie occidentale à la vallée du Rhône le long de la côte nord de la Méditerranée, impliquant des sites dans des régions comme la Turquie, la Grèce, l’Italie. et la France du Sud«
Le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin (MNHN et Tubingen) précise « Je suis plutôt convaincu par l’étude qu’en a faite Clément Zanolli, de l’université de Bordeaux, qui connaît bien la morphologie dentaire et l’attribue à un individu sapiens, mais je trouve que l’article ne s’étend pas beaucoup sur le contexte«
Pour Katerina Harvati, paléoanthropologue à l’Université de Tübingen « Cela montre la complexité de la dispersion humaine moderne sur le continent européen et du remplacement éventuel des Néandertaliens », qui s’est produite il y a environ 40 000 ans.
C.R.
Sources
Modern human incursion into Neanderthal territories 54,000 years ago at Mandrin, France
Science
Sciences et Avenir
Le Monde
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