Les premiers Homo sapiens
par Frédéric Belnet
En partenariat avec Historia
Dernier-né de l’évolution des Hominidés, Homo sapiens, l’Homme moderne (comprendre : « anatomiquement moderne ») apparaît il y a presque 200 000 ans, pour devenir plus tard l’inventeur de la philosophie, des satellites et de l’ordinateur… Son origine fait encore débat…
Homo sapiens : l’Homme savant, ou l’Homme intelligent, l’Homme sage, en latin. Toute subjective qu’elle puisse paraître, l’appellation, créée par le naturaliste suédois Karl von Linné en 1758, est toujours valide. Notre espèce n’est pas issue d’un destin à part, mais s’inscrit dans la longue évolution de la famille des Hominidés et du genre Homo. Les anthropologues peuvent donc tracer sa genèse en s’appuyant sur l’anatomie comparée, la paléontologie et, plus récemment, sur la biologie moléculaire et la génétique.
Les plus anciens fossiles
Si l’on écarte une étude très controversée évoquant la découverte de dents vieilles de 400 000 ans en Israël, les plus anciens restes fossilisés d’Homo sapiens, deux crânes trouvés sur le site de Kibish, en Éthiopie, datent d’environ 195 000 ans. Suivent ceux d’Herto, toujours en Éthiopie (154 000 ans) et de Qafezh, en Israël (100 000 ans). Mis au jour par le préhistorien Louis Lartet en 1868, les squelettes des cinq individus du célèbre abri sous roche de Cro-Magnon, en Dordogne, ne datent, eux, ‘que’ de 28 000 ans environ. D’où viennent-ils, tous, et comment arrivent-ils là ?
A droite John Fleagle, Stony Brook University : Les ossements de l’un plus anciens représentants de notre espèce, Homo sapiens, Omo I, découverts en 1967 en Ethiopie. Les ossements sont conservés au National Museum of Ethiopia.
Nouvelle découverte
En 2017 Une équipe dirigée par le professeur Jean-Jacques Hublin a mis au jour au Djbel Irhoud (Maroc) des restes crâniens appartenant à Homo sapiens. Ils sont datés de 300 000 ans et dont donc maintenant les fossiles d’Homo sapiens les plus anciens, connus, à ce jour.
Les théories
Les scientifiques s’accordent pour situer l’origine du genre Homo en Afrique, avec Homo habilis puis Homo ergaster qui, apparu il y a presque 2 Ma, s’aventure jusqu’en Asie dès cette époque. À partir de là, les chercheurs constatent un début d’apparition de traits sapiens – mêlés de traits archaïques – entre -500 et -200 000 ans en Afrique, et vers 100 000 ans au Moyen-Orient et en Asie ; tandis que le très moderne Homme de Cro-Magnon apparaît en Europe il y a 40 000 ans. Il est donc clair que sapiens, d’une façon ou d’une autre, est une évolution de l’espèce Homo ergaster (appelée Homo erectus dans sa forme asiatique). D’une façon ou d’une autre ? C’est là que les théories divergent.
Celle surnommée ‘Out of Africa’ situe cette évolution en Afrique uniquement, avec un Homo sapiens fort de ses ‘innovations’ physiques et mentales conquérant peu à peu le reste du monde, y remplaçant purement et simplement les espèces humaines plus archaïques (elles aussi issues de H. erectus), impuissantes à le concurrencer. Une option assez solidement assise sur les travaux des généticiens, qui attestent, chez tous les hommes actuels, d’un apport massif d’ADN ‘concocté’ en Afrique (où la diversité génétique est la plus grande) entre -150 000 et -50 000 ans (selon les cas). En revanche, elle peine à expliquer l’existence, hors d’Afrique, de fossiles aux troublantes caractéristiques intermédiaires entre erectus et sapiens, comme l’Homme de Solo (Java, peut-être -50 à -25 000 ans).
L’hypothèse dite ‘du candélabre’ estime, elle, qu’Homo ergaster / erectus, sorti il y a 2 Ma de son Afrique natale, colonise le reste de l’ancien Monde, puis que toutes ses populations – chacune isolée – finissent par évoluer, plus ou moins simultanément, en Hommes modernes. Une convergence évolutive à une telle échelle est peu vraisemblable, et, de plus, ceci ne tient pas compte de l’ancestralité africaine ‘récente’ établie par les généticiens pour toute l’humanité actuelle…
Solution intermédiaire, l’évolution réticulée suggère un flux constant de migrations en tous sens entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie, depuis 2 Ma, d’où un brassage génétique permanent menant au développement de notre espèce dans toutes ces régions (d’où elle part ensuite conquérir l’Europe, l’Océanie et l’Amérique). Les fossiles ‘mi-erectus, mi-sapiens’ trouvés en Afrique et ailleurs jalonnent ainsi cette évolution, tandis qu’une migration massive depuis l’Afrique il y a 100 à 50 Ma laisse son empreinte – récente et dominante – dans nos gènes. Une hypothèse qui harmonise les choses, et souligne la tendance humaine à se croiser (sexuellement) avec d’autres populations – et même avec d’autres espèces, puisque des hybridations sont attestées avec l’Homme de Néandertal et avec celui de Denisova, aujourd’hui disparus.
L’évolution
L’Homme moderne, évinçant ces autres formes d’humanité jusque dans leurs isolats géographiques, finit donc par occuper la Terre, évoluant avec une grande unité mais s’adaptant avec une grande diversité.
Ainsi, la taille moyenne, de 1,83 m au Paléolithique, il y a 40 000 ans (héritage de l’ADN africain ‘tout frais’ ?), évolue pour passer à 1,63 m il y a 10 000 ans, au Néolithique (la pratique de l’agriculture tassant la croissance et changeant le régime alimentaire). Les 1,75 m des Européens d’aujourd’hui ne sont qu’une adaptation (réversible) à notre mode de vie actuel.
À peu près aux mêmes dates, le volume de notre cerveau est respectivement de 1 500, puis 1 450 et enfin 1 350 cm3, avec des zones cérébrales qui grossissent et d’autres qui diminuent. Nos mâchoires, moins sollicitées grâce à la nourriture préparée, sont plus graciles que celles de nos ancêtres. L’élevage et donc la consommation de laitages à l’âge adulte fait évoluer le système digestif… de 50 % d’entre nous : une évolution rapide mais non encore terminée…
Localement, notre corps s’adapte au climat : élancé (pour évacuer la chaleur) et à la peau sombre (pour limiter l’impact des UV) sous les tropiques ; trapu (pour conserver la chaleur) et à la peau claire (pour absorber suffisamment de lumière et fixer la vitamine D), sous les hautes latitudes.
Partout, en revanche, notre esprit a cette aptitude au symbolisme, à la créativité, et cette soif d’aller de l’avant…
Frédéric Belnet
Journaliste scientifique
Nos premières fois Nicolas Teyssandier Avec « Nos premières fois », le préhistorien Nicolas Teyssandier nous livre un inventaire très particulier, celui des premières fois de l’Humanité, « nos » premières fois culturelles, techniques, matérielles : le premier outil, bien sûr, mais aussi le premier couple, le premier bijou, le premier meurtre, le premier chat, le premier dieu ou encore le premier mot…Ces premières fois qui constituent notre mémoire collective prennent ici la forme d’un grand récit qui s’appuie sur les connaissances le s plus actuelles en préhistoire et en évolution humaine. En savoir plus sur Nos première fois |