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Pourquoi l’art préhistorique ?
Pourquoi l'art préhistorique ? Jean Clottes Folio Essai
Présentation par l’éditeur :
Les hommes des Temps glaciaires ont pénétré dans les grottes profondes pour y dessiner et s’y livrer à de mystérieuses cérémonies, dont parois et sols portent à l’occasion les traces. Ils ont aussi orné les parois de certains abris ou ils habitaient de leurs gravures, peintures et sculptures représentant le plus souvent des animaux. Parfois, ce furent sur des roches isolées dans la nature ou au bord de rivières que des gravures se sont exceptionnellement conservées. Tenter d’approcher les raisons qui guidèrent ces gens peut paraître une gageure. Nombre de spécialistes esquivent la question du « Pourquoi ? », lui préférant le « Quoi ? » (description et étude des thèmes représentés, que l’on veut aussi complètes et « objectives » que possible), le « Quand ? » (problèmes de datation et de chronologie) et le « Comment » (étude minutieuse des techniques utilisées).
Jean Clottes s’est attaqué à cette question. après une longue carrière de chercheur essentiellement consacrée à des fouilles archéologiques, surtout en grottes et en abris, qui éclairent les modes de vie des paléolithiques, il s’est intéressé à leurs croyances et à leurs conceptions du monde, telles qu’elles devaient s’exprimer dans les grottes ornées, bien mieux sans doute que ce que l’on pouvait en saisir dans les outillages et les restes de leurs activités journalières révélés par les fouilles. Ses fouilles sur tous les continents l’ont conduit à une réflexion comparative : les aborigènes australiens ou Indiens des Amériques par exemple, ont préservé un état d’esprit, une attitude vis-à-vis de la nature et du monde qui remonte à la nuit des temps. Au cours de ces déplacements, Jean Clottes a rencontré David Lewis-Williams, préhistorien sud-africain qui étudie depuis longtemps l’art, la religion et les coutumes des Boschimans du sud de l’Afrique. Il eut l’idée que l’art des paléolithiques, comme celui des artistes San, avait pu être réalise dans le cadre d’une religion de type chamanique. Une collaboration naquit. C’est, de toutes les hypothèses que Jean Clottes recense dans cet ouvrage pour le grand public, celle qui lui parait la plus féconde, car elle explique le plus de faits.
Collection Folio essais n°557
Sortie Novembre 2011
Format poche
336 pages
L’auteur, Jean Clottes
Jean Clottes, né en 1933 dans les Pyrénées, est un préhistorien français, spécialiste du Paléolithique supérieur et de l’art pariétal. Conservateur général du Patrimoine (honoraire), Jean Clottes est expert international pour l’art rupestre auprès de l’ICOMOS et de l’UNESCO.
Sommaire de Pourquoi l’art préhistorique ?
Introduction
Chapitre I
Comment approcher l’art des cavernes et des abris ?
Un empirisme trompeur et sans ambitions
Les significations supposées de l’art paléolithique
Etudier l’art : choix des moyens et choix du regard
Quelles hypothèses pour quelles significations ?
L’espèce humaine, l’art et la spiritualité
Ou et comment apparait l’art ?
Apports et risques de la comparaison ethnologique
Chapitre II
Rencontres de réalités multiples sur d’autres continents
Amériques
Australie
Afrique
Asie
Chapitre III
Perceptions du monde, fondations et auteurs de l’art
Attitudes vis-à- vis de la nature
Attitudes vis-à-vis des lieux
Attitudes vis-à- vis des grottes
Attitudes vis-à- vis des parois et spéléothèmes
Les choix des parois
L’importance et l’interprétation des reliefs naturels
Entrer en contact avec la paroi et ce qu’elle recèle
Les mains
Contours inderterminés ou inachevés, tracés digités et attouchement
Les os plantés et les dépôts
Utiliser ce qui se trouvait dans la grotte
Attitude vis-à-vis des animaux
Les mythes paléolithiques
Les Vénus de Chauvet
Le Puit de Lascaux
Le faon à l’oiseau
Qui a fait cer art ?
Un cadre conceptuel chamanique
Conclusion
Un extrait de Pourquoi l’art préhistorique ?
Attitude vis-à-vis des lieux
En Europe, on parle communément de « L’Art des Cavernes» pour désigner l’art paléolithique (L’Art des Cavernes 1984; Clones 2008). C’est à la fois vrai et faux. C’est faux dans la mesure où la très grande majorité de cet art fut certainement réalisée à la lumière du jour, soit dans des abris, soit sur des rochers à l’extérieur. Dans l’état actuel de nos connaissances, la moitié environ – on serait tenté de dire seulement – de l’art paléolithique connu se trouve dans l’obscurité totale des cavernes profondes. Les autres sites ornés sont pour la plupart des abris sous roches (Clones 1997), des rochers ou des pieds de falaise. Ces derniers n’ont été découverts qu’en Espagne (Siega Verde, Piedras Blancasl et surtout au Portugal (Fez Côa et ses milliers de gravures, Mazouco), à lexception de la roche gravée de Campome, dans les Pyrénées Orientales. On constate qu’il ne s’agit que de gravures et que celles-ci sont uniquement localisées dans la partie la plus méridionale de l’Europe. Deux déductions évidentes en découlent: les peintures ne se sont pas conservées à l’extérieur et généralement assez mal dans les abris; les gravures de plein air n’ont pu résister aux éléments qu’exceptionnellement, sous les climats les moins rudes et lorsque leur exposition le permettait. Nous ne disposons donc que d’une partie certainement infime et biaisée de l’art pariétal paléolithique.
Aller peindre ou graver loin sous terre dans le noir absolu n’allait pas de soi. Les Paléolithiques européens l’ont fait pendant près de vingt-cinq mille ans. Un tel choix des ténèbres et une tradition aussi prolongée sont exceptionnels dans l’histoire de l’humanité. Ailleurs dans le monde, on connaît des dessins en dehors de la lumière du jour dans les Amériques (mud-glyph caves du sud-est des États-Unis, Cueva Oscura de la Sierra de San Francisco en Baja California mexicaine, grottes mayas (Stone 1997) et autres grottes ornées en Amérique centrale ou dans les Caraïbes), de même qu’en Océanie (plusieurs dizaines en Australie, longs tubes de lave à Hawaï). Ces utilisations des profondeurs n’ont toutefois pas duré très longtemps et les exemples ne sont pas aussi nombreux qu’on aurait pu le croire, même si nous en connaissons quelques autres en Asie ou en Amérique du Sud. Par exemple, aucune caverne profonde ornée n’a, à ma connaissance, été signalée en Afrique. Il arrive parfois (Shaman’s Cave en Namibie, grottes du Peruaçu dans le Minas Gerais au Brésil, ou sites du Madhya Pradesh en Inde), que l’abri où s’ouvre la grotte, voire son entrée, ait été décoré, alors que, dès que l’on pénètre dans l’obscurité, peintures ou gravures disparaissent. Il s’agit bien, dans ce cas, d’un refus d’utiliser le noir, voire la pénombre, pour y réaliser des dessins.’ Cela renvoie à la conception que l’on pouvait avoir dans les diverses cultures du paysage en général et du monde souterrain en particulier.
Le choix des lieux ne relevait pas toujours, en effet, du hasard ou de la nécessité. Dans de nombreuses régions, [es roches et leurs possibilités abondaient. Des choix apparaissent alors. Très souvent, à toutes les époques, l’art en extérieur suit des bords de rivières, des canyons ou des vallées privilégiées. C’est le cas de Fez Côa au Portugal ou de Siega Verde en Espagne pour le Paléolithique. Pour l’art post-glaciaire, les exemples sont évidemment beaucoup plus nombreux. Citons, entre autre, les grandes vallées de l’Ouest américain (Utah, New Mexico, Arizona, Wyoming, Idaho, Oregon, etc.), les canyons de la Sierra de San Francisco au Mexique, Cueva de las Manas et autres grottes ornées du Rio Pinturas en Argentine, les abris du Rio Peruaçu au Brésil (Minas Gerais) ou de la Pecos River entre le Mexique et le Texas, l’art des bords de l’lénissei ou de l’Angara en Sibérie méridionale, de la Cham bal Valley ou de Chaturbhujnath Nala en Inde (Madhya Pradesh), de la vallée de Fergana qui traverse plusieurs pays d’Asie centrale. Il en est bien d’autres.
Également fréquents, qu’il s’agisse ou non de vallées, sont les paysages spectaculaires retenus pour la réalisation de l’art rupestre; canyons profonds et tourmentés (Baja California, Arizona), falaises immenses (Hua Shan en Chine), abritant parfois des grottes ou des abris difficiles d’accès (jungles du Kalimantan à Bornéo, Indonésie ou de Pachmarhi en Inde], anciens cratères de volcans (Arakao au Niger), roches colorées (Utah, Mont Bego près de Nice), contrastes de paysages comme les fjords et les bords de mer scandinaves (Alta et Ausevik en Norvège) ou encore les paysages glaciaires en haute altitude du Mont Bego, accessibles uniquement en été, lorsque éclatent d’impressionnants orages. Le contexte environnemental ajoure alors aux œuvres une dimension que l’on pressent ou que l’on sait essentielle dans les modes de pensée de leurs auteurs et de leurs cultures.
Un phénomène répandu dans le monde entier est celui que nous pourrions appeler « les montagnes sacrées» de l’art rupestre. 11 s’agit soit de massifs isolés surgissant de manière spectaculaire du désert qui les entoure (Uluru en Australie, le Brandberg en Namibie, les falaises du Drakensberg en Afrique du Sud), soit de collines ou de monts, parfois à la forme particulière, où l’on constate la concentration de nombreux sites ornés, comme dans les Matopo Hills au Zimbabwe ou les Tsodilo Hills au Botswana…
1. Au Brésil, » toutes les Traditions évitèrent les endroits traditionnellementr obscures » {Prous 1994, p. 138).